Passionnée par les récits de vies et autres témoignages liés à la Seconde Guerre mondiale et à la Shoah, je ne pouvais pas ne pas m'intéresser à l'histoire vraie de ce couple français Madeleine (née en 1921) et Jacques (né en 1920) Goldstein pris dans la tourmente de l'Histoire et conduits en 1944 à Auschwitz-Birkenau, parce que Juifs et Résistants.
Cette histoire a été racontée par eux et écrite avec la collaboration de
Serge Filippini (romancier né en 1950). Jacques ne signera pas ce livre ni n'aura le plaisir d'en voir la concrétisation (il est publié en 2006) car il mourra le 28 juin 2005. Madeleine est donc la narratrice principale du livre.
Ils sont amoureux (une évidence pour eux depuis leur première rencontre à douze et treize ans), ils se marient, eurent une enfant Rosette qu'ils cachèrent à temps... puis confrontés aux événements de l'Histoire en marche, ils s'engagèrent pour leur pays, la France sous leurs noms de guerre "Fallin" et "Mado avant d'être pris, emprisonnés, interrogés, torturés, déplacés, puis transportés - dans les conditions que l'on sait - dans un train pour ce qui aurait dû être leur dernier voyage.
Ils sont alors âgés de vingt-quatre et vingt-cinq ans.
Mais, comme le précise
Jean-Pierre GUENO dans sa préface : "Ils allaient survivre au tri qui, sur le quai enverrait 96,4 % des déportés du convoi 72 à la mort - 967 personnes sur 1004..."
Sur la rampe de Birkenau, avant d'être séparés (les hommes d'un côté, les femmes de l'autre), ils se font une promesse : "
On se retrouvera"... Même s'ils avaient à coeur de la tenir, jamais ils n'auraient pu imaginer que, après de multiples péripéties et après avoir frôlé la mort à plusieurs reprises, subi la faim et le manque d'hygiène criant, ces retrouvailles deviendraient une réalité. N'avait-on pas dit tout de suite à Madeleine que son mari était très certainement "parti en fumée" ?
Et J.P. Guéno de préciser : "Après avoir vécu à Auschwitz, Jacques vivrait à Buchenwald. Après avoir survécu à Birkenau, Madeleine survivrait à Ravensbrück. A la "libération" des camps, ils subiraient l'un et l'autre les tracasseries, les mésaventures, les interrogatoires. Pour se retrouver, de façon presque miraculeuse, dans le tambour vitré de l'entrée principale de l'hôtel Lutetia, au coeur de Paris !"
En quoi cet énième témoignage est-il différent des autres ? Il est différent car, à mon sens, il est résolument optimiste. Car ont été rares les couples partis ensemble à être revenus, tous les deux, de l'horreur... et qui ont pu, après, poursuivre leur vie ensemble. Car, en déplaise aux esprits chagrins, c'est une brillante démonstration que l'AMOUR a triomphé de la HAINE et de la MORT. L'homme et la femme dont il est question en ressortent grandis, de même que l'humanité tout entière. D'ailleurs, Madeleine indique : "Nous avons brisé la chaîne du malheur. Nous sommes la preuve que tout peut arriver. Oui, tout. Même le meilleur."
Par la voix de Madeleine (dont le registre de langue est simple, clair et factuel, sans pathos), le lecteur apprend la chronologie de l'histoire familiale de Jacques (famille d'origine polonaise ayant émigré en France) et la sienne. Il cerne les personnalités des deux enfants, puis adolescents avant et après leur rencontre. Puis, leur évolution en temps que couple (ils se marient le 5 octobre 1939) puis parents (leur fille naît 21 mars 1940), avant de devenir Résistants. Après quelques mois d'engagement altruiste et dangereux, ils s'exposent et sont pris dans les mailles d'un filet qui leur a été tendu. Bien qu'ils sachent que les populations embarquées dans les trains qui partaient n'en revenaient pas, ils ne s'attendaient pas à basculer si brutalement dans l'enfer. S'ils n'en prirent pas conscience tout de suite, ils surent très vite à quoi s'en tenir de la part de leurs bourreaux.
Madeleine poursuit son récit et raconte ce dont elle a été témoin et la façon dont, bon an mal an, elle est parvenue à survivre. Elle raconte aussi ce que Jacques a vécu de son côté et comment il a pu, avec d'autres, retrouver le chemin de son pays. Mais, considérant la chance qu'il ont eue de survivre, ils ne s'étendent pas trop sur ce qu'ils ont vécu et font plutôt le choix d'avancer déterminés vers un avenir qu'ils veulent serein et qui, hélas, leur apportera quand même son lot de malheur, notamment après la mort accidentelle de leur fille Rosette et la survenue de la maladie chez Jacques.
Par ailleurs, et beaucoup plus tard, comme beaucoup d'autres survivants de la Shoah, s'est posée pour eux la question de témoigner (ou pas) pour les jeunes générations. Refusant les thèses négationnistes de plus en plus vivaces dans le pays et constatant, hélas, que l'antisémitisme était toujours présent et agissait dans l'ombre, ils s'engagèrent tous deux, au début des années 2000, auprès des collèges et lycées de France pour expliquer ce qu'ils avaient vécu et attirer l'attention des jeunes sur la toujours possible résurgence de la bête immonde. En 2004, ils ont participé au documentaire de Patrick Rotman Les Survivants, diffusé sur France 3. Ils donnèrent par ailleurs de nombreuses interviewes, à la fois publiées dans la presse écrite ou par vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.
Il me semble que ce roman, plus qu'un autre, devrait pouvoir être rendu accessible aux jeunes générations. Il explique clairement, factuellement, ce qu'une famille française a pu vivre sous le joug de l'occupation allemande, parce que juive et, accessoirement aussi résistante. C'est un témoignage facile à lire, factuel et émouvant, mais c'est un aussi témoignage qui n'insiste pas trop sur les aspects horribles des camps de concentration. Il informe sans nécessairement choquer outre mesure. Il évoque les faits de résistance dont Madeleine et Jacques ont été les acteurs modestes mais néanmoins héroïques, actes qui peuvent contribuer, par la prise de conscience des enjeux, à l'éducation citoyenne et militante des jeunes. Il donne à avoir aussi les difficultés rencontrées par les ex-déportés à leur retour en France. C'est trop souvent un point passé sous silence. Et puis, c'est une très belle histoire d'amour comme il en existe peu. Alors, pourquoi se priver de cette émotion ressentie à l'évocation de ce bonheur partagé et retrouvé ?