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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"Le sublime et le ridicule sont si proches qu'on ne saurait les séparer."
(T. Payne, "L'âge de raison")

Un beau jour de l'année 1937, l'Absurdité est sortie se promener, et en chemin elle a rencontré Witold Gombrowicz. Ces deux-là s'entendaient à merveille. Ils ont fait un bout de chemin ensemble, et ils ont conçu "Ferdydurke", un livre qui donnerait à Platon des convulsions de volupté dans sa tombe.
Ah, cet unique, inclassable et déconcertant Gombrowicz ! Son "Ferdydurke" est un dialogue (souvent même une violente bagarre) entre la maturité et l'immaturité, le sérieux et le ridicule, le moderne et le ringard, le fond et la forme... et il est difficile d'y choisir son camp avec certitude.

Pourtant, avec ma copine HordeduContrevent on s'est épistolairement surpassé afin de trouver un semblant de sens à l'absurdité de cette histoire. Mais même en dialoguant avec entrain, en analysant, synthétisant, déduisant, et en tombant d'accord sur tous les points, l'impression finale était que la seule chose dont on peut être absolument sûr, c'est qu'on n'est sûr de rien. Sauf, peut-être, que malgré son pessimisme, le livre de Gombrowicz reste terriblement drôle (sachant encore une fois que n'importe qui peut me contredire). Et que quoi qu'on fasse, le monde sera à jamais dominé par le gigantesque et monstrueux "cucul", suspendu comme l'épée de Damoclès au-dessus de nos pauvres têtes et risquant de tomber n'importe quand sur n'importe qui, malgré toutes les "gueules" sérieuses que l'on peut se composer en tant que bouclier contre le ridicule.

"Au milieu du chemin de ma vie, je me trouvais dans une forêt sombre. Cette forêt, qui pis est, était verte !"

Le cauchemar de Joseph, un trentenaire immature, devient réalité : il se fait rabaisser et infantiliser par le professeur Pimko, un pédant suprême, et celui-ci, comme par enchantement, le fera revenir au lycée, au milieu d'autres adolescents. L'âge incertain où on essaie de jouer aux adultes, souvent en nous composant une improbable "gueule", une forme qui dénature le fond, ce qui est démontré à merveille dans le mémorable passage sur le concours de grimaces.
Mais à quoi ressemble donc la "gueule" de l'authentique maturité ? Est-ce l'innocence représentée ici par un simple "valet de ferme", la "modernité" de la famille Lejeune, ou un idéal impossible à atteindre, une sorte de "non-gueule" ? Tous les personnages du roman, peu importe leur âge et leur position, changent de "gueule" au besoin et se font "cuculiser" à leur tour par les autres.
Joseph (désormais Jojo), succombe aux charmes d'une "lycéenne moderne", à son apathie moderne et à ses mollets modernes, et même sa propre contre-magie - mouche morte, mendiant avec une branche verte dans la bouche et fausses lettres d'amour - ne peuvent rien y faire. Il s'échappe vers l'innocente pureté de la campagne, avec le même résultat. le "cucul" que lui a collé Pimko le suit partout, jusqu'au férocement pathétique ultime paragraphe.
Il est impossible de ne pas apprécier le héros principal : son slalom entre les clichés de l'immaturité est vraiment déprimant, mais ses réflexions et ses incertitudes vous malmènent le diaphragme. Les livres drôles se font aussi rares que le précieux safran, et Gombrowicz ne lésine pas sur la quantité ni la qualité de ses épices.
En prime, il nous met au plein milieu du roman deux préfaces et deux autres histoires sans aucun rapport évident avec le récit principal, et ça ne le gêne même pas. le lecteur non plus, d'ailleurs, car ces ajouts sont excellents. Dans la foulée, il lui pardonne aussi le titre qui ne veut absolument rien dire.

Quoi qu'il en soit, cette lecture en duo nous a permis de discuter sur le "message" du roman, que Chrystèle vous dévoile en détail dans sa critique. Je dirais aussi que comme d'habitude, Gombrowicz met toute morale en boule quelque part au fond de son tiroir à chaussettes. Il n'y a que la petite dédicace ironique, enfantine et formidablement "immature" adressée à la fin comme un pied-de-nez au lecteur (dans la version originale le traitant carrément de "nigaud") qui m'a fait changer d'avis. Avec son "Zut à celui qui le lira", Gombrowicz se moque en même temps du lecteur et de ses critiques qui lui ont autrefois reproché le manque de maturité, et il revendique l'immaturité assumée comme l'arme ultime contre l'omniprésent "cucul".
La morale de son roman serait donc qu'on devrait peut-être arrêter de tout prendre au sérieux, ce roman y compris. Gombrowicz se compose la "gueule" d'un grand écrivain, nous sert une histoire absurde au titre improbable, et les nigauds que nous sommes vont lui coller en souriant presque 5 étoiles ! C'est drôle. C'est triste... Au final, j'en sais toujours rien, mais j'ai quand-même envie d'applaudir.

Car quel voyage, mes amis ! Professeur Pimko, Mientus, Kopyrda, la lycéenne moderne, la famille Lejeune, tantine, bonbons, tonton, mollets, mollets, mollets, oreilles, gueules, chiens, valets... La tête et le cucul m'en tournent encore !
Grand merci à Chrystèle pour monter avec moi dans cette voiture polonaise : l'auteur conduit vite mais bien, alors on n'avait même pas besoin de sortir nos sachets en papier... que ce serait ridicule ! Tout juste bon pour les enfants...

"Koniec i bomba, a kto czytał ten trąba!"
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Un jour récent, où je gémissais de douter de mes opinions dès que je les avais formulées et de n'avoir de toute façon que des opinions qui m'avaient été imposées ou enseignées, un ami m'a mis Ferdydurke dans les mains en guise de consolation (et peut-être aussi pour avoir la paix).

La dimension fabulaire du roman invite à interprétation. Je lis ici qu'il peut s'agir du destin de l'individu face au régime totalitaire qui lui impose ce qu'il doit dire ou penser, en l'infantilisant ; c'est tout à fait possible aussi. J'ai quant à moi tout envisagé comme un asservissement volontaire à l'opinion sociale, comme cela peut être décrit chez Goffman - que je révère : nous nous efforçons sans cesse de correspondre à ce que l'autre attend de nous, non pour lui faire plaisir, mais pour conserver l'image sociale qui nous est initialement octroyée. Goffman, en réalité, ne s'intéresse jamais à la « vraie » personnalité de quelqu'un ; à la limite, pour lui, elle n'existe pas, de même que je me plaignais à mon ami de ne pas penser « vraiment ».

Ainsi, le héros de Ferdydurke n'agit qu'en relation avec la façon dont les autres l'envisagent. Devant un vieux professeur, il devient un jeune étudiant ; considéré comme un classique, il le devient instantanément ; devant une jeune fille, il devient amoureux. En réalité, il ne le devient pas « vraiment » mais - malgré tous ses efforts - il ne peut pas faire autrement que d'agir en ce sens. Cette sorte d'emprisonnement dans un masque - appelé « gueule » dans le texte - se manifeste de façon très physique. Par exemple, présenté de loin à une dame comme un poseur, le héros se rend compte que quoi qu'il fasse de son corps, cela sera interprété comme une pose ; plus loin, quatre personnages se rencontrent dans le noir et restent totalement immobiles, comme statufiés jusqu'à ce qu'ils puissent reconnaître la personne qui, face à eux, leur permettra de savoir comment agir.

Parallèlement, puisque chacun doit être rapidement évalué par les autres, se construit un monde hilarant où les opinions, les sentiments, toute forme d'actions sont rangés selon des cases simples : on est innocent/idéaliste ou gaillard ; cucul (mièvre, enfantin) ou adulte ; moderne ou classique ; maître ou serviteur ; tenant de l'ordre ou contestataire etc. Une fois reconnus comme appartenant à l'une ou l'autre case, les personnages accomplissent toutes les actions correspondantes avec une sorte d'empressement anxieux. Les maîtres par exemple frappent et donnent des ordres sans cesse pour maintenir leur autorité. Dans ces conditions, toute tentative de raisonnement devient une tautologie : pourquoi le maître frappe-t-il ? Parce qu'il est le maître. Pourquoi le grand poète émeut-il ? Parce qu'il est un grand poète. Ce n'est pas exactement un monde dictatorial ; mais ça a à voir avec le monde que nous propose actuellement le marketing appliqué à tout ce que nous sommes.
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Une fois qu'on a réussi à pénétrer cet univers, on est fasciné. Beckett, Ionesco, Kafka avec une férocité qui déconstruit la société, la littérature, le roman. Une impossible fuite des carcans infantilisants et de la violence contre les individus. Roman du désordre, de l'absurde, de la violence de notre monde avec sa gueule abominable et son cucul pédagogique qui réduit la vie à une suite d'automatismes. Top 100 des livres à lire !
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(lu il y a 4 mois - Traduction de George Sédir)

P.55 « J'avais la conviction que, si la réalité pouvait en un seul instant recouvrer ses droits, le caractère grotesque de mon incroyable situation deviendrait si manifeste que tous s'écrieraient :

« Qu'est ce que cet homme mûr fait ici ? »

Mais l'étrangeté générale étouffait celle de mon cas particulier. Oh, montrez-moi seulement un visage qui ne soit pas déformé, qui me permette de discerner les grimaces du mien ! Mais on ne voyait à la ronde que des visages disloqués, laminés, retournés, dans lesquels le mien se reflétait comme dans un miroir déformant, et ces reflets savaient bien me retenir ! Rêve ou réalité ? »

Ferdydurke est il capable d'échapper à la forme ? Lui est-il possible de refuser d'imploser de lui-même lorsqu'il est soumis à une très forte caractérisation ? Dans ce cas, toute tentative de l'estampiller, y compris avec la même férocité que l'édition contemporaine, devrait être vaine. C'est ce que nous allons voir !

*** Commençons par flatter lourdement le contenu de l'ouvrage ***

Ce livre est une merveille, et ça casse la baraque !
Gombrowicz rappelle par combien de « gueule » et de « cul-cul » il faut passer, et met le doigt sur une souffrance élémentaire et primordiale de l'humanité. le livre décrit une guerre : celui de l'individu contre la saleté intellectuelle du monde.

Ferdydurke, c'est en somme le récit de l'homme se débattant non pas contre des forces qui le dépassent, mais contre sa propre médiocrité.

*** Réalisons maintenant un petit résumé avec une image choc, quelque chose qui passerait bien à la télévision ***

Il s'agit d'un livre purement humain, original et profondément novateur, qui procède d'une vision du monde que l'on pourrait désigner comme une « absurdité réaliste », dans laquelle les composantes physiques des personnes et de la société se seraient gonflées ou ratatinées selon des dimensions purement intellectuelles. le monde que l'ont voit par Ferdydurke, c'est un peu comme ces dessins de personnages absurdement déformés montrés par les neurochirurgiens représentant les membres humains avec des échelles proportionnelles aux nombres de leurs connexions dans le cerveau.

***Ah ! Comme c'est synthétique ! Un vrai Philidor n'aurait pas fait mieux. Adoptons, pour nous amuser un peu, un point de vue analytique à présent : ***

L'académisme poussiéreux, les critiques littéraires, mais aussi l'élite intellectuelle emprunt de snobisme et de modernisme sont visés par les fantaisies de ce livre. On retrouve également une dénonciation des antagonismes maitre-valet, professeur-élève et moderne-ancien. Ainsi, le maître n'agit en maître uniquement parce que les regards que lui porte son valet lui apparaissent séduisants, le professeur n'enseigne que pour combler une ignorance qu'il a lui-même suggérée par l'effet de son pédantisme, etc…

*** Oh ! Voila notre livre qui se déchire en morceaux, les feuilles éparses s'envolent au vent ! Il est urgent de jouer les pédants, à la manière de T. Pimko, pour le maintenir dans son unité ***

C'est avant tout une dénonciation de la sclérose de l'activité artistique. On comprend que la Pologne soit engoncée dans un académisme bon teint lorsque l'on sait que son ère romantique, qui constitue la période héroïque de sa littérature, a été l'occasion d'une certaine surenchère patriotique et mystique. Citons les noms d'Adam Mickiewicz qui s'est en effet imposé comme le chantre de la destinée de son Pays et Zygmunt Krasinski qui a fait de la Pologne rien moins que le « le Christ parmi les nations ».

***Maintenant que nous tenons cette masse de feuillets agrafées, tentons d'en tirer monnaie sonante et trébuchante en adoptant un point de vue purement utilitariste : ***

Entamer un argumentaire face à un personne qui puiserait ses répliques dans Ferdydurke, c'est un peu comme s'attaquer à un disciple de Krav Maga, vouloir sculpter de l'eau, réaliser un collier de perles avec des mains savonneuses. Il s'agit du joker affable et souriant dans le paquet de cartes de la littérature.

*** Voici que notre livre est devenu utile ! Comme cela est froid et moderne ! A l'image du mollet de la jeune Zuta. Pour finir, livrons nous, comme tout commentateur contemporain qui se respecte, à une lecture avec une « perspective de grenouille », comme le disait si bien notre philosophe moustachu, en tentant de déformer violement cet ouvrage en cédant à un fiel tout personnel et surtout, ancré dans l'actualité : ***

Et d'ailleurs, combien d'entre nous, vieux ou jeune misanthrope aigris que nous somme, ont vu des argumentaires soigneusement construits démolis par la manifestation d'une ignorance crasse ou par le minable des situations ! Combien de bonnes intentions mises à mal par une puérilité obligatoire, de comportements authentiques neutralisés par l'importance qu'a pu s'octroyer à un moment fatidique une poignée de crétins…

*** Ha ha ! Voici un jeune idéaliste qui mériterait de faire sa crise parmi les élèves de M. le Directeur Piorkowski ! N'est ce pas M. le professeur ? ***

« Ils ne veulent pas être de bonnes petites pommes de terre bien tendres. »

Le traducteur : George Sédir (1927-2005) était diplomate, poète, romancier, essayiste et critique. Il a traduit essentiellement Gombrowicz et Miłosz. Il s'est tout particulièrement intéressé au mysticisme Asiatique. On imagine facilement la difficulté pour lui qu'a constituée la traduction de toutes les facéties de Ferdydurke.
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Attention, livre extraordinaire.

On a un livre chez soi qu'on doit lire, ça traîne, il est là, on en lit d'autres, on vaque... et puis un jour on ouvre ce livre, et... mon Dieu !! On ne s'y attendait pas ! Non, pas à ça ! C'est l'Amour.

Des milliers de livres sont publiés chaque année, et ne nous pouvons pas tous les lire. Alors la question à se poser c'est: lesquels vont rester ? Lesquels vont compter ? Lesquels seront comme des amis qui vous accompagneront toute votre vie ? Ferdydurke est, incontestablement, l'un de ces amis.

Cette critique n'est qu'une grossière approche, je le précise. le livre est très riche.

La lecture peut être ardue au départ, à cause de de la dinguerie ambiante et de la densité des images et des idées, mais une fois que l'on s'habitue et que l'on comprend, surtout, où l'auteur veut en venir, le livre se dévore. D'abord, il s'agit d'un livre drôle. D'un humour décapant, irrévérencieux, absurde. Ensuite, il s'agit d'un livre intelligent, d'une intelligence supérieure, affranchie de tout préjugé. Il ne ressemble à aucun autre (ceux qui ont lu "Bakakai" comprendront). Ce n'est pas le précis Wharton, le tendre Giono, le profond Dostoiewski, ou même un Kafka, un Gogol, qu'on lit tranquillement dans le ronronnement de son cerveau... ce sont des livres intéressants, magnifiques... des livres qu'on connaît bien, dont on sait où ils vont, et ce qu'ils veulent. Mais avec Gombrovicz, on entre dans une autre dimension: on sent que des connexions neuronales inhabituelles se créent.

Ferdydurke (le titre n'a bien sûr aucun rapport avec quoi que ce soit), c'est la critique de la forme, ou plutôt de l'absence de forme. le héros est un bouchon qui flotte sur l'eau de l'existence, sans forme propre hormis celle que lui font les autres, infantilisé en permanence par les autres, sans vraie identité possible. Il est d'abord sommé par un pédant de retourner à l'école, puis se retrouve chez le couple Lejeune, où il est (ne tombe pas, est directement, par définition) amoureux d'une lycéenne "moderne", réussit à s'enfuir à la campagne et tombe nez à nez avec sa tante, sur quoi il prend la forme d'un hobereau traditionnel. Pour fuir encore, il enlève la jeune fille de la maison, ou croit l'enlever car c'est elle qui en réalité l'a pris. Epuisé, il ne peut plus lutter et l'on comprend qu'il a atteint l'infantilisation ultime: la mise sous contrôle d'une épouse, l'enfermement dans le pays du mariage. Mais il veut fuir encore ("Courez après moi si vous voulez, je m'enfuis la gueule entre les mains")...

A travers ces situations tordantes et délirantes (tout le monde finit toujours par se battre et se taper, révélant que l'humanité est totalement immature malgré ses grands airs), l'auteur dévoile sans pitié les dessous humains, nos dessous. le professeur digne et pédant est un dragueur de lycéennes comme les autres. La mère de la lycéenne, la femme ingénieur Lejeune, est une perverse lorsqu'elle encourage sa fille à avoir un enfant naturel, les pédagogues sont avant tout terrorisés par l'inspecteur, ils sont d'ailleurs choisis pour leur absence totale d'idées personnelles, les seigneurs sont soumis à leurs domestiques autant que les domestiques aux seigneurs, les grand poètes ennuient tout le monde... tout ce beau monde a choisi sa forme, joue son rôle avec sérieux, mais lorsqu'on les titille un peu, ils se délitent et deviennent encore plus informes, encore plus incohérents, que le héros lui-même. Et ils ne paraissent même pas très bien savoir pourquoi ils sont ce qu'ils sont, ni comment ils peuvent rester ce qu'ils sont, ils n'arrivent pas à se justifier donc ils finissent par s'énerver, par taper. Même le valet de ferme, idéal du sincère, du direct, du brut, du non éduqué, du non culturel, se délite, lorsqu'il comprend qu'il peut rendre les coups à son maître. Il prend alors lui-même une autre forme. Mientus, un camarade du héros, un garçon de la ville éduqué et sophistiqué, était parti à la recherche du valet de ferme, pensant trouver en lui la délivrance: échec.

Il s'agit en parallèle d'une réflexion sur l'art (notamment dans les deux digressions insérées au milieu du roman), qui est traité comme tout le reste: il est pure forme, ou bien fortuit. Puisque aucun livre n'est parfait, aucun livre ne peut embrasser la totalité des choses, on doit s'en tenir à une partie, une partie d'idée, de lecteur, de corps... ainsi, et le lecteur et le pédant spécialiste "feront une gueule" à ce livre, la gueule qu'il voudront. le pédant réécrira le livres selon son école, et le lecteur sera dérangé par un coup de téléphone et la cuisson des côtelettes. "Et voilà tralala... Zut à celui qui le lira!". La poésie n'est d'ailleurs d'une histoire de Mollets (de jambes, dirions-nous aujourd'hui ?). Un poème entier peut se traduire par "Mollets mollets mollets mollets "etc... la jeune lycéenne a des mollets formidables. Les lettres d'amour qu'elle reçoit se gardent bien de parler des mollets d'ailleurs.
Solution: "Arrêtez de faire joujou avec l'art".

Où est l'homme ? Que reste-t-il après "cet acte de déformation que l'homme commet sur l'homme" ? "Où m'adresser, que faire, où prendre ma place dans le monde ?". Pas de solution hormis" à nouveau fuir en d'autres hommes".

La Forme (dont la manifestation la plus sophistiquée est l'art) est non seulement fausse, mais aussi dangereuse, c'est la grande pourvoyeuse de pédants, de viols et de guerres. Allons, humains, ne prenons pas trop aux sérieux nos gueules et nos cuculs.

Avec Gombrovicz c'est sans pitié: la vérité avant tout. le propos est sincère, sans compromis, sans tentative de plaire ou de tromper. Et c'est la sincérité qui fait les grands livres. Mais le livre est drôle aussi, c'est sa façon sans doute d'être poli lorsqu'il nous accable de toutes ces vérités.

Bref, Ferdydurke, ça envoie du lourd. Y'a du niveau comme on dit... et ça rafraîchit bien, ça nettoie bien, car après, on sait à quoi s'en tenir, on n'a plus trop envie de lire moyen.

Saluons la superbe traduction de Georges Sédir.
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D'une forme sans convention, au-delà des normes, où l'on se sent pris dans un étau comme dans ce monde incompris. Ce roman est empli de paradoxes aussi puissants que la légèreté et la pesanteur, la maturité et l'immaturité, le moderne et le dépassé. Tout cela, entremêlé d'histoires déraisonnables où le sens n'est justement pas ce qui importe, seulement l'insignifiance.
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Renégat de la modernité

Quelle vigoureuse ironie est celle qui s'échappe de “Ferdydurke” de Witold Gombrowicz !
Il saisit le “moderne” au col et ne le lâche plus jusqu'à ce que celui-ci se soit regardé dans un miroir pour contempler avec effroi tout son ridicule.
Le “moderne”, ce pourfendeur servile et bien-pensant d'un monde qu'il juge archaïque, n'est en fait qu'une ombre d'être, et encore ! plutôt l'ombre d'une ombre, c'est tout dire !
Le “moderne” ne déteste rien tant que la réalité dans ce qu'elle a de plus étrange et il entend bien tout aplanir, accéder à la transparence absolue, tout polir, tout niveler par le bas.

Dans ce livre inclassable, Gombrowicz fustige – et avec quelle prescience ! –, l'infantilisation dans laquelle nous sommes dès lors englués jusqu'au cou.
Il assène une gifle retentissante sur la joue flasque de l'homme moderne : cet être “sympa” au sourire béat, qui assume son inanité avec une grande indulgence envers lui-même ; ce génial “enfonceur de portes ouvertes” ; cet être insipide et dépourvu de tout sentiment de grandeur, inaccessible au doute, à l'angoisse métaphysique.
En somme, le moderne est celui qui sait que la partie est gagnée d'avance ou bien, plus simplement, qu'elle n'a pas à être jouée.

Witold Gombrowicz, pour notre malheur et notre grand plaisir de lecteur, nous dresse le portrait de jeunes gens voués au culte du corps et qui singent bêtement les adultes.
Avec en face d'eux, des simulacres d'adultes désespérément gâteux qui parodient les jeunes gens et leur vouent une idolâtrie pathétique.
Gombrowicz nous annonce une société où l'adulte en aura assez d'assumer sa responsabilité de tuteur, sa lourde tâche d'être pensant. Il déchire le rideau d'une société tout entière dédiée à l'adolescence, à la médiocrité, à l'oubli, à la petitesse, à la reptation servile.
Les marchands d'oeillères vont faire des choux gras. Amnésiques, faites vos voeux, rien ne va plus !
Le narrateur va se charger d'être un grain de sable dans cette machinerie trop bien huilée.
Il va, peu à peu, instiller un poison dans la conscience débile des fantômes d'êtres qu'il côtoie : le poison de la lucidité.

Ferdydurke” n'est pas sans m'évoquer “Le Livre du rire et de l'oubli” de Milan Kundera – et surtout la Sixième partie du récit, intitulée Les anges, et dans laquelle l'héroïne, Tamina, se retrouve sur une île remplie d'enfants, qui semblent à première vue plutôt innocents mais qui vont faire vivre un véritable cauchemar à la jeune femme.
Il n'y a pas d'innocents : ce livre de Gombrowicz le clame avec force. Quelques êtres habitués, revenus de tout, inconsistants et dérisoires peuplent ce roman furieusement ironique.
Après tout, l'ironie n'est-elle pas en quelque sorte l'énergie du désespoir ?
Cet ouvrage désespérément drôle façonné par l'auteur de “La Pornographie”, m'évoque également la douleur d'être vu tel que l'on n'est pas.
Je repense aux derniers mots du livre : « Courez après moi si vous voulez. Je m'enfuis la gueule entre les mains. »

Tout entière tournée vers le refus, cette oeuvre tente de sauver ce qui peut encore l'être : le rire ; l'implacable rire de celui qui n'a plus rien à perdre.

Ferdydurke”, ce mot qui ne veut rien dire, je pourrais lui donner le sens de “nullement”.
“Vous avez cru me voir tel que je suis réellement ?”
“Nullement !”
Vous m'avez vu tour à tour comme un être grandiose ou misérable et vous n'y étiez pas.
Je ne suis ni l'un ni l'autre. J'échappe à vos nomenclatures étriquées.
Et pour que vous ne me “dévisagiez” plus, “je m'enfuis la gueule entre les mains.”

Thibault Marconnet
18/12/2013
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Un livre dans lequel je suis loin d'avoir tout compris, au style non conventionnel, traitant notamment de l'infantilisation dans la société à mon sens. Toutefois, les situations, l'histoire se déroulent dans un univers irréel, névrosé très spécial qui m'est pourtant très évocateur de mes propres sentiments...
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Je vous présente mes excuse d'avance pour cette non-critique, car je n'ai qu'un mot à dire à propos de ce livre qui a changé beaucoup de choses chez moi, à commencer par mes choix de lecture : "WHAAAA".

Voilà, c'est tout.

La lecture n'est pas facile, mais franchement lisez le à tout prix!
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