J'avais lu Nous, l'Europe de
Laurent Gaudé, épopée poétique et historique sur l'Europe, une vision humaniste de notre continent qui m'avait beaucoup plu.
Avec Salina, je suis plus réservée. le style de
Laurent Gaudé reste celui du conte, de l'épopée, sujet qu'il maîtrise indéniablement. le déroulement des scènes est théâtral, il est cependant difficile de situer le contexte de ce récit tragique : entre la balade africaine ou le conte oriental Des mille et une nuits avec le récit dans le récit. L'auteur, très cultivé, est imprégné des récits mythologiques. Certains passages sont très poétiques « Les journées sont vastes et n'ont besoin d'aucun mot » ou « La liberté que perdent les jeunes filles avec le premier sang »
Une vraiment très belle écriture et une construction implacable du récit, l'histoire débute comme un conte cruel et ce sera ensuite une succession de périples du destin tragique de Salina. Pour avoir lu
Homère et d'autres récits antiques, j'ai trouvé revisité le passage avec la barque pour le cimetière de l'île, qui m'a rappelé les portes de l'enfer,
Le Styx. Les scènes de batailles des frères m'ont fait penser à Remus et Romulus, le bannissement à Oedipe, la vengeance et son impitoyable cruauté à tant de récits déjà lus. L'épilogue semble inéluctablement conduire vers une catharsis, qui a comme modèle le pardon chrétien…
J'ai eu souvent l'impression de lire une histoire cruelle pour adolescents, pour le fond (d'ailleurs ce livre a reçu le prix des lycéens) avec ses nombreux épisodes sanglants.
Ce personnage de Salina ne réussit pas à s'incarner. Peut-être parce qu'elle est racontée et cela la met à distance ou parce que le récit se situe dans un temps immatériel, dans un lieu imaginaire ? Elle est agie par ses fils, par son destin et malgré son courage à affronter les épreuves, elle est restée pour moi un personnage fantôme, un mythe fabriqué. Et cela pose des questions d'ordre philosophique : Faut-il arriver jusqu'aux portes de la mort pour être accepté par la communauté ?
« Elle sait, elle, que la vie se soucie peu de la volonté des hommes, qu'elle décide à leur place, impose, écarte les chemins qu'on aurait voulu explorer et affaiblit ce qu'on croyait éternel."
Notre civilisation a mis tellement de temps à ne plus croire au destin, à la fatalité des Dieux, aux dictats du religieux ou des traditions imposées que je ne peux m'empêcher de considérer cette phrase avec circonspection. Qu'est-ce que l'auteur cherche à nous dire ?