Publiée en 1573 pour la première fois, cette pièce semble avoir eu un vrai succès, et pas mal de représentations pour l'époque. C'est la deuxième pièce publiée par Garnier, et une des moins oubliées, il lui arrive même être jouée de temps en temps actuellement : très récemment (juillet 2017) quelques représentations ont été données par l'Académie de la
Comédie Française.
Le sujet a inspiré deux pièces à
Euripide, dont une seule a été conservée.
Sénèque s'en est inspiré pour sa pièce Phèdre. Cette dernière est la source principale de la tragédie de Garnier. C'est la première fois qu'une tragédie en langue française est créée sur sur ce sujet, mais pas la dernière, la plus célèbre étant bien entendu la pièce de Racine, écrite un siècle plus tard, et qui puisera un certain nombre d'éléments chez Garnier.
La pièce commence d'une façon assez statique, Égée, remonté du royaume des morts, vient présenter la situation, la folie de son fils Thésée, parti aux Enfers pour conquérir la femme de Pluton, et annonce les désastres à venir, comme une conséquence des actions de Thésée. Puis Hippolyte raconte un songe effrayant et des présages néfastes qui le poursuivent. L'acte se termine par un choeur de chasseurs. L'action démarre véritablement au deuxième acte, Phèdre évoque son malheureux mariage avec Thésée, les infidélités de ce dernier, et avoue à la Nourrice son amour pour Hippolyte, son beau fils. La Nourrice essaie de la persuader d'y renoncer, lui adjoint la fidélité conjugale. Voyant que cet amour, s'il n'est pas satisfait, risque de mener Phèdre à la mort, elle change d'avis, et s'engage à évoquer l'amour de la reine avec le jeune homme. Mais ce dernier refuse l'amour et professe un profond mépris des femmes. Il rejette avec horreur la déclaration de Phèdre. La Nourrice ourdit une machination, pour l'accuser de viol, sous la foi du poignard abandonné. Thésée tout juste revenu des Enfers, n'a aucun doute, et demande à Neptune de faire mourir son fils. La Nourrice prise de remords, se tue. Un messager annonce et décrit la mort d'Hippolyte, Phèdre avoue la vérité et se tue. Thésée décide de vivre pour expier son crime.
Nous ne sommes pas encore dans la tragédie classique, la construction dramatique n'est pas encore une machine complètement maîtrisée comme elle le sera par la suite. Il y a de longues tirades, des interventions d'un choeur, qui viennent presque à côté de l'action, sans aucune part à ce qui se passe, ni même un dialogue avec les personnages du drame, comme c'était le cas dans les tragédies antiques, cela semble presque gratuit, de simples morceaux de bravoure poétique. Mais en même temps, la trame dramatique centrale est vraiment posée, dans une grande simplicité, austérité presque, et menée à terme avec une certaine grandeur. C'est plus simple que chez Racine, qui a rajouté une autre trame amoureuse, celle d'Hippolyte et Aricie, qui est quand même un peu artificielle et qui change le personnage d'Hippolyte. Il est vrai qu'à l'époque de Racine, la veine romanesque et galante, ainsi que l'influence des chaînes amoureuses de la pastorale, faisait que le public attendait ces histoires d'amours multiples, et qu'un jeune homme qui n'était pas amoureux paraissait invraisemblable, contre nature.
Dans la pièce de Garnier, la cause de tous les maux, est Thésée, et son comportement irresponsable. le personnage apparaît comme très impulsif, incapable de résister à ses désirs, à ses pulsions, dépassant toute mesure en voulant conquérir une déesse.
Je trouve la Phèdre de Garnier très intéressante. Elle ne semble jamais avoir été amoureuse de son mari, enlevée (certains vers évoque quelque chose qui n'est pas loin d'un viol), elle dénonce ses infidélités, et revendique d'une certaine façon son droit à un choix amoureux correspondant davantage à ses désirs. Elle a un aspect très charnel, sensuel.
La Nourrice, même si Garnier l'étoffe et en fait un vrai personnage, qui n'est plus une confidente secondaire, mais une protagoniste de l'action, est un peu incohérente, faisant la morale, puis poussant sa maîtresse à se déclarer ; imaginant le complot et se suicidant lorsqu'il réussit, les revirements ne sont pas suffisamment justifiés.
J'ai toutefois trouvé cette pièce passionnante. La langue est magnifique, même si elle n'est pas toujours facile. Garnier est souvent présenté comme le meilleur auteur de théâtre de son siècle, et à lire cette pièce, cela peut se comprendre.
Ce qui a peut être manqué à cette génération, c'est une pratique du théâtre professionnel, de la scène, des troupes d'acteurs, qui aurait permis de concevoir des textes en fonction d'une représentation avant tout. Mais je trouve le théâtre du XVIe siècle assez surprenant finalement, bien meilleur que ce qu'en disent en général les histoires de la littérature. Il est incontestablement différent du théâtre qui se met progressivement en place au XVIIe siècle, mais c'est peut être un peu trop simple de le juger inférieur sans autre forme de procès.