Ревизорь, c'est l'histoire d'une méprise complète.
Non seulement celle de ce fonctionnaire roublard mais sans le rouble, qui profite de la bêtise de cette petite société provinciale investie de l'autorité et détentrice de quelques biens, où l'on joue les parvenus, s'habille de corruption et s'orne de faux-semblants. Mais où nul ne distingue, dès que l'étiquette est pétersbourgeoise, entre un fieffé menteur et un inspecteur royal. Et pour cause, peut-être ? A moins que cet aveuglement tienne au fait que chacun voudrait en être : de la capitale, autant que du capital ?
Mais c'est aussi la méprise du public qui, dit-on, offrit un succès de scandale à cette pièce hilarante, que
Gogol écrivit, sur recommandation de
Pouchkine, qui se pensait inapte à traiter d'un sujet si comique. Les contemporains de Nicolaï Vassilievitch crurent en effet lire, et plus encore voire (jouer) une satire politique, pour certains à peine respectable. le tsar fut peut-être à l'origine du drame, qui déclara, se dit-il, après la première, et quoiqu'il eût beaucoup ri : « chacun en prend pour son grade, moi le premier ».
Gogol, lui, visait dans sa pièce, cette seule administration de province, pleine uniquement d'elle-même quand elle devrait être au service de tous les autres. Mais n'est-ce pas le propre du vrai talent que de faire peur en touchant juste au-delà même de son intention ?
Gogol le comprit sans doute, qui gagnait alors définitivement sa notoriété et déclara : « maintenant, je vois ce que c'est qu'être un écrivain comique. Au plus petit signe de vérité, vous voyez vous dresser contre vous non pas un homme, mais des corporations entières ».
Cela étant, s'il fut craint des verbeux administratifs de province et d'ailleurs, qui redoutaient de se voir portraiturés en si ridicule posture, il gagna aussi encore un peu davantage l'estime des plus estimables de sa propre profession : de
Pouchkine qui continua de lui donner, outre son amitié, des sujets (et pas des moindres puisqu'il sera aussi l'initiateur des Âmes mortes), à
Dostoïevski qui dira de lui qu'il est celui dont descendent réellement tous les grands noms qui lui succèdent.