Citations sur Le Vol des cigognes (92)
- Marcel, dis-moi une chose : pourquoi les enfants roms sont-ils si sales ?
- Ce n'est pas de la négligence, Louis. C'est une vieille tradition. Selon les Roms, un enfant est si beau qu'il peut attirer la jalousie des adultes, toujours prêts à jeter le mauvais œil. Alors on ne les lave jamais. C'est une sorte de déguisement. Pour masquer leur beauté et leur pureté aux yeux des autres.
Elle me parla d'Israël. [...] Sarah n'avait que faire du grand rêve de la Terre Promise, elle dénonçait les excès du peuple juif, sa rage de la terre, du bon droit qui aboutissait à tant d'injustices, tant de violences, dans un pays déchiré. Elle m'expliqua les horreurs commises des deux côtés: les membres brisés de Arabes, les enfants hébreux poignardés, les affrontements de l'Intifada. [...] Selon elle, l'Etat hébreu était un véritable laboratoire de guerre: toujours en avance d'une écoute, d'une arme technologique ou d'un moyen d'oppression.
Les cigognes appartiennent aux migrateurs instinctifs. Leur départ n'est pas déclenché par des conditions climatiques ou alimentaires, mais par une horloge interne. Un jour, il est temps de partir, voilà tout.
Une heure plus tard je roulais dans Bruxelles.
La capitale belge m'apparut comme une ville morne et sans éclat. Un Paris aux petits bras, qui aurait été dessiné par un artiste maussade.
Il est des choses qui ne s'oublient pas, Louis. Des choses qui sont gravées dans nos cœurs, comme sur le marbre des pierres tombales.
Mes cauchemars étaient toujours là, sous ma peau, mais les oiseaux, clairs sur le bleu du ciel, constituaient la corde à laquelle je me cramponnais.
Je compris que nous jouions là une scène éternelle: celle du départ du guerrier, répétée depuis des millénaires, sous toutes les latitudes, dans toutes les langues.
Elle venait d'agripper des deux mains le bord gauche de la plaie centrale, s'appuyant solidement sur l'os du sternum. Les nerfs à blanc, je fis de même, à droite, et, ensemble, nous tirâmes chacun de notre côté. Lorsque la fissure fut ouverte, la sœur glissa le cric, en prenant soin de coincer ses deux extrémités contre les bords osseux. Aussitôt après elle se mit à tourner la crémaillère - et je vis le petit torse s'ouvrir sur l'abîme organique.
Ma famille ne m'intéressait pas. Ni la vocation de mon père, ni la dévotion de ma mère, qui avait tout quitté pour suivre son époux, ni même ce frère, de deux ans mon aîné, qui était mort brûlé vif. Sans doute, cette indifférence était un refuge. Et je la comparais souvent à l'insensibilité de mes mains. Le long de mes bras, mon épiderme réagissait parfaitement. Puis, au-delà, je n'éprouvais aucune sensation précise. Comme si une barre de bois invisible retranchait mes mains du monde sensible. Pour ma mémoire, un phénomène identique se produisait. Je pouvais remonter le fil de mon passé jusqu'à l'âge de six ans. En-deça, c'était le néant, l'absence, la mort. Mes mains étaient brûlées. Mon âme aussi. Et ma chair et mon esprit avaient cicatrisé de la même façon _ fondant leur guérison sur l'oubli et l'insensibilité.
- Marcel, dis-moi une chose : pourquoi les enfants roms sont-ils si sales ?
- Ce n'est pas de la négligence, Louis. C'est une vieille tradition. Selon les Roms, un enfant est si beau qu'il peut attirer la jalousie des adultes, toujours prêts à jeter le mauvais oeil. Alors on ne les lave jamais. C'est une sorte de déguisement. Pour masquer leur beauté et leur pureté aux yeux des autres.