A lire les commentaires sur cette BD des babyboomeurs en qui je me reconnais plus ou moins, je retrouve une constante dans les réactions, une réponse à ce cri du coeur de Grange et
Tardi : c'était mon époque !
"C'était" la mienne ?
Pourquoi ce "c'était" qu'on emploie toujours ?
C'EST la mienne !
A chacun sa lorgnette, un pauvre trou de serrure où coller son regard, un orifice où coulent les graines du temps, inépuisables à jamais. Désespérément.
Car du grain, nos révoltes en auront toujours à moudre, vu que nous n'apprenons pas grand chose de nos erreurs, on dirait, nous les humains.
J'ai loupé 68 de peu : à 14 ans tout juste, j'étais un peu jeune et surtout pas très mûr pour mon âge. Bourgeois provinciaux paisibles et fervents cathos, mes parents ont dû baliser grave, en Mai 68. Moi, les vacances à rallonge ça m'a bien branché je crois.
C'est le souvenir que j'en ai, lamentable.
Je lis les bulles et j'admire les images de
Tardi, toujours aussi efficace quand il s'agit d'évoquer l'important.
Et comme je l'ai lu dans un commentaire, oui, ses CRS sont des caricatures. Réducteur, le propos ? Manichéens,
Tardi et Grange ? Peut-être un peu. Mais la violence des uniformes est universelle, et les uniformes méritent si rarement autre chose que la caricature !
Quand il met en scène la nuit du 17 Oct 61 et les exactions des sbires de Papon,
Tardi s'est-il appuyé sur des faits historiques pour dessiner un flic qui arrache un nourrisson à sa mère sur un pont de la Seine ET LE BALANCE A LA FLOTTE ? Je ne sais pas, et j'ai envie de dire qu'importe.
C'est le début du bouquin, le ton est donné. La suite est parfois moins percutante, le quotidien d'un clandé reste un quotidien, le jour le jour c'est pas tous les jours des temps forts.
La vie de Cécile/Dominique qui suit, c'est la vie de révolte d'une personne qui a choisi son camp, une jusqu'au-boutiste parfaitement respectable qui a osé, risqué, payé de sa personne jusqu'à des passages à tabac, jusqu'à la perte de sa liberté, jusqu'à des mois de clandestinité. Payé cher, même si la France des années 70 n'était pas l'Argentine, le Chili, ou la Chine ou la DDR ou la Russie...
Une femme digne, quand même, à qui il manque juste un peu de clairvoyance pour gueuler haut et fort que le métro Charonne, ou le Goulag ou Tien an Men, ou la nuit de Cristal et même la Shoah qu'elle préparait, que tout ça c'est un peu la même chose, c'est juste une question d'échelle, juste la preuve qu'on n'apprend rien.
Il nous manque si souvent l'humilité pour être autre chose que des nuisibles, à qui la Terre- mère finira peut-être par dire STOP !...
Dans son commentaire, un internaute à cité Brassens et son "mourir pour des idées, d'accord mais de mort lente".
Je vais renchérir, rendre hommage aussi au grand Georges, que je vénère ô combien plus que le grand Charles :
"Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons" !...
Ce n'est pas une BD qui donne la pêche, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais c'est de la belle ouvrage, et du travail utile !