Entre réalité et fétichisme, mysticisme et archaïsme,
Laurent Gaudé plante un décor effrayant que la présence du désert ne fait que parachever. Dès la première page, la montagne gémit, et fredonne la présence si étrange d'un nouveau-né. Toutes les femmes du clan Djimba ont entendu ce cri, celui d'un bébé qui pleure, mais ses pleurs sont des
cris qui vrillent les tympans et ne cessent jamais.
Il vient de la montagne sans doute, il n'est pas d'ici, et le clan observe le cavalier qui pose l'enfant devant Sissoko, les pleurs et les
cris pourront ainsi s'amplifier pendant des jours repoussant les crocs des hyènes, repoussant la fureur du soleil, repoussant l'ardeur des sables.
C'est une petite fille, je l'appellerai
Salina dit Mamanbala qui lui donnera enfin la tétée.
Ainsi le conte de
Laurent Gaudé s'ouvre sur une terreur indéchiffrable et marque au fer rouge la petite fille, qui ne sera de ce jour, que colère.
Malaka porte en lui toute l'histoire de la petite
Salina devenue au fil des pages la vieille femme rejetée de toutes parts. Sa vie se déplie sur la haine de Khaya et sur l'exclusion du clan Djimba par Sissoko, puis le bannissement, Elle affrontera comme une ultime souillure, le bonheur de ceux qui l'ont banni.
Ainsi le narrateur dresse le récit le plus violent qu'une femme puisse endurer, une violence imaginée pour rendre folle de douleur
Salina, une dégradante douleur irrespirable perverse et malsaine, pas de gifles réparatrices.
Peut-on imaginer qu'être une femme est une bénédiction. Il n'y a pas de bonheur possible pour une femme, car aucun geste gratuit n'est possible.
La réalité dans laquelle s'imprime histoire de
Salina, repose en permanence sur la loi du talion la réparation à la hauteur de l'offense. L'histoire a fabriqué la haine, la montée inexorable de la colère
Salina accomplira le geste le plus funeste pour réparer la mort que son propre fils a infligé à son ennemi.
Elle étouffe l'immense combattant Koura Comba. Lui qui a tué son frère Mumuyé aveuglé par une rafale de sable.
Le conte ne permet aucun compromis, la dernière vertèbre du chef du Clan Sissoko doit peser autant que le dernier né du roi des Djimba
Ce conte, célèbre les femmes rebelles blessées dans leur être, les hommes écartés de leurs terres par le bannissement, un pays aride où le pardon est inconcevable, un clan où la dignité d'une main tendue est suspecte.
La fatalité est implacable, comme une vision de ténèbres où la rédemption exige la mort. Une mort doit être digne et honorable, elle exclut toutes les autres vertus.
Les quelques traces de contemplation ont du mal à passer, les gestes entre Malaka et
Salina trop frêles pour m'apaiser comme lecteur,
"Veillant sur la dépouille avec le silence d'une statue" page 148