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EAN : 9782745308870
595 pages
Honore Champion (06/10/2003)
1/5   1 notes
Résumé :
Comprendre l'œuvre de Zola comme une " somme a-théologique ", tel est l'objet de cette étude, qui revient aux sources du mot " naturalisme ". Avant d'être un ensemble de techniques littéraires, le naturalisme, dont la mission consiste à " faire le jour dans la nuit des vieilles croyances ", a pour tâche de décrire la réalité, c'est-à-dire, selon les propres termes de Zola, " ce qui est, en dehors des actes de foi religieux ". Le naturalisme excède donc nécessairemen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
GUERMÈS (Sophie), La Religion de Zola. Naturalisme et déchristianisation, Paris, Honoré Champion, 2003, 595 p.

Aujourd'hui, non seulement il convient de rechercher la cohérence profonde de l'oeuvre de Zola dans sa totalité, mais il faut situer cette grande entreprise dans la logique même d'un XIXe siècle effaré par le constat de la « mort de Dieu ». Des créateurs solitaires comme Flaubert ou Baudelaire prennent acte de cette liquidation, et de leur travail involutif, désespéré, naîtra la modernité esthétique. Zola, lui, appartient au groupe des « prophètes », des humanistes, des militants qui ne veulent pas renoncer au magistère idéologique et qui exerceront leur droit d'ingérence ; dans le sillage de Michelet, de Hugo, il voit les choses « en grand » et veut refonder le lien social. On aura reconnu un clivage fondamental déjà évoqué par Jean Borie dans son livre sur Un siècle démodé (paru chez Payot en 1989). Sophie Guermès, elle-même, a déjà apporté une contribution intéressante à l'étude des répercussions littéraires de la crise religieuse qui affecte le XIXe siècle dans son ouvrage sur La Poésie moderne. Essai sur le lieu caché (L'Harmattan, 1999 – « Prix Émile Faguet de critique littéraire », décerné par l'Académie française). le rappel a son importance, car lorsqu'elle décide, à juste titre, de concentrer son attention sur Zola, elle ne néglige jamais la situation exacte de l'écrivain en son temps et les parallèles qui s'imposent, aussi étonnants puissent-ils paraître, avec des textes de Rimbaud, de Mallarmé, ces poètes que le chef de file du naturalisme a ignorés ou méconnus. Si les moyens littéraires diffèrent, de mêmes réactions se retrouvent pourtant, des diagnostics tout aussi virulents, lorsqu'il s'est agi de condamner l'alliance objective des pouvoirs religieux et politique sous le Second Empire ou de dénoncer le culte des idoles dans une société dévoyée.

Le maniement des idées générales n'est jamais un péril pour Sophie Guermès, d'abord parce que l'oeuvre de Zola, par son ampleur et ses intentions, oblige le commentateur ambitieux à adopter fréquemment un coup d'oeil panoramique, mais également parce que le corpus de l'oeuvre complète, de la correspondance et des dossiers préparatoires est ici parfaitement maîtrisé et activement exploré. On retrouvera, en bonne place, des considérations originales sur les divers personnages de prêtres et des études littéraires précises de la Conquête de Plassans, de la Faute de l'abbé Mouret, du Rêve, des Trois Villes et des Évangiles, mais, comme la question religieuse est omniprésente chez Zola, l'ouvrage s'attache à rendre compte de l'évolution de sa pensée et de son naturalisme. Il postule une logique mais rend compte d'une démarche, dans le respect des inflexions esthétiques et en s'intéressant au contexte.

D'abord, Zola n'a jamais cru que l'on pourrait éradiquer en l'homme le besoin de croire. Il fait le même constat que Taine : « s'il est impossible d'admettre la religion, il est impossible de s'en passer ; ceci ne tient pas à un attachement involontaire au christianisme, mais à une impuissance à fonder une vision globale du monde ». Tout jeune, plutôt docile face à l'enseignement religieux, amateur de poésie, épris d'absolu, il présente le même profil que bon nombre d'enfants et d'adolescents de son époque. Mais la correspondance des années 1860 montre comment il en est venu à douter, à répudier les formes traditionnelles de la poésie versifiée, à renoncer à son premier grand projet de la Chaîne des êtres, et comment il a pris acte des grandes mutations de son époque, sous l'influence de ses lectures (celle de Michelet notamment) et au contact d'une réalité peu aimable. En même temps, comme chez tout grand créateur, ce qui est refoulé se donnera jour ultérieurement, se réinvestira : « l'aporie était formelle, et non spirituelle. En délaissant la forme rimée et versifiée, Zola a préservé un secret essentiel, celui de son projet poétique. […] Réparant la faiblesse initiale, le roman, loin de se développer en marge de la poésie, ou de l'étouffer définitivement, en a fait son foyer, y a puisé son intensité et sa force. En paraphrasant Maurice Blanchot, on pourrait dire que le pouvoir d'oublier la poésie est essentiel au roman mais que le roman n'oublie pas son rapport secret à la poésie » (p. 43). de bons lecteurs, comme Flaubert et Mallarmé, point aveuglés par les divisions scolastiques qui structurent la perception des genres, avaient reconnu de longtemps cette dimension pleinement artistique, polyphonique et métaphorique, d'un imaginaire créateur facilement exalté dès qu'il s'agit d'évoquer la nature, par exemple, les foules et les émotions collectives, ou encore les « machines », au sens large, c'est-à-dire tout ce que l'homme fabrique pour imposer sa présence organisatrice et positive : maisons, locomotives, grands magasins… D'ailleurs Zola ne répudiait pas la poésie stricto sensu, il demandait qu'elle assume sa part de représentation du monde contemporain, de la « réalité large et puissante », au lieu de se complaire dans une idéal évanescent ou archéologique. le choix du « rude outil de la prose » semblait néanmoins à Zola plus adapté, plus conforme à ses ambitions totalisantes. Profondément religieux comme il est poète, en un sens très extensif, Zola va d'abord prescrire, pour lui-même comme pour les autres, « l'abandon des fables anciennes » et une longue cure de vérité. La dimension critique et théorique de l'oeuvre, dont Sophie Guermès rappelle qu'elle est l'une des plus impressionnantes de notre histoire littéraire, s'explique par le souci d'ancrer la littérature dans le mouvement général des idées du siècle, de prendre acte du triomphe des sciences et de « faire le jour dans la nuit des vieilles croyances ». Zola reprend à son compte le projet des Lumières. Sophie Guermès, après le grand article d'Aimé Guedj, exploite à son tour d'intéressants rapprochements avec les Pensées philosophiques de Diderot et elle situe très nettement le pari « scientifique » – contre-pascalien, a-théologique – de Zola au lieu de n'y voir qu'une aporie intellectuelle. En même temps, elle montre que le romancier a perçu les limites de la science, à tel point qu'il sera conduit, après le Docteur Pascal en particulier, à réviser son positivisme pour n'en conserver que la dimension pédagogique : la science devient alors pour lui « l'exercice de l'esprit critique, par opposition à l'ignorance des esprits mal dégrossis, incapables de réfléchir, et ne voulant pas faire d'efforts pour devenir lucides » (p. 325). Conscient jusqu'à un certain point de la « banqueroute de la science », Zola, dans un contexte de recrudescence de l'irrationnel, ne renonce pas à ses convictions profondes mais il décide de donner une nouvelle orientation à son oeuvre. Nous sommes au coeur du propos de Sophie Guermès, qui continue à parler de « naturalisme » lorsqu'elle en vient à présenter Les Trois Villes et les Quatre Évangiles. Les Rougon-Macquart ont diagnostiqué une crise de la civilisation occidentale et dénoncé les artifices, les impostures et les illusions par lesquels la société tente de redonner corps aux croyances séculaires. C'est pour cette raison que la religion catholique est encore si souvent réapparaissante dans la plupart des romans du grand cycle, même si Zola renonce aux effets voyants et mélodramatiques de sa première scénographie infernale du péché et de l'expiation (de La Confession de Claude à Madeleine Férat). Elle est une sorte de « bruit de fond », le référent de la représentation, la matière première de tous ces ersatz et avatars que sont l'Argent, l'Art, le Pouvoir, la Chair, la Science… pour lesquels les hommes sont prêts à se damner, à se sacrifier ou à s'entredévorer. Mais Zola ne veut pas en rester au constat des fatalités et des dégénérescences, il veut sortir de la négativité et dépasser le travail de sape en restaurant l'espoir : « Après avoir étudié l'implacable diffusion du mal à travers les ravages de l'hérédité, cette version laïcisée du péché originel, Zola peut abandonner la violence vétéro-testamentaire de sa première série pour construire deux cycles de plus en plus porteurs de lumière, même si le mal est encore présent, empêchant ainsi le naturalisme de se retourner totalement en irréalisme et en utopie » (p. 328). Sophie Guermès étudie de très près cette composante « naturaliste » des romans de la dernière période. Elle montre que la critique zolienne se resserre sur l'actualité, dont les « fictions » des Trois Villes, notamment, sont une analyse à chaud, issue de la conjonction entre les lieux, les temps et les documents. « Ainsi, dans la mesure où l'on constate une diminution sensible du registre métaphorique dans les derniers romans au profit de séquences fondées sur une réalité datée, on peut se demander si ces romans ne sont pas, à tout prendre, plus naturalistes que les premiers, et plus fidèles au projet initial de Zola, qui n'était pas de séduire mais d'instruire les lecteurs » (p. 342). Plus contemporains, plus documentaires, plus didactiques, ils permettent à Zola de cumuler les autorités invoquées dans le Roman expérimental (savant, juge, sociologue, romancier, politologue, bientôt législateur) et de procéder à une vaste synthèse, au-delà du cadre étroit d'une « famille », pour faire des « villes » et de l'humanité à venir les actants des valeurs évangéliques revues et corrigées. « Zola, “ouvrier de la vérité”, a été le seul romancier à jeter les bases de cette religion nouvelle dont le rêve avait obsédé tant d'esprits au XIXe siècle. Balayant le christianisme, il a reconstruit un monde de plus en plus parfait (concrétisant dans une forme romanesque le projet de la Chaîne des êtres) sans toutefois se demander si le bouleversement religieux n'entraînait pas un bouleversement des structures de la représentation » (p. 565). En effet, Zola, comme la plupart de ses contemporains, est tributaire des catégories chrétiennes de la pensée et de l'action. Lui aussi a cherché à donner « un sens plus pur aux mots de la tribu », mais il les a conservés. Dès Thérèse Raquin, il avait exposé sa méthode : débarrasser les termes anciens – « passion », « remords », « enfer »… – de leurs connotations religieuses et morales, les « naturaliser » en les associant à d'autres mots, plus modernes comme « science », « observation », « instinct », « anatomie », « analytique » …, modifier leur champ sémantique par leur inscription dans un nouveau champ lexical. Mais la démarche est ambiguë, elle ne parvient pas à éliminer totalement les significations antérieures, il y a une reconnaissance sourde de la première forme qu'a prise l'Absolu : « le prophétisme de Zola prend appui sur la science et le réel, pour annoncer une modification de celui-ci par celle-là. Mais évidemment, ces prophéties n'en sont pas, ne correspondent pas à ce qu'on entend par ce terme. Une fois encore, comme pour « salut », ou « sauveur », comme pour « évangile », Zola conserve le même mot en voulant lui donner un sens différent, au lieu d'en forger un autre. Ce maintien du mot, vidé de son sens initial, permet au romancier de se faire immédiatement comprendre par tous, alors que l'invention d'un mot nouveau nécessiterait une explication préalable, qui retarderait l'écrivain dans sa marche. Il semble malgré tout intenable d'évacuer l'inspiration divine du prophétisme pour espérer tirer de cet allégement un prophétisme moderne » (p. 472). Si l'on ne met pas radicalement à bas le besoin de croire, on hérite des concepts dont l'Église a eu le monopole et qu'elle a exploités pendant dix-huit siècles. Zola (dont il faut rappeler qu'il aimait à s'entourer d'objets du culte catholique), même tendu vers un avenir radieux, s'adresse aux hommes de son temps, avec leurs attentes, leur langage, leurs habitudes intellectuelles et morales. « D'où la construction en porte-à-faux de ses derniers livres. Né cent ans plus tard, Zola ne se serait pas posé la question en ces termes : la révolution technologique annihile de facto l'héritage chrétien, englouti comme naturellement, dans une indifférence qui s'étend aux croyants eux-mêmes » (p. 454). L'écrivain n'a pas cru devoir s'émanciper d'un système de représentation qui prenait en compte le fondement anthropologique du besoin de croire, cet « adaptant » existentiel sans lequel il semble qu'on ne puisse accéder à la connaissance.

Nous ne rendons pas justice au beau livre de Sophie Guermès en nous contentant de le résumer à grands traits. Il est infiniment plus subtil que l'exposé de sa thèse ne l'indique. Cette somme attendue sur « la religion de Zola » est évidemment très méthodique, soigneusement argumentée et, tout en incluant des travaux antérieurs, elle apporte des nouveautés, corrige des approximations et des négligences d'interprétation sur lesquelles il vaut mieux passer. Un travail similaire reste à conduire, peut-être sur ce modèle, autour de « la politique de Zola », par exemple. Et déjà Sophie Guermès apporte de précieuses indications sur le « socialisme » de l'écrivain (p. 273-293). Mais nous voulons, en guise de conclusion, signaler l'acuité d'une lecture des oeuvres qui, tout en restant toujours scrupuleuse, sait faire la part belle aux interprétations et aux rapprochements pertinents. Par exemple, La Faute de l'abbé Mouret (que Sophie Guermès a édité en « Livre de poche classique » en 1998) est un « roman du silence » (p. 243-248). Zola forge même la belle expression de « crise du silence » pour rendre compte de l'enfermement intérieur de Serge. Et Sophie Guermès met à profit sa culture musicale pour étudier de près l'alternance des moyens d'expression, l'harmonie des voix de cet oratorio que représente la deuxième partie du roman. de même, il faut lire de près ses considérations sur les drames lyriques (p. 429- 441) et son étonnant commentaire de la célèbre scène du chapitre XIII de Rome. On a là un véritable ostinato, nous dit Sophie Guermès, une scène de drame lyrique d'une étrange profondeur poétique (p. 416-420).

Il faut saluer La Religion de Zola : cette synthèse intellectuelle ambitieuse est aussi une extraordinaire visite guidée de la « cathédrale » littéraire zolienne.

François-Marie MOURAD

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Vidéo de Sophie Guermès
Sophie Guermès vous présente son ouvrage "Fellini, songe d'une nuit d'automne" aux éditions 5 sens éditions.
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