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Jean-Pierre Chauveau (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070419470
297 pages
Gallimard (18/09/2002)
3.69/5   16 notes
Résumé :
Ce recueil présente un choix de poèmes de ce poète huguenot du XVIIe siècle, resté fidèle jusqu'au bout à ses convictions et ses engagements. Le volume ajoute plusieurs textes en prose, en particulier des lettres.

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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXIX
Lettre de Théophile à son Frère


Ah! que les cris d’un innocent,
Quelques longs maux qui les exercent,
Trouvent malaisément l’accent
Dont ces âmes de fer se percent !
Leur rage dure un an sur moi
Sans trouver ni raison ni loi,
Qui l’apaise ou qui lui résiste ;
Le plus juste et le plus Chrétien
Croit que sa charité m’assiste
Si sa haine ne me fait rien.

L’énorme suite de malheurs !
Dois-je donc aux races meurtrières
Tant de fièvres et tant de pleurs,
Tant de respects, tant de prières,
Pour passer mes nuits sans sommeil,
Sans feu, sans air et sans Soleil,
Et pour mordre ici les murailles,
N’ai-je encore souffert qu’en vain ?
Me dois-je arracher les entrailles
Pour soûler leur dernière faim ?

Parjures infracteurs des lois,
Corrupteurs des plus belles âmes,
Effroyables meurtriers des Rois,
Ouvriers de couteaux et de flammes,
Pâles Prophètes de tombeaux,
Fantômes, Loups-garous, corbeaux,
Horrible et venimeuse engeance,
Malgré vous race des enfers,
À la fin j’aurai la vengeance
De l’injuste affront de mes fers.

Derechef, mon dernier appui,
Toi seul dont le secours me dure,
Et qui seul trouves aujourd’hui
Mon adversité longue et dure,
Rare frère, ami généreux,
Que mon sort le plus malheureux
Pique davantage à le suivre,
Achève de me secourir :
Il faudra qu’on me laisse vivre
Après m’avoir fait tant mourir.

p.202-203
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A Cloris.

S’il est vrai, Cloris, que tu m’aimes,
Mais j’entends que tu m’aimes bien,
Je ne crois point que les rois mêmes
Aient un heur comme le mien.
Que la mort serait importune
De venir changer ma fortune
A la félicité des dieux!
Tout ce qu’on dit de l’ambroisie
Ne touche point ma fantaisie
Au prix des grâces de tes yeux.

Sur mon âme, il m’est impossible
De passer un jour sans te voir
Qu’avec un tourment plus sensible
Qu’un damné n’en saurait avoir.
Le sort qui menaça ma vie
Quand les cruautés de l’envie
Me firent éloigner du Roi
M’exposant à tes yeux en proie,
Me donna beaucoup plus de joie
Qu’il ne m’avait donné d’effroi.

Que je me plus dans ma misère!
Que j’aimai mon bannissement!
Mes ennemis ne valent guère
De me traiter si doucement.
Cloris, prions que leur malice
Fasse bien durer mon supplice.
Je ne veux point partir d’ici
Quoique mon innocence endure;
Pourvu que ton amour me dure
Que mon exil me dure aussi.

Je jure l’amour et sa flamme
Que les doux regards de Cloris
Me font déjà trembler dans l’âme
Quand on me parle de Paris:
Insensé, je commence à craindre
Que mon Prince me va contraindre
A souffrir que je sois remis.
Vous qui le mîtes en colère,
Si vous l’empêchez de le faire
Vous n’êtes plus mes ennemis:

Toi qui si vivement pourchasses
Les remèdes de mon retour,
Prends bien garde quoi que tu fasses,
De ne point fâcher mon amour.
Arrête un peu, rien ne me presse,
Ton soin vaut moins que ta paresse,
Me bien servir c’est m’affliger;
Je ne crains que ta diligence,
Et prépare de la vengeance
A qui tâche de m’obliger.

Il te semble que c’est un songe
D’entendre que je m’aime ici,
Et que le chagrin qui me ronge
Vienne d’un amoureux souci:
Tu penses que je ne respire
Que de savoir où va l’Empire,
Que devient ce peuple mutin,
Et quand Rome se doit résoudre
A faire partir une foudre
Qui consume le Palatin.

Toutes ces guerres insensées
Je les trouve fort à propos;
Ce ne sont point là les pensées
Qui s’opposent à mon repos;
Quelques maux qu’apportent les armes,
Un amant verse peu de larmes
Pour fléchir le courroux divin;
Pourvu que Cloris m’accompagne
Il me chaut peu que l’Allemagne
Se noie de sang ou de vin.

Et combien qu’un appas funeste
Me traîne aux pompes de la Cour,
Et que tu sais bien qu’il me reste
Un soin d’y retourner un jour,
Quoique la Fortune apaisée
Se rendît à mes vœux aisée,
Aujourd’hui je ne pense pas,
Soit-il le Roi qui me rappelle,
Que je puisse m’éloigner d’elle
Sans trouver la mort sur mes pas.

Mon esprit est forcé de suivre
L’aimant de son divin pouvoir,
Et tout ce que j’appelle vivre
C’est de lui parler et la voir.
Quand Cloris me fait bon visage
Les tempêtes sont sans nuage,
L’air le plus orageux est beau;
Je ris quand le tonnerre gronde,
Et ne crois point que tout le monde
Soit capable de mon tombeau.

La félicité la plus rare
Qui flatte mon affection,
C’est que Cloris n’est point avare
De caresse et de passion.
Le bonheur nous tourne en coutume,
Nos plaisirs sont sans amertume,
Nous n’avons ni courroux ni fard,
Nos trames sont toutes de soie,
Et la Parque après tant de joie
Ne les peut achever que tard.
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXIX
Lettre de Théophile à son Frère


En quelle place des mortels
Ne peut le vent crever la terre?
En quel palais et quels autels
Ne se peut glisser le tonnerre?
Quels vaisseaux et quels matelots
Sont toujours assurés des flots?
Quelquefois des villes entières
Par un horrible changement
Ont rencontré leurs cimetières
En la place du fondement.

Le sort qui va toujours de nuit,
Enivré d’orgueil et de joie,
Quoiqu’il soit sagement conduit
Garde malaisément sa voie.
Ah! que les souverains décrets
Ont toujours demeuré secrets
A la subtilité de l’homme!
Dieu seul connaît l’état humain:
Il sait ce qu’aujourd’hui nous sommes,
Et ce que nous serons demain.

Or selon l’ordinaire cours
Qu’il fait observer à nature,
L’astre qui préside à mes jours
S’en va changer mon aventure.
Mes yeux sont épuisés de pleurs,
Mes esprits, usés des malheurs,
Vivent d’un sang gelé de craintes.
La nuit trouve enfin la clarté,
Et l’excès de tant de contraintes
Me présage ma liberté….

p.197

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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT
ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXVIII - LA MAISON DE SYLVIE
Ode II


Lorsqu’à petits flocons liés,
La neige fraîchement venue
Sur de grands tapis déliés
Épanche l’amas de la nue,
Lorsque sur le chemin des Cieux
Ses grains serrés et gracieux
N’ont trouvé ni vent ni tonnerre,
Et que sur les premiers coupeaux
Loin des hommes et des troupeaux,
Ils ont peint les bois et la terre,

Quelque vigueur que nous ayons
Contre les esclaves qu’elle darde,
Ils nous blessent, et leurs rayons
Éblouissent qui les regarde.
Tel dedans ce parc ombrageux
Éclate le troupeau neigeux,
Et dans ses vêtements modestes,
Où le front de Sylvie est peint,
Fait briller l’éclat de son teint
À l’envi des neiges célestes.

En la saison que le Soleil
Vaincu du froid et de l’orage,
Laisse tant d’heures au sommeil
Et si peu de temps à l’ouvrage,
La neige, voyant que ces daims
La foulent avec des dédains
S’irrite de leurs bonds superbes,
Et pour affamer ce troupeau,
Par dépit sous un froid manteau
Cache et transit toutes les herbes….

p.156
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT
ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXVIII - LA MAISON DE SYLVIE
Ode II


Mais le parc pour ses nourrissons
Tient assez de crèches couvertes
Que la neige ni les glaçons
Ne trouveront jamais ouvertes.
Là le plus rigoureux hiver
Ne les saurait jamais priver,
Ni de loge ni de pâture :
Ils y trouvent toujours du vert
Qu’un peu de soin met à couvert
Des outrages de la Nature.

Là les faisans et les perdrix
Y fournissent leurs compagnies
Mieux que les Halles de Paris
Ne les sauraient avoir fournies.
Avec elles voit-on manger
Ce que l’air le plus étranger
Nous peut faire venir de rare,
Des oiseaux venus de si loin
Qu’on y voit imiter le soin
D’un grand Roi qui n’est pas avare.

Les animaux les moins privés
Aussi bien que les moins sauvages,
Sont également captivés
Dans ces bois et dans ces rivages.
Le maître d’un lieu si plaisant
De l’hiver le plus malfaisant
Défie toutes les malices :
À l’abondance de son bien
Les Éléments ne trouvent rien
Pour lui retrancher ses délices.

p.157
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Videos de Théophile de Viau (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Théophile de Viau
Rencontre proposée par Yves le Pestipon. Théophile de Viau, Avis au lecteur, 1623, du début à «suspectes de fausseté».
Il y eut une affaire Théophile de Viau. Les jésuites, et en particulier le père Garasse l'accusèrent, non sans quelques raisons, d'avoir publié des poèmes licencieux. Il fut condamné à être brûlé en 1623, ce qu'il parvint à éviter, mais il mourut trois ans plus tard des suites de son arrestation. Cette affaire est un moment important de l'histoire de la censure, donc de la littérature, en France, parce que Théophile se défendit. Face aux attaques, il écrivit force textes, dont l'«avis au lecteur» de l'édition de ses oeuvres en 1623. C'est un texte magnifique face à la calomnie. Il pourrait être employé aujourd'hui par ceux qui font face aux «mauvais» et «faux bruits», et dont le «silence» seul pourrait passer pour «crime». Très petite bibliographie Libertins du 17esiècle, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1998. Théophile de Viau, Oeuvres poétiques, Classiques Garnier jaune, 2008.
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08/04/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER

Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite (https://ausha.co/politique-de-confidentialite) pour plus d'informations.
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