Mais qui êtes-vous, Caroline ??? (vous permettez que je vous appelle Caroline ?)
D'où venez-vous, de quelle planète ?
Par quel prodigieux maléfice avez-vous conçu
Solak, ce diamant brut, solide, aiguisé comme une lame, tranchant comme un scalpel ?
Et Piotr, et Grizzly, et Roq, et le gamin, quelle faute impardonnable ont-ils bien pu commettre pour mériter l'exil dans cette prison de glace à la beauté terrible que vous leur avez bâtie, tout là-haut en plein coeur du cercle polaire arctique (qui dans votre Divine Tragédie, ressemble à s'y méprendre au dizième cercle de l'enfer) ?
Comment et pourquoi se sont-ils retrouvés là ?
Beaucoup de questions, très peu de réponses. Une vague mission d'étude climatologique, assortie d'objectifs militaires tout aussi confus ("garder un drapeau planté sur un glaçon", comme pour "revendiquer la propriété du blanc et du vide"...), mais pour le reste
Solak reste un grand mystère. Un concentré de colère et de violence pure, sourde, quasi bestiale.
C'est aussi et surtout une claque magistrale assénée en pleine face par une plume merveilleusement affutée, une plume qui saisit le lecteur à la gorge à la manière d'un blizzard mordant et qui en peu de mots dit tout. L'isolement et la promiscuité, les idées noires corrosives, l'urgence de la survie, la nuit qui gagne et le froid qui rend fou.
Quelle épreuve !
Quel supplice que d'assister à l'inexorable chute des températures et d'observer, impuissants, le délitement des corps et les esprits !
Quelle terrible expérience que ces quelques mois passés hors du temps, sur cette base en lisière du monde, à embrasser à pleine bouche "la vraie solitude avec son haleine de renard crevé" !
Et quelle puissance d'écriture, quel saisissement dans les descriptions ciselées d'un univers hostile et clos, d'une banquise effroyable qui anesthésie tout !
N'y venez pas pour la frime, pour la soif d'aventure et de dépaysement, car "il y a loin du fantasme du grand frisson à la réalité de
Solak, qui n'est rien que du néant au fond d'une grande bouche de froid". Ici les âmes sont mises à nues, la menace est partout, le silence règne en maître. Ici l'homme se fait bête, il se terre et se recroqueville. "Ici il n'y a qu'un mot-roi. S'adapter. S'adapter ou mourir, il n'y a pas d'entre-deux. Il y a le jour et la nuit, faut pas chercher à exister dans les interstices."
Piotr l'a bien compris. À sa manière sèche et bourrue, avec ses mots de vieux soldat revenu de tout, il nous raconte la vie dans la Centrale, les mille dangers du dehors (Winter is coming !), l'agressivité de Roq, les secrets de Grizzly et le mutisme de cet étrange gamin qui vient de les rejoindre...
À mesure que la nuit et le froid gagnent du terrain, l'atmosphère sur le camp se fait plus électrique, et le lecteur comprend vite que le pire est inévitable. Alors il guette, retient son souffle, se demande lequel des quatre colocataires maudits sera le premier à perdre la raison. Il redoute l'implosion imminente du groupe, il s'attend à tout mais
Solak lui réserve encore deux surprises de taille ... et tout ça en seulement 128 pages, c'est dingue !
Alors merci à vous, Caroline, pour ce roman coup de poing, bravo pour ce petit bijou brillant dans les ténèbres comme un cristal de glace.
Vous m'avez cueilli.
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