Panorama ou la création d'un nouvel âge....
C'est
Hésiode dans son ouvrage "
les travaux et les jours" qui en parle en premier des âges de l'humanité et qui en créa cinq : L'âge d'or, l'âge d'argent, l'âge d'airain, l'âge des héros et enfin l'âge de fer.
En revanche
Ovide n'en donnera que quatre : L'âge d'or, l'âge d'argent, l'âge d'airain, et l'âge de fer.
Lilia Hassaine, crée devant nos yeux ébahis l'âge de verre.... Et c'est réussi
Tout commence par une enquête policière, des plus banale, qui peut faire penser à d'autres : une famille disparaît, sauf que cette disparition se produit là où personne ne disparaissait jamais !!! Deux questions se posent alors :
Celle qui s'impose à l'enquêtrice : comment expliquer cette disparition?
Celle qui s'impose au lecteur : pourquoi un lieu où l'on ne peut disparaître ?
La réponse vient très vite nous sommes en 2029, à Paris, où se déroule le procès de la Justice, rien que ça... Un influenceur s'est fait justice lui-même, le hashtag "Revenge Week" déferle sur les réseaux sociaux, naît alors le mouvement Transparence citoyenne, mené par l'avocate de l'influenceur et un architecte dont la ligne est on ne peu plus claire, sans mauvais jeu de mots : « Nous avons accompli une révolution en quelques mois à peine : faire de la France une démocratie réelle, rendre le pouvoir au peuple. Néanmoins, si la Transparence veut perdurer, elle doit d'abord s'appliquer à nous-mêmes. Les viols, la maltraitance, les abus, les agressions, toutes les violences commises envers les humains et les animaux, ont un point commun : ils se déroulent à l'abri des regards, derrière les murs, dans les chambres des maisons et dans les ascenseurs des entreprises. Les espaces clos sont dangereux. Les murs sont menaçants. Chacun d'entre nous, et pour le bien de tous, devrait accepter de renoncer à une part d'intimité ; il en va de la paix civile. ».
Nous voici propulsé en 2050, dans une France où les habitants vivent dans des maisons transparentes, utilisent des transports en communs transparents, les enfants apprennent dans des écoles transparentes, des projets de cathédrale transparente....
Mais au-delà de ces aspects purement architecturaux ou urbanistiques qui en deviennent presque anecdotiques, il y a les aspects sociétaux, et là ça devient vertigineux
"La Transparence a produit les mêmes effets dans toutes les villes. Les communautés des réseaux sociaux ont pris corps. Nos amis virtuels, ceux qui nous ressemblent et partagent nos opinions, sont devenus nos voisins. le vivre-ensemble a cédé la place au vivre-ensemble-entre-soi. On a ainsi vu des féministes s'installer dans des quartiers interdits aux hommes, pendant que d'autres militantes, moins radicales, les acceptaient sous leur bannière. Les familles traditionnelles ont trouvé leur pré carré en bordure des villes, et les plus religieuses se sont installées dans des quartiers autour de temples, d'églises, de synagogues ou de mosquées. Certains homosexuels ont aussi fait le choix d'habiter entre eux."
L'auteure nous pousse dans nos retranchements, nous forçant à se poser les bonnes questions, par les réflexions d'Hélène Dubern, l'enquêtrice qui n'appartient ne fait plus partie des gardiens de la paix mais des gardiens de la protection :
"En ville, elles (les bibliothèques) ont peu à peu disparu des intérieurs. On préfère désormais les tablettes numériques, plus légères, plus pratiques. Surtout, elles permettent de lire la dernière version en date d'un ouvrage : depuis que les auteurs peuvent retoucher leur texte après publication, le livre n'est plus cet objet poussiéreux, figé dans le passé, il évolue, s'adapte à l'époque. Les maisons d'édition ont même recruté des modérateurs professionnels, chargés de retravailler et de nettoyer certains passages à la place de l'auteur. Trois versions d'un même ouvrage (une version brute, pour les universitaires, une version abrégée, pour les impatients, et une version normalisée, pour les plus sensibles) sont aujourd'hui disponibles grâce aux nouvelles tablettes."
Les inégalités n'y ont pourtant pas disparu. Car on y trouve un quartier huppé Paxton, et ses gardiens qui contrôlent les allées et venues, où les architectes ont rivalisé de créativité, créativité transparente bien sûr ;
Il y a le quartier de Bentham, le paradis des classes moyennes. Ces quartiers où les nuits sont blanches "Les rues sont éclairées. Même les étoiles s'ennuient." Quartier de maisons jumelles sorte de banlieues résidentielles
Puis vient le quartier Les Grillons où les habitants vivent dans des barres d'immeubles surpeuplées, ou dans des pavillons aux murs et aux cloisons en béton. Ils vivent hors de la Transparence, par manque de moyens pour certains, par volonté pour d'autres. Ce qui ne va pas sans créer suspicions, doutes, remarques. Et puis si ils l'ont choisi les contreparties sont on ne peu plus drastiques ils signent une décharge stipulant qu'ils renoncent à leur protection, acceptation de la vidéo surveillance, et les gardiens de la protection n'interviennent pas... La liberté a un prix, ou en tout cas cette forme de liberté aux regards des autres.
Il y existe aussi le site Internet transparence.fr, forcément un vraie une mine d'or : "Si vous cherchez des informations sur quelqu'un, vous trouverez en deux clics sa déclaration de patrimoine, ses revenus, son groupe sanguin, ses diplômes, et même ses empreintes digitales. Vous pouvez aussi obtenir la liste de toutes les adresses où il a vécu, et avec qui, et combien de temps. S'il a déjà été marié, s'il a des enfants. Chaque année, les Français acceptent de remplir une déclaration citoyenne. Les entreprises jouent le jeu, elles aussi, pour montrer qu'elles ne sont pas indifférentes aux inégalités salariales. Nous avons tous pris l'habitude de montrer patte blanche, et personne ne se risquerait à mentir. Si l'un de vos voisins, ou qui que ce soit d'autre, a des doutes sur la véracité de votre déclaration, il lui suffit de le signaler pour que des vérifications soient effectuées. Ceux qui trichent sont épinglés, et invités à déménager."
Bien plus que l'enquête en elle-même, qui bien sûr sert de fil conducteur à cet ouvrage, c'est plus cet aspect dystopique qui interpelle...
Car à la différence de bien des ouvrages de ce type, celui-ci nous renvoie à des comportements qui font déjà plus ou moins partie de notre quotidien, que ce soit volontairement ou à notre insu... Nous acceptons aujourd'hui de tout exposer de nos vies, jusqu'à en perdre la propriété de nos moments partagés, au sens propre et figuré, la propriété de nos souvenirs sur l'hôtel du paraître :
Au fond, qu'avons-nous à cacher ? Si nous n'avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas accepter de tout montrer ?
Aujourd'hui c'est bientôt celui qui ne montre pas qui devient suspect ? Ne pas avoir son compte sur les "réseaux", c'est presque être à la marge !!! Que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle. Ne pas partager c'est presque devenu louche,....
Quand son heroine se questionne :
"Je dois vous paraître rétrograde, mais je suis consciente que ce mouvement a démarré il y a longtemps déjà, quand chaque photo Instagram était une fenêtre sur nos vies. On dévoilait nos intérieurs, nos corps et nos opinions. Très vite, la discrétion a eu l'air d'une affreuse prétention. Refuser de montrer, c'était dissimuler.Dans la sphère professionnelle, beaucoup d'entreprises avaient déjà aboli les murs. Un être humain isolé dans un bureau représentait un risque : et s'il ne travaillait plus ? Et s'il passait son temps à gérer ses affaires personnelles, ou à jouer à des jeux en ligne ? En abattant les cloisons, les patrons faisaient des économies de surface, mais ils pouvaient surtout savoir qui arrivait à quelle heure, s'assurer que tout le monde était bien occupé à sa tâche et s'éviter deux ou trois affaires de moeurs au passage. Tout cela était présenté comme un gain de convivialité. On est tous ensemble, on est une équipe. La convivialité consistait donc à entendre les conversations téléphoniques de Clara, à subir les bruits de bouche de Michel et à voir Sylvain s'éclipser tous les jours à 11 heures aux toilettes. La société a pris le même chemin. Elle s'est muée en un gigantesque open space.Les réseaux sociaux ont connu leur apogée au moment de la révolte de 2029. L'avenir était alors au métavers, on nous promettait que l'homme du futur s'échapperait du monde matériel grâce à des casques de réalité virtuelle. Personne n'avait anticipé le scénario inverse : une société où, sans casque ni lunettes connectés, on jouerait chaque jour à être l'avatar de soi-même."
Où encore
" J'avais aimé les livres. le problème n'était pas que je ne les aimais plus, mais que je ne savais plus comment les faire fonctionner. Il n'y avait pas de bouton latéral, pas de mode veille. Et, même quand je parvenais à me concentrer pendant deux ou trois pages, je sentais mon coeur palpiter d'agacement, les phrases étaient trop longues, trop bavardes, elles ne s'adressaient pas à moi, c'était à moi de faire l'effort de les lire et de les comprendre. Mon smartphone était bien plus puissant, il ne me demandait rien, il anticipait mes désirs, et tout semblait gratuit. Plus tard, j'ai compris qu'il se nourrissait de mon ennui et que j'avais payé tous ces gens de mon temps. J'avais cru les belles parleuses, celles qui se piquaient de sororité et de bienveillance alors qu'elles s'enrichissaient sur le dos de mes complexes d'adolescente."
Et au final cet ouvrage, ne serait-il pas finalement une sorte de prémonition soulevant cette question :
Ne serions nous pas entrés dans l'âge du miroir,
dont le prolongement serait l'âge de verre...
Et ce pour le meilleur, ou plutôt pour le pire, comme pour le pire tel que le décrit
Jean Baudrillard dans
les stratégies fatales de "Les choses visibles ne prennent pas fin dans l'obscurité et le silence – elles s'évanouissent dans le plus visible que le visible : l'obscénité."