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EAN : 9782360120185
176 pages
La ville brûle (16/09/2011)
4/5   1 notes
Résumé :

Médias, argent, politique... les sondages sont au coeur d'un système qu'ils ont contribué à transformer. Forme dominante de production de l'opinion publique, les sondages participent à la mise en condition des citoyens, et donc à la perversion de la démocratie : les régimes démocratiques sont devenus des régimes d'opinion. Fabriquée, transformée en données chiffrées, marchandisée p... >Voir plus
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Il ne se passe pas une semaine sans que dans la presse on puisse entendre ou lire les résultats de l'un ou l'autre sondage d'opinion publique. Et les jours suivant les interprétations parfois très savantes et alambiquées d'experts de tout poil. Étant déjà un peu sceptique du sérieux de certains sondages réalisés parfois à une échelle tellement dérisoire que cela frise le ridicule, c'est la raison pour laquelle je me suis commandé cet ouvrage de l'expert le plus connu en France en matière de sondages, Alain Garrigou, et son collègue Richard Brousse de l'Observatoire des sondages.

Mon scepticisme me vient probablement de mon association involontaire des sondages d'intention de vote avec une photo du président américain, Harry S. Truman, tenant en main, d'un rire goguenard, un journal avec en gros caractères le résultat d'un sondage : "Truman vaincu par Thomas Dewey". Une erreur monumentale, car le démocrate Harry venait d'être réélu, en 1948, avec 49,5 % de voix contre 45,0 % ! J'ignore s'il s'agissait seulement d'une erreur ou, au contraire, d'une manoeuvre du commanditaire du sondage, le Parti Républicain, pour influencer l'électorat. Toutefois, ce fait historique a l'air d'aller dans le sens d'une partie du titre de l'ouvrage : "La démocratie n'est pas à vendre !"

Déjà à la page 8 de l'ouvrage, les auteurs annoncent la couleur : "le scepticisme ne saurait suffire..." Les "poncifs des opiniomanes... par leur mise en condition des citoyens participent à la perversion de la démocratie ".

Ce sont les abus et mensonges de certains sondages qui ont incité nos 2 auteurs à créer en 2009 l'Observatoire des sondages, qui : "exerce une veille scientifique sur les différentes facettes des sondages, non seulement les aspects méthodologiques des enquêtes et des statistiques mais aussi sur leur publication, leurs usages confidentiels et les commentaires politologiques ou journalistiques qui en sont faits quotidiennement."
Leur site sur le net vaut absolument une visite : www.observatoire-des-sondages.org. Il est plein de révélations surprenantes.

Alain Garrigou, né en 1949, est agrégé d'histoire et agrégé en sciences politiques. Il est professeur à l'université de Paris Ouest-Nanterre. Il est l'auteur entre autres de "L'ivresse des sondages (2006) et "Le vote et la vertu" (1992). Il est un grand admirateur de l'esprit critique de Pierre Bourdieu et collabore au "Monde diplomatique".
Richard Brousse est sociologue, ingénieur de l'École supérieure d'électricité et diplômé en économie appliquée. Il est en charge du site mentionné.

Le sondage nous vient des États-Unis, où un certain George Horace Gallup (1901-1984) de Jefferson, Iowa, a organisé, en 1936, le tout premier. En France, un adepte de Gallup et sociologue, Jean Stoetzel (1910-1987) de Saint-Dié, a été le pionnier avec sa fondation de l'Ifop en 1938. Depuis, c'est devenu une méga industrie. À titre d'exemple : le numéro 1 français, IPSOS France, employait 597 effectifs permanents et enregistrait, en 2009, un chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros. Si l'on considère la même année comme référence, le chiffre d'affaires de ce secteur dans le monde correspondait à 28,946 milliards d'euros ! (tableau à la page 29).

Cependant la majorité des sondages se fait au téléphone par des employés mal payés, qui à cause des bas salaires et le caractère très frustrant du job doivent souvent être remplacés, ce qui pose la question de leur qualification. Nous avons probablement tous fait l'expérience de ce genre d'appel et savons ce que ces braves gens sont instruits à nous demander. Pas de problèmes : s'il y a trop de réponses NSP, "ne savent pas", il y a toujours les superviseurs, d'habitude qualifiés, qui "extrapolent ou arrangent" les réponses trop décevantes pour éviter que le commanditaire et client ne soit pas trop déçu ! Les auteurs se posent la question légitime de "où se trouve l'opinion publique" si vous êtes interrogés sur un sujet auquel vous ne vous intéressez pas du tout ou dont vous n'avez jamais entendu parler ? Comment, en effet, donner une opinion sur un fait inconnu. Puis, il y a des sondages, où l'on vous explique, de façon plus ou moins tendancieuse, de quoi il s'agit, en somme, en vous guidant à fournir les réponses qui plairont au commanditaire.

De nos jours, beaucoup de partis politiques emploient ce qu'on appelle des "spin doctors". le terme "spin" désigne l'effet donné à une balle pour qu'elle modifie sa trajectoire. Ces "docteurs" sont donc des conseillers qui savent "orienter" l'opinion publique et sont recrutés ou payés pour le faire à l'avantage exclusif du parti. Ce sont des manipulateurs de l'ombre que l'on voit derrière le politicien, fréquemment à côté de ses gardes de corps. Il va de soi que ces spin doctors sont des clients appréciés par les sociétés de sondage. Il y en a un, chez nous en Belgique, qui de temps à temps est même fier de raconter à un pote journaliste combien son rôle est crucial pour le bonheur de tous les Belges !

Des sondages visant à savoir si Carla Bruni-Sarkozy "donne, en tant que 1re dame de France, une bonne image du pays à l'étranger" sont relativement inoffensifs, mais lorsqu'il s'agit d'un sondage commandité et financé par la droite, en pleine campagne électorale, pour apprendre si les Français "pensent que Dominique Strauss-Kahn est victime d'un complot ?", il s'agit bien sûr d'une autre paire de manches !

Selon le duo d'auteurs, Nicolas Sarkozy est "le plus gros consommateur d'études d'opinion de tous les présidents de la République". À l'opposé, il y a eu Raymond Barre, Premier ministre de 1976 à 1981, qui "repoussait avec mépris toute invocation de sondage".

Je présume que le sujet de cet ouvrage n'est pas de nature à emballer lectrices et lecteurs friands de belles-lettres, mais je suis personnellement satisfait de m'être plongé pendant 2 jours dans l'univers particulier des sondages. Alain Garrigou et Richard Brousse n'y ont pas mâché leurs mots et je les remercie pour leur franchise ainsi que pour la clarté de leur exposé, solidement documenté. C'est le genre de livre où l'on se félicite en tournant la dernière page d'avoir beaucoup appris en peu de temps.
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