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sur 1617 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2023 # 20 °°°

Les premières lignes du prologue nous mettent sur la piste d'une enquête policière avec comme narratrice celle qui va la mener. Une disparition, banale pour un polar. Un couple et son fils de huit ans.

Sauf que nous sommes en 2049, dans une France dystopique où on vit à l'ère de la Transparence depuis la Revenge week de 2029, révolution qui a éclaté suite à un énième crime jugé impuni par une population excédée par le laxisme de la justice. Pour se libérer du Mal, les Français ont désormais le choix : vivre dans des quartiers transparents composés de maisons-vivariums. Un moins pire des mondes où on ne peut plus battre sa femme, maltraiter un enfant ou une personne âgée en EHPAD puisque la moindre suspicion de crime déclenche immédiatement une réaction des voisins, tous en hyper vigilance sur ce qu'il se passe à côté de chez eux.

La famille qui a disparu vit dans un de ces quartiers de verre huppés ultra sécurisés. Comment donc trois personnes peuvent-elle s'évaporer dans un monde où personne ne peut rien cacher ? L'enquête en elle-même est bien menée, mais manque de complexité ( tout est prévisible ) ... en amatrice de polars, je suis restée quelque peu sur ma faim.

Evidemment, l'essentiel pour l'autrice n'est dans la trame polar. Il réside dans l'anti-utopie que Lilia Hassaine a très intelligemment imaginé. On n'est clairement pas dans la dystopie cauchemardesque à la 1984 ou La Servante écarlate, mais dans un monde tellement proche du notre que le léger décalage en devient d'autant plus crédible et donc glaçant.

Des procès populistes en direct-live sur les réseaux sociaux pour infliger des peines aux délinquants. Des zones de droit, immeubles emmurés hors de la Transparence, dans laquelle vivre est une circonstance aggravante en cas de procès. Exhibitionnisme de ceux qui aiment être vus, vie affichée parfaite et sourire figé. Intimité impossible sauf à s'enfermer dans un lit sarcophage pour faire l'amour sans être vus … ou pas.

Mille détails à la lucidité terrifiante font immédiatement tilt dans notre esprit, d'autant que l'écriture de Lilia Hassaine est nette, sans fioritures, lisible et didactique, ce qui permet au lecteur de complètement croire à ce monde transparent. La narration est étonnamment calme et posée, resserrant l'intrigue au maximum de l'épure. On y perd un peu en haletant même si jamais l'intérêt ne retombe. Surtout, le lecteur est poussé à réfléchir de façon très fertile et stimulante.

L'autrice écrit vraiment fort bien et on aurait envie de noter de très nombreuses phrases qui résonnent avec l'évolution dérangeante de nos sociétés contemporaines. Par contre, l'ensemble est très froid, clinique, le cérébral prend le pas sur l'émotion. Ce n'est pas un défaut en soi, mais là, j'ai regretté de ne pas vibrer avec les personnages car je pense que cela aurait amplifié la réflexion à la Black Mirror, déjà riche. Cela aurait pu être moins désincarné avec plus de pages, notamment pour étoffer le bon personnage d'Hélène, l'enquêtrice quinquagénaire qui a connu le monde d'avant et voit ses certitudes voler en éclats à mesure qu'elle découvre la vérité sur ce qui se cache derrière les apparences.

« Une brèche s'est ouverte dans ma conscience. Je rêve de nouveau et voudrais ne plus jamais quitter mon lit. Depuis que j'ai commencé mon enquête, mon cerveau explore de nouveaux territoires. Il émet des hypothèses, il réfléchit sans moi. Pendant des années, mon sommeil n'était qu'une parenthèse, un tunnel interminable. le monde qui m'entourait était exactement ce qu'il avait l'air d'être, et je n'avais plus besoin de l'interpréter ni de le comprendre. Cette nuit, j'ai eu le sentiment de renouer avec l'invisible, avec tous ces signes, ces images qui échappent au langage, à la rationalité. »
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Vue panoramique… sur l'intérieur des voisins

Comme souvent dans les dystopies, le futur imaginé par Lilia Hassaine est fondé sur les meilleures intentions. Imaginez la transparence absolue, un monde aux parois vitrées où chacun vivrait sous le regard protecteur de ses voisins. le temps des violences domestiques et des abus de tous ordres semble révolu, c'est le règne de l'harmonie, du bon goût, du politiquement correct et du contrôle social. À tel point que la police devient superflue ! Pourtant, un jour une famille entière disparaît. Ancienne commissaire de police, Hélène reprend du service…

Lilia Hassaine tire le fil de son hypothèse : jusqu'où pourraient nous mener l'aspiration au contrôle social et la tentation du voyeurisme ? À quoi ressemblerait une société de la transparence totale ? Quels seraient son architecture, son système politique, son économie, ses méthodes éducatives, sa morale ? L'atmosphère est bien croquée, on étouffe derrière les doubles-vitrages, dans ces intérieurs lisses comme un tableau de Hopper.

J'aime les expériences de pensée et j'ai passé un très bon moment avec celle-ci. Elle donne à réfléchir aux tensions entre liberté et sécurité. À ce que l'on perd à laisser la sphère privée à une peau de chagrin. Aux limites de chercher à ménager toutes les susceptibilités ou de juger toute chose à l'aune de son potentiel instagrammable. Aux bonnes idées évidentes qui ne le sont souvent pas tant que ça.

J'ai trouvé que le roman forçait un peu le trait – sur les usages des réseaux sociaux qui, une fois de plus, présentés de manière outrancière, sur le manichéisme de la société imaginée qui n'offre par exemple un avocat qu'aux victimes ou avec cette protagoniste qui dévorait les livres, enfant, mais ne sait plus les utiliser en l'absence de « bouton latéral » ou de « mode veille ». J'ai pu avoir l'impression qu'en caricaturant certaines causes, l'autrice jetait un peu le bébé avec l'eau du bain. Mais j'ai été sensible à son éloge de la discrétion et du secret : pour vivre heureux, vivons cachés !

Et c'est hyper malin d'avoir mis le roman sous tension par le biais de cette disparition inexplicable. Il se dévore (même si j'ai trouvé la résolution de l'enquête un brin capillotractée).

Je n'ai donc pas été convaincue par tout mais ce n'est pas grave, j'ai pris un grand plaisir à lire ce roman porté par une plume très agréable qui mélange les genres avec bonheur. Une dystopie stimulante et captivante.
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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TRANSPARENCE A OUTRANCE N'ETANCHE PAS LA VENGEANCE.

Que voilà un chouette petit roman bien tourné. Nous sommes au carrefour de la Science-fiction et du polar avec une bonne touche de socio, comme tous les romans d'anticipations.

Voyez plutôt ! Nous sommes en 2049, âge du verre (2049 c'est loin et c'est proche en même temps... mine de rien, ça ne fera que 8 ans que je serai à la pension. La pension est à 67 ans en Belgique).
2049, c'est 20 ans après la "revenge week" événement durant lequel les foules hurlantes se sont vengées de tout un chacun. Suite à cela, il a été décidé de construire des villes en verre où tout est transparent, où tout le monde se voit. Bien entendu, pas partout, il reste un espèce d'inframonde qui ressemble furieusement à notre monde actuel.
Dans ce nouveau monde tout en verre, tout le monde a été regroupé par quartier, le quartier LGBTQI+, le quartier noir, le quartier des riches, le quartier des célibataires,... (Ouais ça fait un peu ghetto, d'accord).
Un monde ultrasécuritaire avec caméras et patrouilles de sécurité qui voient donc tout ce qu'il se passe à l'intérieur de chez vous, les murs étant tous en verre.
Et c'est là, dans le quartier des riches où tout se voit, où tout le monde a une caméra braquée sur lui que disparait une famille ! Miguel, Rose et Milo Pfffffff envolés.
Commence alors une enquête pleine de rebondissements, où Rose n'est pas Rose, où la voisine aurait pu se venger mais non, où les riches transparents n'ont de transparent que leur maison.
Un monde peuplé d'hypocrites transparents... même pas translucides.

Ce monde dépeint par Lilia Hassaine est peut être déjà le monde que nous vivons. Un monde où tout un chacun s'exhibe sur les réseaux sociaux. Un monde où tout le monde étale son bonheur, ses vacances, ce qu'il mange mais un monde aussi peuplé de faux-semblants.
Un monde transparent n'empêche pas l'humain d'être humain, dans tous ses travers.

Ce roman se laisse dévorer sans aucun problème, l'intrigue est bonne et se tient jusqu'au bout.
Pour moi un bon bouquin de cette rentrée littéraire 2023 !
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L'année 2029 a bouleversé notre société . Pour éradiquer les erreurs judiciaires, le monde doit devenir transparent. Les murs disparaissent, laissant place aux baies vitrées, tout le monde peut observer tout le monde . Vingt ans plus tard, dans le quartier ultra riche de Paxton , un couple et son enfant disparaissent mystérieusement. Malgré la Transparence.

Roman court, qui d'emblée nous présente la France de 2050, une France où les quartiers ont banni la mixité sociale . Les riches avec les riches, les écolos avec les écolos, les gays ensemble et la plèbe dans des zones de non droit. le tout étant bien délimité par des zones surveillées.
L'auteur pour nous dépeindre sa vision du futur y a ajouté une enquête policière , bien plate , mais qui a le mérité , et sans doute dont c'est le but, de nous faire naviguer entre les différentes strates de la nouvelle société.
Il se dégage une réflexion de ce livre . La Transparence n'enlève t elle pas plus qu'elle n'apporte ? D'autant plus que la nouvelle justice est sans doute bien plus perverse que la notre.
Peut on vivre sans jardin secret , n'est ce pas la fin des relations amoureuses au long court ? La situation des personnages nous offre une réponse.
J'ai beaucoup aimé le lien entre ce que l'on attend de la vie et l'endroit où l'on habite. Certes pour les pauvres, pas le choix , mais les autres peuvent s'extirper de l'aseptisation que la nouvelle société propose.

Voilà, une lecture divertissante, avec une vision dystopique , mais pas trop , de notre avenir. On aurait aimé un peu plus plonger dans notre futur où les innovations technologiques semblent mineures, et surtout que l'auteure s'attache plus à nous montrer le basculement dans la société de la Transparence et ses conséquences plutôt que de s'improviser auteure de polar .
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La justice française a failli. Obsolète, inégale, limitée, elle est devenue impuissante face à un peuple en colère, qui réclame vengeance pour ses victimes. La Revenge Week sonne la fin des institutions telles que nous les connaissons et, avec elles, la fin d'une époque. Désormais, c'est le peuple lui-même qui votera les lois et les sentences sur internet. Nous sommes en 2029 et une ère nouvelle vient de commencer, celle de la Transparence, où, pour faire baisser la criminalité, les gens choisissent de s'affranchir de leur intimité et des murs qui les cachent aux yeux du monde. Sous l'impulsion de Viktor Jouannet, un jeune architecte, les premières maisons-vivariums font leur apparition, les murs de pierre tombent pour laisser place à des parois de verre. Chacun s'épie, se surveille, se dénonce en cas de manquement au code du bon citoyen… Alors, dans de telles conditions, comment une famille entière peut-elle se volatiliser sans que personne n'ait rien vu?

Déjà séduite il y a deux ans par “Soleil amer”, il me tardait de lire le nouveau roman de Lilia Hassaine et je dois dire que je n'ai pas été déçue! Malgré un sujet très différent qui nous fait passer des cités HLM aux quartiers pavillonnaires huppés, dans un contexte uchronique, on y retrouve des ingrédients similaires tels que les conflits de classes, les secrets de famille, l'impact de la pression sociale… le tout se déroule dans une ambiance empreinte de tension qui donne au roman des allures de thriller et c'est très réussi!

Avec sa plume fluide et agréable, Lilia Hassaine nous offre un chouette roman, mené d'une main de maître et porté par une histoire qui se tient. C'est efficace, percutant, haletant et on en redemande! C'est d'ailleurs le seul reproche que je pourrais faire à cette lecture elliptique, construite sur des chapitres courts, trop courts, qui auraient mérité peut-être un peu plus de développement pour ne pas me laisser sur ma faim. Un très bon moment de lecture tout de même et une jolie découverte de cette rentrée littéraire!
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Nous sommes en 2049 et désormais la majorité des gens vivent dans des maisons en verre transparentes, car cela évite la violence domestique et les abus en tout genre.
La notion d'intimité a changé, puisque tout le monde peut voir ce qui se passe chez ses voisins, dans les écoles, les administrations, les commerces etc...
Les crimes et délits sont donc rares.
Mais tout comme dans la BD Astérix le gaulois, il existe des irréductibles qui refusent ce nouveau mode de vie.
C'est dans ce contexte qu'une famille entière va se volatiliser un soir, alors qu'ils s'apprêtaient à fêter un anniversaire.
Ce roman n'est ni tout à fait un polar, ni une oeuvre de science-fiction, mais un savant mélange entre les deux et surtout une réflexion sur nos sociétés actuelles et leurs possibles dérives.
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"Panorama" est une dystopie qui fait peur car la suppression des libertés, la surveillance à outrance n'est pas complètement invraisemblable et sous prétexte d'une plus grande transparence et d'un tout sécurité, on peut vite basculer dans un monde hyper contrôlé et cauchemardesque.
L'auteur n'a d'ailleurs pas choisi une date très éloignée de la nôtre puisque l'action se passe dans les années 2050.
L'intrigue policière n'est pas ce qui m'a le plus plu, j'ai bien plus apprécié la réflexion sur l'environnement et les dérives qui nous pendent au nez : délation, suspicion...
Les réseaux sociaux incitent certains à tout montrer ,ce que l'on mange, ses vacances, son intérieur, ses mouvements, faits et gestes. Tout se montre et les gens en redemandent puisqu'ils s'engouffrent dans ce tout transparent sans évaluer les dangers et les effets pervers.
Roman distrayant mais qui ne fait pas rêver...
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Si il y a une autrice qui se renouvelle, c'est bien Lilia Hassaine. Après un conte cruel et une saga familiale, la voilà qui se frotte avec brio au roman d'anticipation avec Panorama. L'histoire d'une disparition dans un monde où il est impossible de se cacher. En 2049, la transparence est en effet le maître mot. La vie se joue dans des maisons de verre sous le regard inquisiteur de ses voisins. Ainsi pas d'agression, de violence, d'abus. Tout est très aseptisé. Alors comment expliquer l'évaporation d'une famille entière ?
Hélène, ancienne commissaire, mène l'enquête…
Entre polar et dystopie, voilà un roman très accrocheur que je n'ai pas réussi à poser avant la fin et qui m'a fait froid dans le dos.
Tout paraît très crédible. Les personnages masculins semblent aussi toxiques que l'espace dans lequel ils évoluent.
Pas sûre d'avoir envie de ce monde là 😉
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Livre dystopique assez intéressant. Il nous plonge dans une société qui a peu de chances de voir le jour mais qui contient sa dose de vraisemblance.
Une société de la transparence ... réelle ! du moins pour les plus fortunés d'entre les rescapés. Les autres peuvent toujours survivre dans des résidences à l'ancienne, dans l'insécurité, se faisant maltraiter à l'abri des regards derrière des murs en béton, en bois, ou même végétalisés mais opaques. Alors que l'élite de la société, les pointdepouvoiristes, eux vivent dans des quartiers sécurisés, derrière des murs transparents qui garantissent qu'ils ne peuvent subir aucune agression puisque visibles par tout un chacun. C'est "voisins vigilants" poussé à son paroxysme.
Voilà le fond. La forme est une enquête policière assez peu rythmée qui nous permet de faire le tour des propriétaires de ces maisons d'architectes de verre et d'acier. Leurs motivations d'habiter dans ce genre d'endroits, les comportements induits etc...
L'enquête elle-même n'est pas très linéaire et il y a beaucoup de protagonistes à identifier en peu de pages, ce n'est pas facile.
Néanmoins l'ensemble tient assez bien la route et on continue à penser longtemps après à la notion de "transparence" véhiculée par les promoteurs de ce paradigme imaginaire. Intéressant donc.
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Panorama ou la création d'un nouvel âge....
C'est Hésiode dans son ouvrage "les travaux et les jours" qui en parle en premier des âges de l'humanité et qui en créa cinq :  L'âge d'or, l'âge d'argent, l'âge d'airain, l'âge des héros et enfin l'âge de fer.
En revanche Ovide n'en donnera que quatre : L'âge d'or, l'âge d'argent, l'âge d'airain, et l'âge de fer.

Lilia Hassaine, crée devant nos yeux ébahis l'âge de verre.... Et c'est réussi

Tout commence par une enquête policière, des plus banale, qui peut faire penser à d'autres : une famille disparaît, sauf que cette disparition se produit là où personne ne disparaissait jamais !!! Deux questions se posent alors :
Celle qui s'impose à l'enquêtrice : comment expliquer cette disparition?
Celle qui s'impose au lecteur : pourquoi un lieu où l'on ne peut disparaître ?

La réponse vient très vite nous sommes en 2029, à Paris, où se déroule le procès de la Justice, rien que ça... Un influenceur s'est fait justice lui-même, le hashtag "Revenge Week" déferle sur les réseaux sociaux, naît alors le mouvement Transparence citoyenne, mené par l'avocate de l'influenceur et un architecte dont la ligne est on ne peu plus claire, sans mauvais jeu de mots : « Nous avons accompli une révolution en quelques mois à peine : faire de la France une démocratie réelle, rendre le pouvoir au peuple. Néanmoins, si la Transparence veut perdurer, elle doit d'abord s'appliquer à nous-mêmes. Les viols, la maltraitance, les abus, les agressions, toutes les violences commises envers les humains et les animaux, ont un point commun : ils se déroulent à l'abri des regards, derrière les murs, dans les chambres des maisons et dans les ascenseurs des entreprises. Les espaces clos sont dangereux. Les murs sont menaçants. Chacun d'entre nous, et pour le bien de tous, devrait accepter de renoncer à une part d'intimité ; il en va de la paix civile. ».

Nous voici propulsé en 2050, dans une France où les habitants vivent dans des maisons transparentes, utilisent des transports en communs transparents, les enfants apprennent dans des écoles transparentes, des projets de cathédrale transparente....

Mais au-delà de ces aspects purement architecturaux ou urbanistiques qui en deviennent presque anecdotiques, il y a les aspects sociétaux, et là ça devient vertigineux

"La Transparence a produit les mêmes effets dans toutes les villes. Les communautés des réseaux sociaux ont pris corps. Nos amis virtuels, ceux qui nous ressemblent et partagent nos opinions, sont devenus nos voisins. le vivre-ensemble a cédé la place au vivre-ensemble-entre-soi. On a ainsi vu des féministes s'installer dans des quartiers interdits aux hommes, pendant que d'autres militantes, moins radicales, les acceptaient sous leur bannière. Les familles traditionnelles ont trouvé leur pré carré en bordure des villes, et les plus religieuses se sont installées dans des quartiers autour de temples, d'églises, de synagogues ou de mosquées. Certains homosexuels ont aussi fait le choix d'habiter entre eux."

L'auteure nous pousse dans nos retranchements, nous forçant à se poser les bonnes questions, par les réflexions d'Hélène Dubern, l'enquêtrice qui n'appartient ne fait plus partie des gardiens de la paix mais des gardiens de la protection :

"En ville, elles (les bibliothèques) ont peu à peu disparu des intérieurs. On préfère désormais les tablettes numériques, plus légères, plus pratiques. Surtout, elles permettent de lire la dernière version en date d'un ouvrage : depuis que les auteurs peuvent retoucher leur texte après publication, le livre n'est plus cet objet poussiéreux, figé dans le passé, il évolue, s'adapte à l'époque. Les maisons d'édition ont même recruté des modérateurs professionnels, chargés de retravailler et de nettoyer certains passages à la place de l'auteur. Trois versions d'un même ouvrage (une version brute, pour les universitaires, une version abrégée, pour les impatients, et une version normalisée, pour les plus sensibles) sont aujourd'hui disponibles grâce aux nouvelles tablettes."

Les inégalités n'y ont pourtant pas disparu. Car on y trouve un quartier huppé Paxton, et ses gardiens qui contrôlent les allées et venues, où les architectes ont rivalisé de créativité, créativité transparente bien sûr ;
Il y a le quartier de Bentham, le paradis des classes moyennes. Ces quartiers où les nuits sont blanches "Les rues sont éclairées. Même les étoiles s'ennuient." Quartier de maisons jumelles sorte de banlieues résidentielles

Puis vient le quartier Les Grillons où les habitants vivent dans des barres d'immeubles surpeuplées, ou dans des pavillons aux murs et aux cloisons en béton. Ils vivent hors de la Transparence, par manque de moyens pour certains, par volonté pour d'autres. Ce qui ne va pas sans créer suspicions, doutes, remarques. Et puis si ils l'ont choisi les contreparties sont on ne peu plus drastiques ils signent une décharge stipulant qu'ils renoncent à leur protection, acceptation de la vidéo surveillance, et les gardiens de la protection n'interviennent pas... La liberté a un prix, ou en tout cas cette forme de liberté aux regards des autres.

Il y existe aussi le site Internet transparence.fr, forcément un vraie une mine d'or : "Si vous cherchez des informations sur quelqu'un, vous trouverez en deux clics sa déclaration de patrimoine, ses revenus, son groupe sanguin, ses diplômes, et même ses empreintes digitales. Vous pouvez aussi obtenir la liste de toutes les adresses où il a vécu, et avec qui, et combien de temps. S'il a déjà été marié, s'il a des enfants. Chaque année, les Français acceptent de remplir une déclaration citoyenne. Les entreprises jouent le jeu, elles aussi, pour montrer qu'elles ne sont pas indifférentes aux inégalités salariales. Nous avons tous pris l'habitude de montrer patte blanche, et personne ne se risquerait à mentir. Si l'un de vos voisins, ou qui que ce soit d'autre, a des doutes sur la véracité de votre déclaration, il lui suffit de le signaler pour que des vérifications soient effectuées. Ceux qui trichent sont épinglés, et invités à déménager."

Bien plus que l'enquête en elle-même, qui bien sûr sert de fil conducteur à cet ouvrage, c'est plus cet aspect dystopique qui interpelle...

Car à la différence de bien des ouvrages de ce type, celui-ci nous renvoie à des comportements qui font déjà plus ou moins partie de notre quotidien, que ce soit volontairement ou à notre insu... Nous acceptons aujourd'hui de tout exposer de nos vies, jusqu'à en perdre la propriété de nos moments partagés, au sens propre et figuré, la propriété de nos souvenirs sur l'hôtel du paraître :
Au fond, qu'avons-nous à cacher ? Si nous n'avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas accepter de tout montrer ?
Aujourd'hui c'est bientôt celui qui ne montre pas qui devient suspect ? Ne pas avoir son compte sur les "réseaux", c'est presque être à la marge !!! Que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle. Ne pas partager c'est presque devenu louche,....

Quand son heroine se questionne :
"Je dois vous paraître rétrograde, mais je suis consciente que ce mouvement a démarré il y a longtemps déjà, quand chaque photo Instagram était une fenêtre sur nos vies. On dévoilait nos intérieurs, nos corps et nos opinions. Très vite, la discrétion a eu l'air d'une affreuse prétention. Refuser de montrer, c'était dissimuler.Dans la sphère professionnelle, beaucoup d'entreprises avaient déjà aboli les murs. Un être humain isolé dans un bureau représentait un risque : et s'il ne travaillait plus ? Et s'il passait son temps à gérer ses affaires personnelles, ou à jouer à des jeux en ligne ? En abattant les cloisons, les patrons faisaient des économies de surface, mais ils pouvaient surtout savoir qui arrivait à quelle heure, s'assurer que tout le monde était bien occupé à sa tâche et s'éviter deux ou trois affaires de moeurs au passage. Tout cela était présenté comme un gain de convivialité. On est tous ensemble, on est une équipe. La convivialité consistait donc à entendre les conversations téléphoniques de Clara, à subir les bruits de bouche de Michel et à voir Sylvain s'éclipser tous les jours à 11 heures aux toilettes. La société a pris le même chemin. Elle s'est muée en un gigantesque open space.Les réseaux sociaux ont connu leur apogée au moment de la révolte de 2029. L'avenir était alors au métavers, on nous promettait que l'homme du futur s'échapperait du monde matériel grâce à des casques de réalité virtuelle. Personne n'avait anticipé le scénario inverse : une société où, sans casque ni lunettes connectés, on jouerait chaque jour à être l'avatar de soi-même."

Où encore
" J'avais aimé les livres. le problème n'était pas que je ne les aimais plus, mais que je ne savais plus comment les faire fonctionner. Il n'y avait pas de bouton latéral, pas de mode veille. Et, même quand je parvenais à me concentrer pendant deux ou trois pages, je sentais mon coeur palpiter d'agacement, les phrases étaient trop longues, trop bavardes, elles ne s'adressaient pas à moi, c'était à moi de faire l'effort de les lire et de les comprendre. Mon smartphone était bien plus puissant, il ne me demandait rien, il anticipait mes désirs, et tout semblait gratuit. Plus tard, j'ai compris qu'il se nourrissait de mon ennui et que j'avais payé tous ces gens de mon temps. J'avais cru les belles parleuses, celles qui se piquaient de sororité et de bienveillance alors qu'elles s'enrichissaient sur le dos de mes complexes d'adolescente."

Et au final cet ouvrage, ne serait-il pas finalement une sorte de prémonition soulevant cette question :

Ne serions nous pas entrés dans l'âge du miroir,
dont le prolongement serait l'âge de verre...

Et ce pour le meilleur, ou plutôt pour le pire, comme pour le pire tel que le décrit Jean Baudrillard dans les stratégies fatales de "Les choses visibles ne prennent pas fin dans l'obscurité et le silence – elles s'évanouissent dans le plus visible que le visible : l'obscénité."
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