- Le lâche souffre mille morts, mais le brave n’en souffre qu’une.
- Oui. Qui a dit cela ?
- Je ne sais pas.
- C’est un lâche probablement, dit-elle. Il connaissait bien les lâches, mais il ne connaissait pas les braves. Le brave souffre peut-être deux mille morts s’il est intelligent. Seulement il n’en parle pas.
Il dit que nous étions tous fichus mais que ça n'avait pas d'importance tant qu'on ne s'en doutait pas. Nous étions tous fichus. Le gros point était de ne pas l'admettre. La victoire resterait au pays qui serait le dernier à s'apercevoir qu'il était fichu.
Toutes les fresques paraissent bonnes quand elles commencent à peler et à s'écailler.
L'aumonier était bon, mais embêtant. Les officiers n'étaient pas bons, mais ils étaient embêtants. Le roi était bon, mais embêtant. Le vin était mauvais, mais pas embêtant.
La guerre était très loin. Au fait y avait-il bien une guerre ? Il n'y avait pas de guerre ici. Alors seulement je me rendis compte qu'elle était finie pour moi. Mais je n'avais pas l'impression qu'elle fût définitivement terminée. J'avais la sensation d'un gamin qui, faisant l'école buissonnière, pense, à une certaine heure, à ce qui se passe alors en classe.
La mort était arrivée à l'improviste, sans raison.
- Il y a longtemps que vous êtes infirmière?
- Depuis la fin de 1915. J'ai commencé en même temps que [mon fiancé]. Je me souviens... J'avais cette sotte idée qu'on l'enverrait peut-être dans mon hôpital... avec un coup de sabre probablement, et un bandage autour de la tête... ou une balle dans l'épaule... quelque chose de pittoresque...
- C'est ce front-ci [en Italie] qui est pittoresque.
- Oui, dit-elle. Les gens ne peuvent pas s'imaginer quelle est la situation en France. S'ils savaient, ça ne pourrait pas continuer...Il n'a pas reçut de coup de sabre. Il a été déchiqueté en morceaux.
- Comment se fait-il que vous soyez socialistes ?
- Nous sommes tous socialistes. Tout le monde est socialiste. Nous avons toujours été socialistes.
- Il faudra venir, Tenente. On fera d’vous un socialiste aussi.
Je sais que la nuit n'est pas semblable au jour, que le choses de la nuit ne peuvent s'expliquer à la lumière du jour parce qu'elles n'existent plus alors ; et la nuit peut être effroyable pour les gens seuls, dès qu'ils ont pris conscience de leur solitude; mais avec Catherine, il n'y avait pour ainsi dire aucune différence entre le jour et la nuit, sinon que les nuits étaient encore meilleures que les jours. Quand les individus affrontent le monde avec tant de courage, le monde ne peut les briser qu'en les tuant. Le monde brise les individus, et, chez beaucoup, il se forme un cal à l'endroit de la fracture ; mais ceux qui ne veulent pas se laisser briser, alors, ceux-là, le monde les tue. Il tue indifféremment les très bons et les très doux et les très braves. Si vous n'êtes pas parmi ceux-là, il vous tuera aussi, mais en ce cas il y mettra le temps.
Non, la sagesse des vieillards c’est une grande erreur. Ce n’est pas plus sages qu’ils deviennent, c’est plus prudents.