Procès d'Ovidio Bompressi, Giorgio Pietrostefani et
Adriano Sofri, accusé par un ”repenti” Leonardo Marino du meurtre du commissaire Calabresi, présenté comme le responsable de la mort de Giuseppe Pinelli défenestré dans une préfecture.
Les réflexions méthodologiques et les décryptages des documents par
Carlo Ginzburg sont d'un très grand intérêt et méritent à eux seuls la lecture de ce petit livre.
La lecture précise de l'historien est particulièrement incisive.
Je voudrais souligner d'autres dimensions de l'ouvrage : les comparaisons entre le travail du juge versus celui de l'historien et la similitude de certains aspects de ce procès avec les procès en sorcellerie de l'Inquisition. Les confrontations à travers le temps et entre deux ‘métiers' donnent un éclairage particulièrement riche à la caricature de justice, d'un certain nombre de procès dans l'Italie des années 90.
Sur quelques points, je choisis une simple promenade dans le texte.
Carlo Ginzburg nous rappelle « l'historiographie moralisante inspiré par le modèle judiciaire ». Il y oppose deux ouvrages La Grande Peur de
Georges Lefebvre (1932) et
Les rois thaumaturges de
Marc Bloch ( (1324). « Ces deux livres tournent autour d'événements inexistants : le pouvoir de guérir les scrofuleux attribué aux rois de France et d'Angleterre, les agressions de bandes de brigands au service du ‘complot aristocratique'. Ces événements fantomatiques sont rendus historiquement signifiants par leur efficacité symbolique, c'est-à -dire par leur efficacité symbolique, c'est-à-dire par l'image que s'en faisaient une multitude d'individus anonymes. » Réalités et illusions de la réalité ont des impacts sociaux qu'il est quelque fois bien difficiles de démêler. D'où la nécessaire prudence et le respect scrupuleux, autant se faire ce peut, des procédures aussi bien en histoire qu'en droit.
L'auteur revient aussi sur les théories du complot qui rabotent les faits pour les faire entrer dans une matrice simplifiée et qui toujours nient les conséquences ouvertes des actions entreprises. « Un complot tend presque toujours à en engendrer d'autres : complots véritables qui tendent à le majorer, complots fictifs qui tendent à le masquer, complots de signes contraires qui tendent à le contrecarrer. Mais ce qui est beaucoup plus important, c'est que toute action tendant à une fin – et par conséquent a fortiori tout complot, qui est une action visant des fins particulièrement aléatoires – participe d'un système de forces hétérogènes et imprévisibles. »
Carlo Ginzburg insiste : « le caractère hétérogène des fins par rapports aux intentions initiales est de règle. » En déplaçant l'accent, j'ajoute que trop souvent nous oublions que le déterminisme ne permet aucune prédiction.
La connaissance induit l'erreur « l'erreur n'est pas qu'un risque : c'est une dimension où l'on est sans cesse plongé. La connaissance humaine n'est pas seulement faillible de manière intrinsèque : elle avance grâce à l'erreur, en essayant, en se trompant, en s'autocorrigeant. Erreur et vérité s'impliquent l'un l'autre comme l'ombre et la lumière. » Ce qui conduit l'auteur à souligner « L'erreur judiciaire, fût-elle révocable, se traduit toujours pour la justice par une perte sèche. »
Des considérations bien utiles en marge d'un procès où la raison d'État à prévalu sur les principes de la justice