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Imaginez que nous puissions avoir la main sur nos rêves, au point de revivre certains moments de notre vie, non pas comme de simples souvenirs, souvenirs déformés, mais bien de les revivre, c'est-à-dire de retrouver leur pureté originelle, leur essence première, leur intacte sensibilité, comme si nous y étions de nouveau pour la première fois, multiples et subtiles nuances affectives qu'on tente toute notre vie de retrouver dans les odeurs, les sons, les lieux, madeleines de Proust souvent édulcorées d'une teinte délavée.
Ou alors imaginez que nous puissions faire des rêves permettant d'exaucer nos désirs les plus enfouis, enfin comblés. Quelles conséquences cela aurait-il ? Serions-nous plus heureux ? Plus créatifs ? Plus ancrés dans le présent ? Ou au contraire tellement libres au point de devenir incontrôlables, de devenir des menaces pour une société tombant dans l'anarchie ?

Dans une écriture d'une belle élégance, ce livre aborde ce sujet passionnant. le seuil du jardin, ce jardin vert qu'est notre moi profond, notre essence, notre enfance, dont on cherche la porte sans relâche, pouvoir enfin être au seuil. Et le franchir, ou pas, lors de nos rêves.

Dans une pension de famille au charme suranné très titi parisien, rue d'Arcueil à Montrouge, au début du 20ème siècle, vivent cinq locataires dont Stève Masson, peintre, qui s'acharne à tenter de retrouver, de façon obsessionnelle, dans ses toiles, ce qui se cache derrière l'oeuvre, le « dessous » de ses oeuvres. Une de ses toiles, dénommée « le seuil du jardin », sujet qui lui avait été donné par un rêve récurrent, semble peu à peu s'en approcher. Ce tableau représente une porte fermée donnant sur un jardin et petit à petit, au fur et à mesure de la progression de la toile, il touche ce qui est profondément enfoui en lui, quelque chose de vivace, d'intime, de profond qu'il pressent par moment telles des fulgurances éphémères.

« D'une nuit à l'autre, le décor variait légèrement, mais la même impression de joie incommunicable s'en dégageait. Masson approchait d'un jardin à l'abandon, désert, touché par la lumière d'été. Sa porte vermoulue était ouverte, mais il n'éprouvait pas l'envie d'y pénétrer ; il lui suffisait de savoir que ce jardin existait et de le contempler jusqu'à ses limites perdues dans les broussailles, entre des bassins et des kiosques en ruine ».

Il va se lier d'amitié avec un nouveau pensionnaire, Swaine, de prime abord très intriguant, qui travaille précisément sur une machine, une « lanterne magique », permettant de reconquérir la pureté primitive des émotions lors des souvenirs, à les matérialiser de nouveau. Il va grâce à lui franchir le seuil de son jardin personnel. Son esprit créatif en sera transformé, bonifié, ses toiles éclatantes de sincérité.

Par le biais de cet écrit d'une grande beauté et d'une élégance couleur sépia, André Hardellet dénonce notre système d'organisation politique et économique qui vise la rationalité au détriment des rêves. Les rêves seraient des entraves au productivisme, au capitalisme, au consumérisme. Des entraves, voire des menaces, qu'il faut détruire. Et la fin est pessimiste puisque le réel va gagner face aux rêves.

« le bonheur pendant le sommeil n'empêchait pas de construire des habitations, de soulager la misère. Tout ce que vous avez dépensé pour vos conneries, vos doctrines, vous auriez pu l'employer plus utilement au profit des chômeurs ! Et puis on meurt aussi de désespoir, par lassitude ».

Je m'interroge quant à l'actualité de ce livre. « le seuil du jardin » a été écrit dans les années 60/70 en pleine Trente Glorieuses, à une époque où productivisme et consumérisme étaient les piliers d'une économie en pleine croissance. A l'aune du réchauffement climatique, des messages alarmistes et du passage nécessaire d'une économie linéaire à une économie circulaire, à une époque où les valeurs politiques ne signifient plus grand-chose, cette « lanterne magique » ne serait-elle pas la panacée pour les gouvernements ? M'est d'avis que la conclusion de ce livre, s'il avait été écrit aujourd'hui, aurait été toute autre…

Quand la poésie dénonce le capitalisme et la soumission des peuples, la manipulation des masses, le message a une portée universelle confondante de justesse, de beauté, de tragique. Bien vu @Dandine, à qui je dois cette lecture, lorsque tu évoques, à l'aune de ce texte, un autre poète à la veine légèrement anarchisante, à savoir Brassens !

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Un roman fascinant, « parfait » selon l'éditorialiste surréel au chapeau rond.
Elégance… mot qui sort le premier pour qualifier cette écriture, variant subtilement les registres, ménageant patiemment ses effets, du familier à l'onirique, ses petits suspenses menant à sérieuses réflexions…
De ses personnages habilement nommés et construits, autour de la rencontre de ce peintre, en recherche de ce qui se trouve de l'autre côté, avec ce professeur aux mystérieuses recherches, intéressant dangereusement jusqu'à l'Etat Profond…
Mais son coeur ne bat pas pour un éventuel thriller — bien qu'on y croise le Grand Complot — l'auteur nous annonçant au passage certaines conséquences avant d'en relater les événements; il pulse sa vapeur hypnotique du fond des rêves, où le monde est éternel et parfait…
Inassouvissement de la conscience…
On est emporté…
...
P.S: le journaliste d'Actualitté est prié de laisser les soucoupes dans le ciel…
— Dis, franchement, nous servir de « l'ovni littéraire » à la moindre occasion… tu veux qu'on appelle Géo et Léo pour un petit traitement…?
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Un peintre a son atelier dans une pension de famille (Chez Temporel, comme dans la chanson). Il travaille a une toile ou, derriere une grande porte, s'ouvre un jardin qui finit dans une autre porte, ouverte (vers quoi? Vers ou?).
Un nouveau pensionnaire l'intrigue, qui travaille a un drole d'appareil ou se meuvent nombre de miroirs de differentes tailles. Apres en avoir fait son ami, il apprendra que c'est une machine a raviver des souvenirs, a les materialiser de nouveau. S'etant prete a une demonstration, il realise que ce qu'il essaie de peindre sont ses souvenirs d'enfance, le jardin vert de son enfance heureuse. Et il franchit - en pensee, en extase – le seuil de ce jardin.

C'est donc la machine a remonter, oniriquement, le temps, pour retrouver un bonheur perdu. La machine a reves. La machine a faire oublier, au moins pour un temps, la mediocrite du quotidien. L'acces aux paradis perdus. La machine a fuir la realite?

Mais cette machine attire bien de convoitises, et nous voila bientot immerges dans une intrigue de polar. Tout y est: des menaces, des bagarres, du sang, des vols, ou sont impliques des malfrats de bandes differentes (les bons et les mauvais). Et on nous emmene dans toutes sortes d'endroits interlopes, des bars mal fames, un bordel haut de gamme. En fin de compte, malgre la bravoure du peintre et de ses amis, l'inventeur sera trucide et son appareil vole. Et surprise, pas pour etre utilise ou commercialise par d'autres, mais pour etre detruit. Qui a voulu le detruire? Et pourquoi?

Hardellet, ecrivant un livre ou de l'onirique on passe a l'action trepidante, accuse en fait les tetes d'un systeme social qui magnifie l'homo economicus (le systeme que Nizan denigrait deja dans son Aden Arabie) et proscrit le reve. le reve menace le materialisme, la production, la poursuite d'une marchandisation effrenee. le reve menace l'ordre capitaliste etabli. Il faudrait donc l'eliminer, le detruire.

Un texte hautement poetique comme critique des travers du capitalisme? Ca rappelle un autre poete, a la veine legerement anarchisante. Pas par hasard, Hardellet etait un des grands copains de Brassens. Ca se sent dans ce livre. Ca se lit. Avec plaisir.
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Il m'a fallu passer plus de quarante ans, après Lourdes, lentes, pour retrouver André Hardellet dans le seuil du jardin.
Je viens de terminer ce livre incroyable, et je mesure les années passées à ne pas l'avoir lu. J'avais acheté l'édition du Livre de Poche en…1979.
Le livre m'a accompagné et survécu à une cave malencontreusement inondée !
Je l'ai tiré du tiroir où il attendait (du moins, c'est ce que je suppose que le bouquin faisait, mais qui peut savoir ce que fait le livre lorsqu'on ne le voit pas…) et je l'ai lu.
André Breton des surréalistes, ne pouvait qu'avoir été subjugué par le seuil du jardin qu'il qualifiait de parfait et d'exaltant.
Parce que, André Hardellet, à travers Masson et sa peinture et Swaime et sa machine, emmène le lecteur dans un récit merveilleux auquel je n'ai pu qu'adhérer sans réserve : Celui où le souvenir de bonheur sans mélange rejoint le rêve dans une ample félicité. Celui où le dormeur paradoxal est seul maître de son rêve, dans un espace de tous les possibles.
Masson, à l'aide de l'étrange machine de Swaime, va effectuer un unique voyage qu'il ne pourra jamais refaire : Certains pouvoirs imbus sauront l'en empêcher.
Une sorte d' Inception avant l'heure, mais avec une vision acérée et bouleversante d'une recherche désespérée. Quelque-chose que chacun de nous tente de retenir avant que le réveil ne disperse le songe.
Alors oui, le seuil du jardin mérite ses rééditions et une notoriété qu'il ne semble pas atteindre et, mes cinq belles étoiles dans la voûte d'une nuit de rêve.
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Le seuil du jardin a été pour moi une manière de prolonger ma rencontre avec cet auteur un peu oublié aujourd'hui, André Hardellet. Après le texte très sensuel et excitant de Lourdes, lentes, je me suis dit en abordant le seuil du jardin, ah ! que voilà un magnifique titre pour un récit érotique. Or, ici il n'en est rien contrairement au précédent livre et contrairement donc à l'intitulé du livre.
Cependant, le seuil du jardin évoque déjà des chemins de traverse, l'abord d'un autre monde, d'un autre versant, la barque qu'on pousse avec l'élan du pied sur la terre encore ferme qu'on quitte pour aller chercher l'autre rivage plus incertain.
Le seuil du jardin, c'est l'enchantement qu'il y a à venir accoster sur l'autre versant qu'on ne connaît pas encore.
Le seuil du jardin, c'est l'atmosphère d'un Paris qui n'est plus, il y a un côté titi parisien très touchant ici, et puis celui des bistrots, du zinc, des voyous, des petites frappes, des clandés, l'univers de Francis Carco par exemple auquel je suis très sensible ; nous sommes dans une pension de famille tenue par une personne chaleureuse et bienveillante qu'on appelle familièrement Maman Temporel. Alors, je me suis brusquement souvenu qu'un certain Guy Béart chantait cette très belle chanson intitulée « Bal chez temporel », dont le titre m'était resté un peu énigmatique durant très longtemps, autant vous le dire, depuis toujours. J'ai découvert depuis peu qu'André Hardellet avait écrit les paroles de cette chanson.
J'ai franchi le seuil du jardin et je suis entré dans un monde empli d'alcools, de fumées de cigarettes, effleuré par la douceur d'un regard aimé, étreint de mélancolie et de nostalgie. Il y a bien sûr une histoire, et quelle histoire ! Quelque chose qui vient brusquement s'inviter comme un air de fantastique.
André Hardellet m'offre l'occasion d'un regret : ah ! comme j'aurais aimé boire des verres sur un vrai zinc digne de ce nom et tailler une bavette avec l'auteur et ses amis, des copains comme Georges Brassens ou René Fallet et évoquer le temps qui passe...
Et puis, je le dis comme cela, j'y ai naturellement lu ici une lecture cruelle sur notre société.
Le seuil du jardin est le premier roman d' André Hardellet. le nom vient d'un tableau qu'un des locataires de la pension vient de peindre, un certain Stève Masson, une toile représentant une porte fermée donnant sur un jardin. Au bout de ce jardin, une autre porte... C'est un rêve qui lui a inspiré ce décor. C'est dire... Une porte, une seconde porte et voilà un chemin qui se dessine, presque onirique, comme je les aime...
Tout se mêle, tout prend forme au sein de cette pension de famille où l'amour s'invite en la personne d'une belle Hélène, où le mystère aussi s'invite lorsqu'un locataire, un certain Swaine, avec lequel Masson va se lier d'amitié, arrive dans cette pension, sa chambre occupe une surprenante machine inventée par ce locataire et qui ronronne. La beauté d'une peinture et les rouages d'un appareillage étrange vont brusquement se retrouver dans un chemin poétique, onirique, violent aussi, semé de convoitises, de troubles, d'espérance aussi qui peuvent dépasser les seuls objectifs des protagonistes.
D'un côté il y a une toile qui évoque le bonheur perdu et de l'autre côté, il y a une chambre où gît une étrange machine qui permet de revenir vers ce bonheur perdu. L'amitié de Masson et de Swaine est belle car elle va construire un magnifique chemin entre le rêve et l'improbable. Qui n'a pas rêvé un jour de disposer d'une machine capable de raviver nos souvenirs ?
Il suffit parfois d'un tableau, d'un paysage offrant une porte, nous n'avons pas encore la clef pour passer de l'autre côté du paysage, et brusquement une rencontre le permet, ou plutôt une rencontre donne l'espérance que c'est peut-être possible...
Le seuil du jardin est une manière riche de concilier le temps de l'un et celui de l'autre...
J'ai aimé ce roman atypique sorti tout droit de l'imaginaire d'un poète, que dis-je, d'un humaniste.
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Je ne connaissais André Hardellet que pour avoir lu son nom dans des romans d'Alphonse Boudard qui l'appellait :"Dédé Hardellet, le poète", je savais aussi qu'on lui devait le texte de la chanson de Guy Béart : "Bal chez Temporel", mais je ne l'avais jamais lu.

C'est avec ce singulier roman que je découvre sa plume.
Singulier, car, chronique de la vie d'une petite communauté, celle de la pension de famille de Mme Temporel (tiens !?), mâtinée d'épisodes d'ambiance "Série Noire" et avec une petite touche de fantastique, avec un inventeur que n'auraient pas renié Gaston Leroux ou Jacques Spitz.

Le personnage central, le peintre Stève (Stéphane) Masson, est intrigué par un nouveau pensionnaire, Swaine vieil homme d'aspect insignifiant, mais qui cache une étonnante trouvaille.

Je n'en dirai pas trop de l'intrigue, mais elle est habilement menée dans ce court roman.
La fin, au demeurant très logique, m'a laissé un petit goût amer. Mais, l'amertume de cette conclusion, ne gâche pas le plaisir de lecture de cet auteur talentueux, dont il convient d'entretenir la mémoire..!
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Dans son atelier, Masson tente de peindre un tableau intitulé « le seuil du jardin » représentant une porte fermée donnant sur un jardin. Au bout de ce jardin, une autre porte. Au fur et à mesure qu'il progresse dans l'élaboration de son tableau, Masson sent qu'il se rapproche de quelque chose qui est enfoui en lui, vivace, et qui lui promet la résurrection d'une joie déjà ressentie dans son enfance. A ses yeux, la peinture ne vaut que si elle ouvre sur un autre univers, celui du rêve et du souvenir. le rêve et le passé sont les vraies sources du bonheur humain, ce bonheur entrevu par nous tous, ce bonheur qui est en nous. Regarder un tableau, c'est se trouver au seuil d'un univers merveilleux mais insaisissable, propice à la réalisation de ses désirs ; franchir ce seuil, c'est évoluer, libre, dans un jardin d'Eden individuel.

« le seuil du jardin » est un roman qui nous dépeint, dans le Paris du début du 20ème siècle, la Pension Temporel avec ces hôtes singuliers, un maniaque des soldats de plomb, une femme énigmatique déguisée le jour en institutrice, le peintre Masson, acharné à peindre la réalité invisible (sa toile s'intitule « le Seuil du jardin ») et amateur de « clandés », puis Swaine, le vieux prof de philosophie « ennemi personnel du désespoir humain », tout absorbé dans la construction d'une mystérieuse machine : Masson découvrira la machine de Swaine, tentera - à la mort de Swaine - de l'acheter puis échouera dans son entreprise. « le seuil du jardin » est aussi un polar qui nous raconte le combat entre Géo - voyou à la force herculéenne -, Jo – le chef de Géo -, Masson, Swaine, Nord'Af - habile à manier le rasoir-, et d'autres, dans le seul but de s'emparer et de détruire la machine. « le seuil du jardin » est également un récit fantastique qui nous fera toucher du doigt une machine unique, mêlant rêves, mémoire, désirs insatisfaits et souvenirs d'enfance, une « machine à ressusciter le passé ».

« le seuil du jardin » est surtout une réflexion sur le totalitarisme : bien au-delà d'une simple interrogation sur la condition d'être humain, en tendre visionnaire et poète qu'il est, Hardellet, - opposant ainsi capitalistes et rêveurs -, montre que la réalité n'est qu'une mauvaise copie dont il nous faut découvrir l'original. Hardellet milite pour l'accès de tous les « compagnons » à la machine à rêver, accordant ainsi une place de choix à tous les rêveurs, mais menaçant du même coup l'équilibre d'une société résolument matérialiste, tournée vers l'avenir, fermée et oppressive. A la fin, le réel gagne contre le rêve : Swaine meurt et sa machine est détruite par les membres d'une organisation para-étatique. Hardellet, digne représentant de la cause libertaire ? C'est possible à en juger par les éléments suivants. Masson, le double romancé d'Hardellet, accorde de l'importance aux rêves de l'espace et du voyage : homme sans fixité, éternel locataire, Masson va de lieu en lieu, il côtoie ainsi des « compagnons » de travail, de jeu et d'existence, ceux et celles que la vie rassemble et qui se choisissent comme tels, « rompant ensemble le pain », au sein de la « tribu » Temporel. Chez ce « compagnon », il y a des contraintes coutumières : il n'y a certes pas d'initiation rituelle chez Masson (encore qu'il découvre la machine pas à pas, « éveillé » par Swaine lui-même), mais des obligations de détail réglementent son comportement, avec interdiction de fréquenter les auberges et cafés des autres « sociétés » que la sienne, avec la discipline à observer chez la Mère (Madame Temporel), avec un code des relations entre « compagnons ». Dans la vie de ce libertaire, il n'y a pas de place pour un chef : le rapport de Masson à Swaine est d'abord inscrit sous le signe de la méfiance, avant de se situer sous le signe du respect et de l'admiration. le « compagnon » itinérant revendique toujours le choix de son employeur : Masson ne fait pas autrement puisque qu'il se rend aux États-Unis pour exercer ses talents dès qu'il ne se satisfait plus de sa condition. le libertaire ne verbalise pas aisément son destin révolutionnaire : Masson n'est pas très bavard et il communique a minima sur son projet. le libertaire oscille entre deux propensions, l'individualisme et le collectivisme : le trajet de Masson, d'abord peintre solitaire, doux et réservé, puis combattant dans une équipe décidée, en rixe contre les voyous mais aussi contre les opposants à la liberté de rêver, n'est donc pas linéaire. Pour cet « agitateur-agité », doté d'une forte capacité à s'impliquer, c'est « le terrain » qui fournit l'occasion de la conciliation définitive. Chez Masson, le rêve d'une orgie de passions, d'un retour à l'enfance, donc d'une certaine forme de régression, est en conformité avec le ressourcement mythique propre à l'entrée en anarchie. Enfin, sans être un chef, Swaine possède un ascendant évident, de type charismatique, sur Masson, ascendant qu'on retrouve dans la reconnaissance enthousiaste du « compagnon » pour celui qui doit être l'objet d'une haute estime, d'une admiration, d'un attachement personnel, d'une amitié, d'une camaraderie, voire d'une affection. La fin du livre est également dans la lignée du courant libertaire : radicalité de l'individu sujet aux désastres, les masses (populaires) n'ayant par essence ni la force ni le génie de la révolution, et indignation quand le combat ne va pas jusqu'à son terme … or, c'est bien l'impossible que tente Masson lors de la vente aux enchères de la machine à ressusciter le passé. Hardellet dénonce (page 125) le non sens d'une existence promise au vide, le risque (page 139) de devoir se battre contre une réalité rugueuse ; il ambitionne (page 151) de rendre le rêve palpable comme un objet. le tableau (page 155) dénonce une intention cachée, hermétique. Empreint d'une évidente fraternité libertaire, oscillant entre le rêve et l'utopie, le livre montre la possibilité d'un autre monde, d'une victoire sur la servitude, d'une complicité dans la lutte contre tous les obstacles à la liberté. Hardellet dépeint un rituel de passage, permettant à l'individu - grâce à l'utopie et à l'amour du prochain -, de contempler la poésie d'un monde ouvert, transformé en un merveilleux champ d'aventures.
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Il fait partie de ces auteurs oubliés (les "ensablés" de la littérature comme les surnomme Hervé Bel dans le blog qu'il leur consacre) et sans le conseil d'un libraire, le désensablage est quasi impossible. Mais pour cela, il faut avoir de bons libraires : ouf, c'est mon cas !
La Collection L'Imaginaire chez Gallimard oeuvre aussi beaucoup en matière de désensablage. D'aucuns diront que c'est une grande maison et que c'est son rôle. Mais je persiste à trouver la démarche courageuse à l'heure du consumérisme effréné (non, je n'ai pas d'actions chez eux).
Parler de l'auteur et de son éditeur m'évite de parler du livre lui-même qui n'est vraiment pas des plus simples à présenter. Il est question d'une pension de famille tenue par maman Temporel avec présentation de ses occupants. Parmi eux, Stève Masson (Hardellet l'utilisera par la suite comme pseudonyme pour un autre livre), peintre dont le talent commence enfin à être reconnu mais dont le caractère est assombri par une quête difficile : "Je cherche toujours ce qu'il y a derrière mes tableaux ou derrière l'intention [...] L'autre côté des choses, le but secret." Il y parvient avec la toile nommée "Le seuil du jardin" (au moins, j'aurai expliqué le titre), expression d'un rêve récurrent le plongeant à chaque fois dans une béatitude addictive.
Un autre personnage fait alors son entrée dans l'histoire et la pension, Monsieur Swaine, professeur de philosophie en retraite. Terriblement secret (il fait poser des serrures sur toutes ses portes), celui-ci suscite aussitôt la curiosité méfiante des autres pensionnaires sauf celle de Masson, trop tourné vers lui-même et son art. La nuit, une étrange machine fait entendre son ronronnement. On apprend, après quelques péripéties, qu'il s'agit d'une sorte de lanterne magique permettant de fabriquer les rêves et de renouer avec les souvenirs. Masson et Swaine se rejoignent bien évidemment sur cet intérêt commun.
Cependant une telle machine apparaît pour certains comme une menace pour la société...
Une intrigue policière, de très beaux passages oniriques, une réflexion d'ordre philosophique, oui, ce livre mérite de sortir de l'oubli, comme son auteur.


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HELP !
Voici une oeuvre très appréciée des surréalistes et qu'il faudrait rééditer d'urgence car elle est épuisée. Quel dommage de la perdre ! (Non parce qu'André Breton l'aimait, mais pour ses qualités intrinsèques.)
Elle aborde d'une façon très hypnotique, le thème de la mémoire et du rêve. Un professeur a trouvé la machine à revivre les bons souvenirs (mais oui !). Un artiste peintre en fera les frais. Pourquoi ?
Vous le saurez si vous lisez ce petit livre poétique qui agit comme un charme. On le trouve encore d'occasion (un seul exemplaire sur le réseau des bibliothèques de Toulouse.)
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Je n'ai malheureusement pas eu d'enthousiasme pour ce roman, le premier que je lis d'André Hardelet.
L'écriture est belle, les personnages sont bien ficelés, l'ambiance est bien dépeinte, l'intrigue est intéressante. Que m'a-t'il manqué ? Un peu de folie peut-être.
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