A travers le destin des frères Vitali et Evgueni Abalakov, véritables pionniers dans les années 30 de l'alpinisme en URSS,
Cédric Gras retrace à l'aide de sources russes de première main l'histoire des expéditions soviétiques sur les sommets du Pamir et du Tian Shan. Les points culminants ont pour noms
Lénine, Staline, et quelques autres dignitaires du Parti. Pendant un demi-siècle, les alpinistes soviétiques n'ont aucun contact avec leurs homologues étrangers et développent des techniques qui leur sont propres. Ils préfèrent ainsi pour leurs camps d'altitude tailler dans la glace des sortes d'igloos plutôt que de planter des tentes. Ils se vantent de ne pas recourir comme les Occidentaux à des sherpas pour porter leur matériel mais lorgnent avec envie du côté de l'Himalaya une fois tous leurs "7 000" gravis.
L'annulation de l'expédition sino-soviétique à cause des troubles au Tibet au début des années 60 empêchera la génération des Abalakov de gravir le plus haut sommet du monde.
Les frères Abalakov sont coupés dans leur élan par la Grande Terreur stalinienne puis la Grande Guerre patriotique. L'aîné subit le même sort de millions de Soviétiques. Accusé de visées contre-révolutionnaires, il subit torture et interrogatoires. le livre de
Cédric Gras emboite ici le pas à tous les livres qui traitent de l'URSS à l'époque de Staline : comme les compositeurs, les écrivains, les ouvriers, les météorologues, les généraux, les médecins, les ingénieurs, Vitali essuie une parodie de procès qui lui vaut deux ans de prison avant d'être miraculeusement sauvé. Dommage que le récit de
Cédric Gras martèle ici tous les lieux communs que l'on connaît sur cette période, depuis l'attentat de KIrov jusqu'à la détente relative des années Khrouchtchev. C'est ce que l'on peut reprocher à ce livre : ne disposant pas d'un matériau suffisamment riche au sujet des frères Abalakov, l'auteur est obligé de noyer sa documentation dans l'histoire plus générale de l'URSS et ses personnages manquent un peu de chair.
le meilleur passage est selon moi l'ascension du Khan Tengri, réputé sommet le plus difficile d'URSS, au climat particulièrement rude et massif accessible à l'époque seulement au terme d'une longue traversée juché sur des chameaux de Bactriane. La descente tragique du sommet m'a fait songer à celle de Herzog et Lachenal, revenus en 1950 de l'Annapurna.