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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Tout écrivain porte en lui un livre essentiel , l 'oeuvre où il doit "tout dire ". du jour où il l 'a entrevu , où il a commencé à en prendre conscience ,se pensée ,sa vision du monde et la conception de sa propre vie gravitent autour de ce pôle ; l 'oeuvre devient le symbole de
l'homme , son message .
"Les Ames Mortes "est l 'oeuvre majeure de Gogol ( avec un autre livre :Le Manteau
de quoi s 'agit-il dans "Les Ames Mortes " ? IL s 'agit d un 'escroc ,Pavel Ivanovitch TCHITCHIKOF .Ce dernier a une extraordinaire idée pour faire fortune : il va
racheter des âmes mortes .
Dans l 'ancienne Russie ,les paysans ( les âmes mortes ,comme l 'on disait étaient considérées comme une valeur mobilière : on les vendait ,on les achetait ,et le propriétaire payait un impôt par tête de serf mâle et adulte . le recensement avait
tous les dix ans ,si bien qu 'entre temps il continuait de payer l 'impôt sur tous les serfs décédés de sa propriété .L'idée géniale et magistrale de TCHITCHICOF consistait à racheter en bonne et due forme les âmes mortes depuis le dernier recensement : le propriétaire serait bien heureux de céder un bien fictif et de se libérer d 'un impôt réel et tout le monde y trouvera son compte : rien d 'illégal dans
cette transaction ; et lorsque l 'acquéreur possèderait quelques milliers de serfs , il portait ses contrats à une banque de Moscou ou de St-Pétersbourg et emprunterait sur ces titres une forte somme .IL serait riche et en état d 'acheter des paysans de chair et d 'os !
En conclusion ce livre de Gogol est une satire de la médiocrité humaine et une critique virulente et impitoyable de la Russie tsariste .
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Les Ames mortes (1842) est un ouvrage extravagant et inclassable que Gogol commença dans l'allégresse, sur une idée de Pouchkine et qu'il ne finit jamais. Il préféra semble-t-il brûler ses derniers manuscrits et sombra dans la folie.
« Après le Revizor, écrit Gogol, je me décidai à rassembler en un seul tas tout ce que je pouvais connaître alors de mauvais en Russie, toutes les injustices qui se commettent dans les emplois et dans les circonstances où l'on doit exiger de l'homme le maximum de justice, et une fois pour toutes rire à tout cela ».
Après avoir lu les premiers chapitres, Pouchkine s'exclama : « Dieu que notre Russie est triste ! » Mais Gogol n'a jamais eu l'intention d'écrire un livre réaliste :« Je n'ai jamais aspiré à être l'écho de tout et à refléter la réalité telle qu'elle est autour de nous. Je ne peux même pas, maintenant, parler d'autre chose que de ce qui touche de près ma propre âme » Après la mort de Pouchkine qui le bouleversa, Gogol projeta de racheter son héros dans une seconde partie, puis une troisième à la manière de Dante dans sa Divine Comédie. Mais il n'y parviendra pas. Son échec l'anéantira et il jettera le manuscrit de la seconde partie au feu.
Tchitchikov est un personnage mystérieux. Il voyage dans une britchka brinquebalante en compagnie d'un valet qui pue et d'un cocher qui boit. C'est dans la description de ses domestiques et de leurs chevaux que l'on pressent à qui on a à faire. On ne comprend son projet immoral et sacrilège que peu à peu au fil de ses négociations croquignolettes avec de petits propriétaires terriens. On apprend ensuite qu'il rêve d'accéder au confort bourgeois, à un bonheur assez médiocre somme toute. le lecteur est emberlificoté par ce gaillard car il souhaite malgré lui sa réussite. D'abord son escroquerie semble légère à première vue : faire passer des morts pour des vivants afin d'obtenir des subventions. Ce n'est pas un crime bien terrible, il a même un petit côté folklorique. Et puis les propriétaires avec lesquels il négocie les âmes mortes sont pires que lui, bêtes à manger du foin, grotesques, risibles. Un sacré échantillon, pittoresque et universel, magistralement portraituré avec un souci du détail phénoménal. C'est très drôle. En plus le narrateur nous fait part de ses réflexions sarcastiques mais justes à leur sujet. On se dit c'est bien fait pour eux ! Et on rit de bon coeur, âmes égarées que nous sommes, aidés en cela par les apartés de l'auteur qui en rajoute une couche bien garnie. Mais les tractations bizarres de Tchitchikov ont fini par éveiller les soupçons des notables. le gouverneur mène l'instruction. Mais de quoi l'accuser au juste ? La scène est grotesque et absurde. Une âme n'est pas matérielle, il n'a donc rien dérobé. Il a fraudé le fisc, l'Etat mais il n'a causé de tort à personne en particulier. Ils ont été bernés par plus filou qu'eux c'est tout. Et puis pour l'administration, ce ne sont que des listes, rien de réel. Tchitchikov n'éprouvera jamais aucune culpabilité. Au contraire, à la lecture des noms de paysans et d'artisans sur les listes il a imaginé dégouté et joliment inspiré leur vie grossière de poivrots paresseux. le personnage est méprisable, méchant, diabolique. On rit jaune. On a enfin compris que les âmes mortes, c'est eux, c'est lui, c'est nous.
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Si tant bien portraiturés qu'aussitôt je m'encanaille à les fréquenter, les personnages des Âmes mortes qui rejaillissent sous la plume de l'auteur, puis sous le trait accentué de Marc Chagall, (édition du Cherche Midi) lequel force à souhait, la rondeur, des figures aux caractères, ou brossant le crin de quelque animal. Comme il est plaisant de s'en aller fureter et d'antres se repaître, entre les pages illustrées jalonnant la campagne russophone de Nikolaï Gogol. Chacun reflétant un unique aspect, le très bon Appatov, la mièvre dame Kassolette, ce bandit de Nasov, l'ours grosse pogne Kabotievitch et sa longiligne Théodulie, ainsi que le rustre et avare Pluchkine. Et en avant la troïka : « Allez, mes gaillards » dit Sélifane le cocher, ici, tout vit, du bai, du truité et de l'alezan, l'animal n'est pas en reste, qui des chevaux aux gens de peu ou l'inverse, il n'y a pas d'avant après.
―La clochette sonne à tout va, mélodieuse, l'air déchiré gronde et se fait tempête, tout, tout ce qui est au monde défile vers l'arrière, cependant que, lui jetant des regards obliques, États et nations se rangent pour lui livrer passage…
Ainsi s'achemine une histoire qui n'a pas de fin, telle est la consonance du poème de Gogol qui perdure dans le temps tandis que s'élèvent les âmes et se figent les desseins dans l'imaginaire destination d'un Tchitchikov volant.
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Lorsque j'ai refermé ce livre, il y a longtemps, j'ai pensé: ce Gogol est un génie ! Les âmes mortes, les aventures de Tchitchikov est tout simplement un chef d'oeuvre. La trame de cette histoire est née d'un grand esprit ; les personnages sont réels et absurdes à la fois à tel point que l'humour, mordant et précis, est présent à chaque page. Et que dire des descriptions de la Russie qui nous font aimer ce pays et ses habitants, malgré tout ?
C'est le récit d'une gigantesque escroquerie, réalisée par un héros fin stratège. Quant aux personnages secondaires, ils sont impitoyablement caricaturés par l'auteur : exemplaires uniques d'une humanité moralement monstrueuse. le tout transporté par une écriture d'une pureté intemporelle.
Bref... Un très grand livre, à la fois en dehors du temps et terriblement actuel.
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Drôle de déroulé de lecture que celui de ces Âmes Mortes, réalisée en deux temps, servie par deux supports différents (papier et liseuse), et surtout m'ayant obligé à faire «le grand écart» entre deux des quatre traductions françaises du roman disponibles à ce jour : la plus ancienne, celle d'Ernest Charrière, datant de 1859, et la dernière en date, signée Anne Coldefy-Faucard. (Sans aucune hésitation, je recommanderais au passage, très vivement, la lecture (ou la relecture) du roman dans la traduction remarquable de Mme Coldefy-Faucard, parue en 2005 dans une très belle édition du «Cherche Midi» reprenant les magnifiques illustrations que Chagall avait consacrées au roman en 1925.)

De son vivant, Gogol ne réussira à voir publiée que la première partie de son oeuvre maîtresse, envisagée par l'auteur comme l'aboutissement de son génie littéraire.

Au fur et à mesure de ses longues années d'errements et d'exil volontaire - à la fois extérieur, hors de son pays, en Allemagne et en Italie, mais aussi à l'intérieur de lui-même, par une forme d'exaltation religieuse de plus en plus envahissante - Gogol finirait par vouloir conférer à son roman un caractère grandiose d'épopée homérique dédiée à « l'homme russe » et à «l'âme russe», en trois parties, inspirées de la composition de la Divine Comédie (Enfer-Purgatoire-Paradis).

Alors même que, dans le but surtout de pouvoir contourner la censure très stricte exercée par Pétersbourg, l'auteur avait voulu sous-titrer «Poème» le premier volume publié, essayant à ce moment-là de faire passer pour une allégorie fictive la critique féroce de la société russe et de l'asservissement de la grande majorité du peuple russe que ce dernier comportait, Les Âmes Mortes ressemblant donc, au départ, davantage une farce picaresque calquée sur la réalité du pays, le roman serait néanmoins inlassablement retravaillé et redimensionné par Gogol pour s'achever (« s'inachever » plutôt..!) transformé en un projet mirifique de rhapsodie célébrant un «homme russe» réhabilité et amélioré...

La première partie, l'unique que l'on peut considérer comme ayant été véritablement validée à un moment donné par Gogol, «achevée» indiscutablement par l'auteur, de son âme vivante (en tout cas la moins inachevée possible : roman terminé...roman interminable!!), sera de mon côté, dans l'après-coup de cette lecture quelque peu aventureuse pour moi, la seule que je prends en compte pour décerner ici mes modestes cinq étoiles.
La seule à mon avis où l'on retrouve un Gogol toujours en pleine possession de son talent immense de conteur, maître absolu d'une narration fluide, très agréable à lire, d'un style et d'une technique perlés qui feront date et grâce auxquels le récit se maintient dans un équilibre subtil, dosé parfaitement entre immersion et distanciation critique, le lecteur et son jugement étant régulièrement sollicités et mis à contribution lors des nombreuses et délicieuses digressions qui ponctuent le roman; où l'on retrouve le portraitiste hors pair, ébauchant en quelques touches aussi synthétiques qu'enjouées, des personnages qui s'animent immédiatement devant nos yeux du lecteur, sans jamais déposséder ces derniers de leur caractère humain (personnages qui ne nous sont d'ailleurs la plupart du temps ni complètement sympathiques, ni tout à fait antipathiques ) ou les réduire à de simples caricatures des multiples travers de «l'âme russe » dont l'ouvrage rend un condensé anthologique et à ce jour inégalé; un Gogol dont le goût pour l'ironie, le comique et l'incongru reste intact et n'enlève rien à la pertinence subjacente au propos ou à la finesse de l'analyse critique de la société de son temps.

Et tant pis si à la fin de cette première partie, on quitte notre anti-héros, le retors et roué (mais pas tant que ça finalement !), et très attachant aussi, Tchitchikof, escroc par nécessité de s'élever socialement, chevalier cependant dans son âme, au milieu de la route, avançant sans destination précise dans sa britchka brinquebalante à travers une Russie elle aussi en déshérence, peuplée de fonctionnaires véreux, de nobles désoeuvrés et petits hobereaux exploitant jusqu'à la corde une masse anonyme de serfs - une société de castes féodale, injuste et arriérée, imbue malgré tout de la légitimité de ses valeurs traditionnelles, brandies fièrement face à l'imminence d'un danger qu'elle impute essentiellement à la concupiscence d'une Europe aux portes de l'Empire (le souvenir de Napoléon est encore tout frais dans les esprits !).

Car la lecture de la deuxième partie, pour laquelle je devrais faire appel à la traduction d'Ernest Charrière (celle d'Anne Coldefy-Faucard s'étant prudemment limitée à la première partie) serait en comparaison une immense déception : un collage de chapitres peinant à faire corps, ne serait-ce que du point de vue du style, un récit en perdition, par moments très maladroit, expéditif et, nonobstant le rafistolage décomplexé et les greffes sauvages appliquées par les bons soins de notre Monsieur Charrière, abscons quelquefois et incohérent.

Mis à part l'intérêt que je reconnaitrais volontiers à ces fragments et chapitres inachevés en termes d'étude et d'analyse critique de l'oeuvre de Gogol, je dois avouer que j'ai vu mon intérêt personnel et mon plaisir de lecteur se corroder sensiblement au fur et à mesure, jusqu'à pratiquement disparaître vers la fin de cette deuxième partie. Mis à part, enfin, le fait que l'on retrouve à quelques passages, momentanément, le Gogol de la première partie, la plume perd souvent et très sensiblement son acuité, la précision du trait et sa luminosité, envahie de plus en plus par une sorte de grisaille morale et édifiante, se terminant (en tout cas dans l'édition plus ou moins trafiquée que j'ai lu) par un enchaînement invraisemblable de B.A. et un simulacre de happy-end franchement imbuvable!

L'ambition obsédante de créer une oeuvre totale, révélant symboliquement à l'homme russe l'enfer auquel le conduirait inévitablement les bassesses d'une âme pervertie, ainsi que les épreuves à traverser afin de s'élever, moralement et spirituellement, individuellement et collectivement, pour conforter la grande Russie dans la place importante qu'elle devrait jouer dans le concert moderne des grandes nations du monde, aurait-elle condamné un Gogol désormais en perte de vitesse, devenu mystique, emphatique et tourmenté, à être lui-même rattrapé par quelques-uns des principaux travers de l'âme russe dont son oeuvre n'avait pourtant cessé de vouloir prendre de la distance par le passé ?
Condamné dorénavant à écrire et à réécrire, à perte, différentes versions de son «chef-d'oeuvre», y compris des passages entiers de la première partie publiée (qui ne seront d'ailleurs pas tous forcément insérés dans les éditions et/ou traductions en langue étrangère postérieures ), avant de terminer, à deux reprises au cours des dix dernières années de sa vie, la deuxième juste avant de décéder prématurément, épuisé physiquement et moralement, à l'âge de 42 ans, par brûler pratiquement la totalité de ses cahiers et notes personnelles consacrées à son projet mirifique.!!

Ô Russie, tes fils seraient tous condamnés à être «des locataires d'une maison en feu» ?

Après sa mort, des notes et de fragments ayant miraculeusement échappé au dernier autodafé perpétré par Gogol seraient retrouvés, mis côte à côte, des chapitres et paragraphes, la plupart du temps incomplets, fragmentaires, assemblés.
Il semblerait d'ailleurs qu'un nombre important de manuscrits auraient circulé à l'époque parmi le public, quelquefois raccommodés afin d'être publiés par des revues. L'on peut alors légitimement s'interroger si, de ce fait, quelques rajouts et autres raccords entre chapitres n'auraient échappé à la vigilance du réputé pourtant scrupuleux premier éditeur russe ayant réuni en un seul texte «complet» les deux parties du roman, M. Trouchkovski. D'autre part, en 1857, un autre auteur, Vastchenko Zakhartchenko, publierait un livre intitulé “Continuation et Conclusion des Âmes Mortes”, apportant une pierre supplémentaire à l'édifice factice qu'on avait commencé à élever à l'oeuvre, tout à fait à rebours, hélas, des dernières volontés de Gogol...

Et puis, il y a aura, bien sûr, les versions en langue étrangère qui s'en suivraient assez rapidement, à une époque où le principe de la plus grande fidélité possible au texte original était encore loin de constituer une règle sacrée en matière de traduction, ce qui donna probablement l'occasion à toute une série d'éventuelles retouches plus ou moins importantes aux fragments originaux assemblés pour la deuxième partie du roman, à l'instar de notre désinvolte Ernest Charrière, qui ne se gêne aucunement, dans l'une de ses nombreuses et éclairantes notes de bas de page à sa traduction française de 1859 (note 140) de reconnaître, par exemple, qu'un fragment étant fort abrégé, «le caractère et les sentiments de Mouzarof [un des personnages clés de la deuxième partie] nous ont paru mériter ici quelques développements»(!!!).

Si tout ce que je viens d'évoquer est certes aussi sujet à caution, issu en grande partie de ma curiosité dilettante éveillée par une expérience particulière de lecteur, en définitive je ne peux que sourire à l'idée d'avoir en quelque sorte vécu, mutatis mutandis, une expérience de lecture en miroir avec l'histoire accidentée et confuse d'un des plus grands classiques intemporels de la littérature russe !

Lecture que je finirais, d'ailleurs, ironie des choses, en me disant, alors que j'éteignais dépité ma liseuse : «Voilà, tu as réussi à faire comme Tchitchikof. Pour seulement 1,99 €, tu as acheté à Kobo(vitch) l'âme morte de Gogol

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Comment se sent-on en refermant Les âmes mortes?
Epuisé par le chemin parcouru sur les routes de la grande Russie, bringuebalé d'isba en domaine seigneurial aux côtés de l'intrigant Tchirchikov, embarqué dans une quête éperdue autant des âmes mortes de moujiks que de sa propre âme;
Vivifié par la Nature immense, âpre et généreuse, et par les parfums d'humus, de vodkas et de pin qui exhalent à chaque page tournée;
Riche des innombrables rencontres faites avec une mosaïque de personnages de tous statuts, de toutes natures, qui fonctionnaire, qui propriétaire foncier, qui serf, qui jouisseur impénitent, qui profiteur décadent, qui avare décrépi, qui amoureux de la terre, du vin ou de l'or, formant tous ensemble une peinture magistrale de "l'âme russe";
Dépité de souvent la voire dépeinte en roman, cette âme russe, sans pouvoir réellement la pénétrer;
Excité par les facéties de l'auteur et les rebondissements qu'il apporte au récit;
Fasciné par l'ampleur de la mission qu'il s'est donnée pour cette oeuvre, pan-roman que seuls les grands auteurs russes savent concevoir;
Frustré de son caractère inachevé;
Reconnaissant au grand Gogol d'avoir déjà, avec ce qui existe de l'oeuvre, richement et durablement nourri son lecteur.

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Pouchkine, mentor de Gogol, lui révèle un commerce légal et pourtant parfaitement répréhensible : dans les terres marécageuses du Sud de la Russie, terres nouvellement colonisées, que l'on peut acheter pour rien, il suffit de peupler par des âmes mortes, celles de serfs décédés entre deux recensements, et pour lesquels l'ancien propriétaire doit payer jusqu'au prochain recensement une « capitation » à l'Etat. Peupler des terres arides avec ces âmes donne lieu à des prêts. Tout à gagner, rien à perdre.

Voilà Gogol s'emparant de cette anecdote sans doute connue par beaucoup, mettant en scène le fameux acheteur et amplifiant son propos par une description en règle de la corruption, de l'indigence intellectuelle, de la médisance, de l'envie, de la méchanceté des habitants d'une petite ville de Russie.
Lui même paraît dépassé par ce tableau sombre et totalement drôle, comme si il avait franchi des limites et que son « poème » comme il dit pourrait paraitre antipatriotique. D'ailleurs, ces scrupules arrivent bien tard, parce qu'il n'a pas cessé de lancer des piques du style « il était Russe et de plus en colère » ; ou : « il ne travaille pas à la moscovite, à la va-comme-je-te-pousse. » « le peuple russe a des mots à l' emporte-pièce » « En Russie, quand un homme du peuple se gratte la nuque, ce geste signifie tant de choses ! », et de comparer la culture des villes dans lesquels il vit quand il écrit son livre, Vevey, Paris, Rome, avec la Russie.

Les Russes, buveurs, profiteurs, filous, et surtout, surtout, les serfs,- disent les petits propriétaires, gouverneurs, directeurs divers, tous les nantis,- bien entendu les serfs, « franches canailles, comme d'usage » note en catimini Gogol, sont simplement montrés dans leurs réactions devant l'acheteur d'âmes mortes. Ce n'est pas du tout un problème moral pour eux, juste ils se demandent ce qu'ils vont y gagner. Et se pose bien entendu la situation de ces serfs achetés et du danger qu'ils représentent. « Pour extirper chez cette canaille l'esprit de rébellion, on proposa alors différentes mesures, les unes assez anodines, les autres par trop sévères ».
Non, répond l'acheteur, ces paysans sont de nature pacifique,( pour sûr) pas de souci à se faire : « la perspective du voyage les enchantait ; aucune rébellion n'éclaterait parmi eux.»

Heureux sont les écrivains qui s'adonnent à la peinture des âmes nobles, soupire Gogol.. Sauf que cette chance ne lui a pas été donnée, et là, l'ironie devient dramatique ; « à travers un rire apparent et des larmes insoupçonnées »il est de ceux qui ose remuer la vase des bassesses où s'enlise notre vie, et très certainement, il ne connaitra pas la gloire, la reconnaissance, les applaudissements populaires. (voir citation)

Recours littéraire qui renforce l'ironie : non seulement Gogol aimerait mieux écrire sur des âmes nobles que sur des âmes mortes (image des avares, joueurs, ou même simplement mangeant/dormant, donc à moitié morts), mais il prend à témoin le lecteur, il lui demande s'il doit oui ou non décrire tel objet, ou entrer dans le détail des caractères des dames : puis il répond, non, ce serait par trop indiscret…. Cependant il le fait, d'une manière détournée.
Il fuit à l'étranger, et il essaie d'écrire, sans grand succès, une deuxième partie plus favorable, où les qualités des humains priment sur leurs travers.

Il sait ce qui l'attend, les critiques des soi disant patriotes qui amassent des capitaux, se font servir en rognant sur la nourriture et les chaussures de leurs serviteurs, font leur pelote aux frais d'autrui, mais vont s'offenser devant cette vérité amère, « accourent comme des araignées qui voient une mouche prise dans la toile, et s'exclament tout d'un coup : « Est il bon de le faire savoir, que diront les étrangers ? »
Cette image des mouches revient souvent dans cette première partie des « Ames mortes », quand l'anti héros voit les habits des danseurs dans le bal du gouverneur, les mouches qui le réveillent en lui rentrant dans les oreilles, les yeux et le nez, et la mouche écrasée par dépit lorsque son plan ne réussit pas.
Pour nous, lecteurs occidentaux, pour qui le servage est une affaire ancienne, nous goutons le brûlot de cette description et de l'apparent repentir de Gogol. Il ne raille jamais, ne caricature pas, n’est jamais blessant ou sarcastique, il décrit, tout simplement , innocemment, les bas côtés de certains humains. Et nous rions pour ne pas pleurer, car c'est vraiment très très drôle.
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Cette version publiée chez Verdier poche, est celle qui a bénéficié d'une nouvelle traduction d'Anne Coldefy-Faucard en 2005 et concerne le premier tome seulement.
Avec Les Âmes mortes, Gogol nous plonge dans la Russie du XIX siècle et s'empare de personnages hauts en couleur, des notables aux serviteurs en passant par les petits fonctionnaires, il y dépeint les travers et la médiocrité des personnages, les propriétaires terriens pour certains bambocheurs, joueurs et querelleurs comme Nasov, pour d'autres comme Pluchkine plus avares qu'Harpagon, mais tous laissant leurs domaines allant à vau l'eau...Les soirées chez le gouverneur, président du tribunal, procureur ou chef de la police, sont autant d'occasions pour y décrire toute une société de province peu érudite, naïve, prête à être séduite par le premier venu qui passe - Tchitchkov en l'occurrence - un petit combinard qui souhaite acheter les âmes mortes - les paysans attachés au domaine des propriétaires et décédés - et ce, avant le prochain recensement, un projet dont je l'avoue, je n'ai pas compris la finalité, mais là n'est pas l'intérêt car le coeur du propos c'est la fresque sociale que Gogol nous offre...
Les Âmes mortes est une peinture sociale humoristique de la Russie provinciale du XIXème siècle que Gogol nous décrit avec toute sa verve et son style léger, une image de cette Russie encore féodale et cruelle, une Russie vérolée par les petites affaires de chacun, agissant pour leur propre intérêt, dans la démesure et dans l'instant sans penser aux lendemains qui déchantent, quelques facettes peut-être de l'âme slave.
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C'est Pouchkine qui insuffla l'idée des Ames mortes à Gogol, et Gogol va y travailler avec acharnement.
Gogol est vraiment « génial » il a écrit là, une critique savoureuse et drôle de la société russe. Cette oeuvre il n'a pas cessé de la remanier toute sa vie, 17 ans de travail et jamais satisfait, il a brulée la deuxième partie puis réécrite mais jamais terminée.
Tchitchikov « un noble de troisième main », un personnage quelconque un petit escroc va arpenter la campagne russe à la recherche « d'âmes mortes », des serfs décédés mais considérés vivants par l'administration. Car, le nombre d'âmes déterminait la valeur de la terre.
Ce récit est une épopée vivante et très détaillée, dans ce commerce ubuesque Gogol sonde l'âme humaine avec beaucoup de réalisme, et, un humour amer et grinçant, ses portraits satiriques sont cocasses et finalement pour certains terriblement contemporains. Tel celui de la veuve méfiante, craintive et suspicieuse, qui, après maintes hésitations tombe finalement dans le piège de l'escroc.
Gogol a aussi le génie d'interpeller constamment le lecteur et de créer ainsi une belle connivence.
La lecture de cette grande oeuvre malheureusement inachevée est vraiment jubilatoire ! Et Gogol a écrit : « Ma dernière oeuvre c'est l'histoire de ma propre âme »
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« Tchichikov ne savait où se fourrer. « Croiriez-vous, Excellence, continuait l'autre ; quand il m'a demandé de lui vendre des âmes mortes, j'ai failli crever de rire ! Et maintenant, qu'apprends-je ? Monsieur a acquis pour trois millions de paysans, des colons, soi-disant ! Beaux colons, ma foi ! Mais ce sont des morts qu'il a voulu m'acheter ! Ecoute, Tchichikov, tu es une canaille, parole d'honneur, une franche canaille ! Je te le dis devant Son Excellence… Pas vrai, procureur ? » le procureur, Tchichikov et jusqu'au gouverneur perdirent contenance à ne pouvoir souffler mot. »

C'est une autre franche crapule qui s'exprime ici, Nozdriov. Il rage de ne pouvoir comprendre à quoi l'achat de serfs morts peut bien servir. Il flaire de conséquents bénéfices à la chose et aimerait faire de même. Mais Tchichikov est un malin, apte à se tirer de toutes les situations embarrassantes auxquelles il sera confronté dans la première partie de ce magnifique et piquant roman, publiée en 1842. Beaucoup de personnages hauts en couleur font tout le charme de ce livre, qualifié de poème par son auteur et dont le sujet lui avait été donné par Pouchkine. Il faut dire qu'alors, en Russie, les grands propriétaires vendaient leurs terres avec leurs bâtiments, et, à peine mieux considérés, les serfs qui leur appartenaient légalement et sur lesquels ils payaient des taxes.

Nicolas Gogol avait envisagé un roman en trois parties. Malheureusement on observe ici un exemple étonnant d'une oeuvre qui a tué son créateur : devant des assauts critiques et politiques assassins, peu assuré de son talent, dépressif et tombé dans un fondamentalisme religieux extrême, il a passé ses dix dernières années à réécrire inlassablement ce qui aurait dû être une conclusion morale à la conduite immorale de son héros. Seuls quelques chapitres de la seconde partie avaient été révélés avant que Gogol ne brûle le tout quelques jours avant sa mort, en 1852.

Quel dommage qu'une oeuvre aussi pleine de vie n'ait pu trouver une pleine conclusion. Mais, il ne faut pas s'y tromper, ce roman vaut encore le détour tel qu'il est ! Difficile de le lâcher avant la dernière bribe. Cette édition folio classique comporte un bel appareil critique, une biographie de l'auteur ainsi que diverses annexes bien utiles.
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