Dans un vide grenier, parmi un monceau de livres au format poche je suis tombé sur un volume de la collection Bibliothèque verte de Hachette. En bon état malgré ses 47 ans passés à bourlinguer de bouquinistes en vide grenier. Assurément ce livre a dû naviguer par bordée pour atteindre ce XXIe siècle sans trop d'encombres. Il flottait au-dessus de livres plus contemporains et c'est son joli dessin de couverture représentant le cotre «Firecrest» sur une mer agitée avec un seul homme à bord qui m'a incité à l'achat. Cet homme c'est l'auteur du livre, Alain Gerbault, un navigateur solitaire à l'ancienne, peu bavard sauf quand il parle de la mer, peu imposant physiquement, mais possédant une volonté et une énergie vitale qui lui a permis de surmonter tous les dangers d'une traversée qu'il est le premier a avoir accompli. Premier navigateur à traverser l'Atlantique à la voile en solitaire d'est en ouest entre juin et septembre 1923, 101 jours en solitaire. Il est aussi le premier Français à achever un tour du monde en solitaire à la voile.
Ce récit lu dans ce format de la bibliothèque verte (et qui ne m'a couté que 20 centimes d'euro) n'a pas manqué de me rappeler ma lecture du livre d'
Alain Bombard « Naufragé solitaire » également paru dans cette collection, une lecture qui remonte à plus de cinquante ans et qui m'a fait découvrir le monde de la mer.
C'est le récit simple et honnête, sans fioriture, d'un exploit exceptionnel. Alain Gerbault tente de nous faire partager son amour de la mer et de son voilier avec lequel il fait corps. La solitude ne lui pèse pas « Les lecteurs de ce récit peuvent penser que cette période de solitude me sembla très dure à supporter : il n'en était rien. le fait que je n'avais personne à qui parler ne me troublait jamais. J'étais accoutumé à être moi-même mon seul compagnon : mon bonheur tenait, en effet, à la grande fascination que l'océan exerçait sur moi. » (Page 97)
Il nous fait quelques confidences sur sa vie et ses pensées pendant la traversée « Seul sur la mer, je regardais la voûte céleste et les mondes de lumière en occupant mon esprit à des considérations sur la faiblesse de l'homme et la pauvreté des systèmes philosophiques ». (Page 99)
Il sait que sa vie est en jeu, mais il l'accepte : « Ni les tempêtes qui déchiraient mes voiles, ni l'eau qui entrait dans la cabine, ni la pluie d'écume qui me fouettait constamment ne pouvaient apaiser mon amour de la mer. Un marin qui traverse seul l'océan doit s'attendre à de durs moments. Les anciens mariniers, qui faisaient le tour du cap Horn, devaient combattre constamment pour leur existence et souffraient plus du froid que moi. » (Page 121)
Il faillit y laisser sa vie plusieurs fois en passant par-dessus bord ou à cause des privations de nourritures et d'eau. Mais chaque fois la providence intervenait sous la forme de poissons volants qui venaient se perdre sur le pont, comme si l'océan jetait quelque nourriture au voyageur solitaire pour le réconforter et l'inciter à poursuivre sa route.
Les conditions dans lesquelles Alain Gerbault a effectué sa traversée n'ont rien à voir avec les conditions actuelles des navigateurs solitaires, le matériel est différent. le « progrès technologique » a transformé les skippers en sportifs de haut niveau sur préparés par des coach et des conseillers nutritionnistes, les bateaux sont bardés de technologies au coût exorbitant et les équipes qui les entourent veillent à tout. Alain Gerbault est parti avec du matériel défectueux, des vivres frelatés et des tonneaux d'eau qui ne pouvaient pas conserver longtemps le précieux liquide. Malgré toutes ces difficultés, il atteint son but, mais combien on périt dans les mêmes conditions ? Comme Ulysse il a fait un long voyage périlleux et a pu revenir à son point de départ, mais à la différence d'Ulysse il ne souhaitait qu'une chose : repartir.
Alain Gerbault (1893-1941) n'était pas seulement un aventurier, ingénieur de formation il était aussi un excellent joueur de tennis, un pilote de guerre (officier de la légion d'honneur et croix de guerre), et un écrivain engagé politiquement.
Le livre est illustré par Paul Durand et contient des cartes et des dessins techniques du « Firecrest », de quoi déclencher des vocations.
— «
Seul à travers l'Atlantique » par Alain Gerbault, Hachette bibliothèque verte (1977), 192 pages.