Le vieil homme
Hemingway pêche un gros poisson : le lecteur.
Il se blesse les mains en écrivant et en pêchant, mais qu'importe, il le tient son lecteur-poisson, et il ne le lâche pas,
malgré la tension insoutenable de chaque ligne. Il a mal aux mains, au dos, aux épaules à force de se voûter et de tendre toute son énergie, jusqu'à l'anéantissement.
Mais il a été plus que prévoyant le vieil homme, il a bien déroulé sa ligne sur plusieurs mètres, sur plusieurs pages, pour être sûr de laisser au lecteur-poisson de l'espace,
le bleu de la mer, le blanc entre les lignes mais l'encre comme le sang des mains du vieil homme, comme le sang du lecteur-poisson qui s'efforce de supporter la blessure de l'hameçon,
concrétise un pacte de lecture, et l'auteur et le lecteur se retrouvent comme deux frères, comme deux hommes, comme deux poissons.
Mais ne me dites pas que se pointent les requins ?
Un maki aussi noble qu'
Hemingway, un bon écrivain lui aussi aussi noble qu'
Hemingway, qui attire vers lui le lecteur ... On sent que le lecteur s'échappe à la fin et que le vieil homme,
Hemingway,
n'en gardera pas grand chose de son lecteur ... et voilà que se pointent les requins-marteaux qui débarquent, deux par deux, un par un, toute une horde à la fin ! Que d'écrivains qui s'attaquent au lecteur
sans respecter les règles de l'art de la pêche et de la grande littérature et qui arrachent toute la chair du lecteur ... Alors,
Hemingway se retrouve avec ce qui reste de son lecteur à la fin de cette lecture, un cadavre où il ne reste plus grand chose, hormis la tête et le squelette ...