Avec cet ouvrage,
Tristan Garcia quitte définitivement le statut d'écrivain prometteur pour accéder à celui d'auteur confirmé.
Faber le destructeur constitue une synthèse ingénieuse des histoires propres à cette génération qui a eu vingt ans à l'aube du XXIe siècle, et pour laquelle la morne perspective d'une existence normée, cloisonnée, sans saveur véritable n'a jamais été autre qu'une promesse invariablement tenue.
L'état des lieux est posé dès la phase introductive, où la trentaine de lignes qui la composent évoquent sans concession le devenu – puisqu'il n'y a pas lieu de parler de devenir – de cette génération : «
Nous étions des enfants de la classe moyenne d'un pays moyen d'Occident, deux générations après une guerre gagnée, une génération après une révolution ratée.
Nous n'étions ni pauvres ni riches,
nous ne regrettions pas l'aristocratie,
nous ne rêvions d'aucune utopie et la démocratie
nous était devenue égale. […]
Nous avions été éduqués et formés par les livres, les films, les chansons – par la promesse de devenir des individus. Je crois que
nous étions en droit d'attendre une vie différente. […] Mais pour gagner de quoi vivre comme tout le monde, une fois adultes,
nous avons compris qu'il ne serait jamais question que de prendre la file et de travailler. A ce moment-là, c'était la crise économique et on ne trouvait plus d'emploi, ou bien c'était du travail au rabais. […] J'ai été de ceux qui ont choisi de baisser la tête pour pouvoir passer la porte de mon époque – mais pas Faber, hélas ou heureusement. Et pour cette raison il n'a cessé de me hanter. »
Puis le roman se dévoile sous la forme d'un récit à trois voix –
Faber le destructeur, Madeleine ou Maddie l'idéaliste et Basile l'inaccompli, trois parcours intimement liés jusqu'à la perdition, jusqu'à l'aliénation de chacun des protagonistes. Une histoire d'amitié tout autant que de quêtes, dont le personnel finit par se confondre avec le collectif, par-delà les frontières de la décence et de la raison. Une histoire de séduction également, aussi jouissive que corrosive, belle et utile qu'impitoyable.
Mehdi Faber incarne tout à la fois l'espoir, la désillusion et l'ensemble des maux générés par notre époque, et avec lesquels il est devenu coutume de composer pour tenter de préserver au mieux sa « survie sociale ». Cette histoire, la sienne, celle de Maddie et de Basile, la leur, interpelle comme un cri de rage dans le silence assourdissant de notre temps, et
nous renvoie à cette part souvent enfouie de
nous-mêmes – celle-là même qui
nous confronte à cette réalité : cette vie, la mienne, l'ensemble de mes choix, l'orientation de mon existence… si j'avais pu prévoir… si c'était à refaire… Et puis quoi ? Merci Monsieur Garcia.