Qu'est-ce que
nous ? Comment tracer les contours de ce qu'on dit quand on dit
nous ?
Tristan Garcia s'essaie à penser ce
nous si difficile à identifier.
Nous, est-ce
nous les hommes,
nous les êtres vivants,
nous les femmes,
nous les blancs,
nous les riches,
nous les Suisses,
nous les travailleurs,
nous-les-tout-ce-qu'on-veut ?
Nous, c'est à la fois tous ces
nous infiniment divers et le grand
nous universel sans frontière ?
Nous, c'est le va-et-vient historique et intime entre tous ces
nous qui se superposent. Or,
nous vivons un moment de l'histoire où les grandes catégories de
nous s'effondrent ? le
nous de genre se complique de transitions incertaines, le
nous de race s'est – du moins en théorie – effondré (
Tristan Garcia, plus précis, dit éfondé, c'est-à-dire qu'il n'a plus de fond), le
nous de classe n'arrête pas de bouger, même le
nous d'espèce humaine ne saisit plus de délimitation avec le
nous animal ; bref, plus rien ne fonde un
nous solide, sinon des rapports de domination que les dominés remettent en cause, forçant les dominants qui le sont désormais moins à contre-attaquer et à se croire dominés.
Nous, dans de telles conditions, existe-t-il encore ? Oui, dans la mesure où il est affirmé, où
nous oscillons en permanence entre un grand
nous universel qui gomme notre identité spécifique et des
nous minuscules – le clan, la famille, le couple – qui se sentent à l'étroit et rêve de retrouver le grand
nous flou. Cercle vicieux que
nous ? Certes, mais prendre conscience de la difficulté qu'il y a à dire
nous, prendre conscience de l'aspect dynamique de ce
nous et de sa dimension foncièrement politique (
nous se définit en lutte avec d'autres
nous que
nous pensons dominants), prendre conscience que dire
nous ne va pas de soi, c'est déjà envisager non pas la stabilisation d'un
nous idéal mais l'acceptation d'un
nous à construire en permanence.