En route pour l'exil

Si vous voulez évoquer un capricieux dans le groupe, oubliez Mick. C'est Keith qui a obtenu la palme. Il semblait se foutre royalement de tout le monde. Sous cette carapace, Keith pouvait être adorable, attentionné et délicat. Il aurait pu mourir pour ceux auxquels il tenait plus que tout. Et Ian Stewart en faisait partie. Mais, dans l'ensemble, l'attitude habituelle de Keith envers qui travaillait avec lui ou qui se trouvait près de lui se résumait à une profonde indifférence. Ces personnes ne rentraient pas dans son jeu, simplement parce qu'il s'en foutait.

Afin de garantir à toutes les personnes qui figurent sur la liste d'invités de pouvoir entrer sans problème, le responsable de la publicité des Stones, Les Perrin demande à Chip Monck de produire pour l'occasion une série de billets particuliers. Sur la base d'une image fournie par le graphiste John Pasche, Monck imprime les billets sur cinquante petits patchs autocollants au dos desquels on peut lire "Ne pas coller sur du velours ou du daim". Et c'est comme ça que le logo avec la langue est né, racontera Monck par la suite. La première fois qu'on l'a vu, c'était sur le patch VIP pour le concert des Stones au Marquee Club [du 26 mars 1971].

Outre ses connaissances dans le domaine de la musique, Charlie avait également un talent incroyable pour supporter la folie générée par le fait d'être un Rolling Stone. Cette aptitude lui permettrait de rester au centre de leur univers étriqué évoluant en vase clos. À l'époque, si vous posiez une question à Charlie, il vous répondait toujours sans tourner autour du pot. Même s'il ressemblait à Buster Keaton et qu'il s'habillait toujours comme le graphiste sorti de la Harrow Art School, il y avait dans la personnalité de Charlie quelque chose de si ingénu et de si charmant que, pendant la tournée, tout le monde voulait être avec lui.

Ils jouaient "Bitch", mais Keith était très en retard. Alors les autres jouaient le morceau sans lui, avec Jagger à la guitare, et la chanson ne sonnait vraiment pas bien du tout. Je suis sorti de la cuisine et Keith était assis par terre, pieds nus, en train de manger un bol de céréales et d'écouter le jeu des autres, en leur faisant des grimaces. Puis il a dit:" Hé! Andy, file moi cette guitare". Il a pris sa Perspex transparente, a accéléré le tempo et a donné la bonne couleur au morceau. Le désordre laconique s'est alors transformé en une chanson qui n'était que groove. En l'espace d'un instant. Dès que Keith s'est mis à jouer, il a donné sa vraie nature au morceau.

Il reste à peine deux heures avant le début du premier concert et Keith, à défaut d'un terme plus approprié, est porté disparu.
Ian Stewart m'a déjà raconté la soirée où les Stones sont montés sur scène à Aylesbury sans Brian Jones, après qu'on lui ai une fois de plus indiqué une mauvaise direction, ou les quatre concerts donnés sans lui pendant la tournée américaine de 1964, toutefois il s'agit ici d'une toute autre affaire.
En tant que groupe, les Rolling Stones ne peuvent imaginer monter sur scène sans Keith. Autrement dit: pas de Keith, pas de concert.