Prenez un vieux manoir niché dans la campagne anglaise un soir de Noël, un vieux manoir à la décoration désuète mais à la grande cheminée dans laquelle flambe un grand feu, un vieil édifice aux chambres glaciales en revanche et à la bibliothèque poussiéreuse... Imaginez la demeure du Dr.Lenoir dans le Cluedo ou le château de "Downton Abbey" sans autant de lumière ni de battements de coeur. Downton, le luxe en moins.
Ajoutez-y une tempête de neige avec ce qu'il faut de gel et de vent pour couper l'électricité et tout contact avec l'extérieur. Cela arrive souvent dans les romans et même au cinéma. L'excellent "Huit Femmes" de
François Ozon en est une preuve d'ailleurs...
Enfin, pour parachever ce tableau aussi classique qu'efficace, aussi attendu que savoureux (parce que oui "
Meurtre à l'anglaise", c'est un peu comme la dine aux marrons puis la bûche à Noël, conventionnel mais toujours délicieux pour peu que la cuisson soit maîtrisée), il faut au manoir enneigé des habitants, à demeure ou invités.
Ici, donc, se trouve le maître vieillissant des lieux: Lord Warbeck qu'on imagine noble et blanchi, nostalgique de l'ère victorienne et des thés de sa très gracieuse majesté. L'aristocrate n'est pas en bonne santé et sa vie s'étiole, aussi cette réception de Noël qu'il organise compte infiniment. Il y a convié son fils unique Robert, bel homme sans doute charismatique mais qui règne en maître sur l'organisation fasciste qu'il préside, ainsi que son cousin Julius, chancelier ambitieux de l'échiquier nanti du policier chargé de sa protection. Enfin deux amies de la famille: la jeune et jolie Camilla liée à la famille par les liens du premier mariage de feue Lady Warbeck et éperdument amoureuse de Sir Robert, et Mrs. Carstairs bavarde comme une pie qui se trouve aussi être l'épouse du plus proche et brillant collaborateur de Julius.
Que serait un manoir sans son majordome? Celui de Warbeck Hall, Briggs, orchestre parfaitement le thé et le dîner, obséquieux et vieille école, un peu (beaucoup!) à la Carson...
Finalement, celui qui détonne le plus dans cette assemblée, c'est le professeur Bottwink, érudit venu d'Europe de l'Est et dont on devine qu'il est un rescapé de la barbarie nazie dont l'Europe se remet à peine. le savant occupe les lieux depuis quelques jours afin d'étayer ses travaux de recherche grâce au fond de la bibliothèque de la demeure.
Étrange dîner de réveillon entres convives bien dissemblables mais déterminés à passer un agréable moment jusqu'au douze coups de minuit où, après avoir vidé sa coupe de champagne, Sir Robert tombe raide mort, empoisonné...
Dehors la neige tombe sans discontinuer et ils sont parfaitement seuls dans le manoir. L'assassin est l'un d'entre eux, c'est sûr...
Commence alors pour les personnages le plus long Noël de leurs vies dans ce manoir sombre, trop grand, où tous s'épient, se méfient, se soupçonnent... faisant éclater au passage quelques mensonges et un secret.
Avec "
Meurtre à l'anglaise" pensé comme un pastiche des meilleurs whodunit auxquels cette bonne vieille tante Agatha a donné ses lettres de noblesse, je me suis régalée. Désuet, intelligent, paré d'un charme surrané qui est tout ce que je recherchais, c'est un roman parfait pour entrer dans l'hiver et en décembre, le roman idéal pour les amoureux de romans policiers à l'ancienne. Un classique indémodable comme la fameuse petite robe noire, conventionnel mais prenant dont les contours ont la douceur et l'affection d'un bel hommage au suspense et à "Dix Petits Nègres".