Thomas Hofnung avait déjà consacré un livre en 2005 à la
Côte d'Ivoire (La crise en
Côte d'Ivoire. Dix clés pour comprendre). On ne peut que se féliciter que La Découverte l'ait invité à actualiser son ouvrage. Car, avec la reddition le 11 avril 2011de
Laurent Gbagbo et de ses forces, c'est une page qui se tourne dans l'histoire de la Côte d'Ivoire.
Tout commença en 1993 avec la mort de Felix Houphouët-Boigny, le père de l'indépendance ivoirienne. Trois hommes se disputèrent sa succession, les trois mêmes qu'on retrouvera près de vingt ans plus tard, opposés dans un duel fratricide : l'héritier officiel Henri Konan Bédié, l'opposant de toujours,
Laurent Gbagbo, et l'économiste en chef Alassane Ouattara.
Le premier gouverna le pays pendant sept ans, distilla le poison de l'ivoirité pour disqualifier Ouattara et fut victime d'un mouvement d'humeur de la soldatesque qui se transforma, sans que personne l'eût vraiment voulu, en putsch militaire à Noël 1999.
Le deuxième remporta l'élection « calamiteuse » d'octobre 2000 et, grâce à un talent manoeuvrier qui lui valut le surnom de « boulanger d'Abidjan » se maintint au pouvoir pendant près de dix ans. Persuadé qu'il allait les emporter, il finit par consentir à organiser des élections qu'il perdit, affirma contre toute évidence qu'il les avait gagnées et fut finalement délogé du pouvoir par les troupes du « président élu » soutenues par l'armée française.
Le troisième prend à soixante-neuf ans la tête d'un pays exsangue : l'économie est « en panne sèche » (p. 176), la société « en lambeaux » (p. 175). Les défis sont immenses. Il faut mobiliser l'aide extérieure et rassurer les investisseurs internationaux. Il faut créer une nouvelle armée en démilitarisant les milices. Il faut juger les crimes de guerre, notamment ceux commis par les forces pro-Ouattara dans l'ouest du pays à Duékoué. Il faut enfin tourner la page de l'ivoirité et (re)construire une citoyenneté ivoirienne porteuse de sens.
Quelle place pour la France dans la nouvelle
Côte d'Ivoire ?
Pour éviter de se retrouver prise au piège, comme elle le fut en novembre 2004 lorsque les « Jeunes patriotes » de Charles Blé Goudé prirent d'assaut l'hôtel Ivoire, la France a veillé à n'être jamais au premier plan. Son comportement durant la chute de
Laurent Gbagbo fut de ce point de vue exemplaire. Elle a d'abord délégué à l'ONU le soin de contrôler le déroulement de l'élection présidentielle. Elle a ensuite laissé l'UEMOA tenter d'asphyxier économiquement le « président sortant ». Si elle a enfin prêté la main aux forces de Ouattara pour déloger Gbagbo du sous-sol du palais présidentiel, c'est à leur demande expresse et sur le fondement de la résolution 1975 du Conseil de sécurité de l'ONU.
le président Ouattara sait ce qu'il doit à la France. Mais il sait aussi que le soutien trop visible de l'ancienne puissance coloniale lui serait rapidement reproché. La France n'a d'ailleurs pas l'intention de renouer avec un quelconque « âge d'or » depuis longtemps révolu. Certes, Bouygues ou Bolloré ont des intérêts économiques à Abidjan. Mais la France n'a pas besoin économiquement de la Côte d'Ivoire. Certes, elle y maintiendra une présence militaire ; mais la réorganisation de son dispositif africain est désormais bien engagée qui fait de Libreville la dernière base française sur la façade atlantique. Certes elle ne peut se désintéresser de sa nombreuse communauté qui a dû être rapatriée en 2004 mais qui est depuis revenue en masse, manifestant sa confiance dans l'avenir du pays. Pour toutes ces raisons, la France doit avoir le triomphe modeste et, sans se départir de la retenue dont elle a su faire preuve depuis le début de la crise, savoir accompagner la
Côte d'Ivoire dans sa reconstruction en gardant un profil bas.