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sur 456 notes
Joris-Karl Huysmans fait typiquement partie des auteurs que je crains de lire et qui, une fois lus, me font amèrement regretter de ne pas les avoir découverts avant !

Je ne peux pas vraiment m'expliquer pourquoi je craignais de m'attaquer à son oeuvre, d'autant que cela fait longtemps que je vois "Là-bas" me faire de l'oeil ; sans doute craignais-je un style trop académique et une narration trop philosophique ou engagée (comme semblait d'ailleurs le confirmer le premier chapitre qui n'est rien de moins qu'un pamphlet adressé à Zola et aux naturalistes) mais, en réalité, l'écriture est très accessible, très romanesque et j'ai vraiment beaucoup apprécié ma lecture.

Attention, toutefois, âmes sensibles s'abstenir !

Bien que publié en 1891, "Là-bas" est un roman très moderne qui donne facilement la nausée et qui n'a pas à envier leurs descriptions à nos auteurs de thrillers contemporains. En même temps, avec pour sujet la biographie de Gilles de Rais, le Boucher du XVème siècle, il ne faut pas s'attendre à cueillir des pâquerettes et à danser des tarentelles...

La narration se développe en deux espaces concomitants : d'une part, Durtal, écrivain et biographe, cherche à comprendre les mécanismes du satanisme et du spiritisme qui auraient influencé son sujet, l'odieux Barbe-Bleue de Tiffauges - pourtant compagnon de Jeanne d'Arc et maréchal de France, l'un des plus puissants seigneurs de son temps -, et dans sa quête, découvre que les pratiques occultes sont loin d'avoir disparu du monde moderne ; d'autre part, le lecteur découvre la biographie de Gilles de Rais en cours de rédaction et suit, épouvanté, la lente descente aux Enfers de ce bourreau d'enfants qui aurait fait près d'un millier de victimes. Donc, vous voilà prévenus, mieux vaut avoir le coeur et les tripes bien accrochés.

Malgré la noirceur du roman, j'ai pleinement savouré la langue de Huysmans et les différentes atmosphères qu'il arrive à rendre très vivantes : du logis du sonneur de cloches de Saint-Sulpice aux caves de Champtocé, autre antre de la Bête du pays de Loire, ou encore du logement de célibataire de Durtal aux messes noires secrètes de la rue de Vaugirard.

Pour conclure, un roman qui ne peut laisser indifférent.


Challenge MULTI-DÉFIS 2018
Challenge XIXème siècle 2018
Challenge ABC 2017 - 2018
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Il y a fort longtemps, mon père, qui était féru d'Histoire, m'avait parlé de Gilles de Rais. N'en ayant qu'un souvenir très sommaire, j'ai eu envie d'approfondir ma connaissance de ce personnage sulfureux et c'est avec une grande curiosité que j'ai ouvert ce livre.
Curiosité qui a été rapidement douchée car, au fil des pages, s'est installé en moi une sorte d'angoisse ; un malaise qui, si je ne m'étais engagée à le lire dans le cadre d'une Masse Critique, m'aurait sans doute poussée à interrompre cette lecture tant cela m'était insupportable et dépassait dans l'horreur tout ce que j'aurais pu imaginer.

Ce type m'est apparu comme une immonde et lâche pourriture ; un taré de la plus basse espèce qui n'a pu se laisser aller à ses plus vils instincts que grâce à la complicité de ses sbires et, surtout, au pouvoir absolu que lui conféraient sa naissance et son rang.
Il aura fallu l'intervention d'un homme dont la probité ne pouvait être mise en doute, Jean de Malestroit, Evêque de Nantes, pour mettre un terme à tout cela ; prendre en chasse Gilles de Rais et le traîner en justice. Là encore, Rais, démuni de son pouvoir et de ses appuis, a confirmé l'infâme petite bouse qu'il était en se trainant à genoux, battant sa coulpe en sanglotant, implorant le pardon de ses victimes ainsi que la clémence de ses juges et du Ciel.
Et, c'est afin d'échapper à la torture, qu'il s'est engagé à avouer de lui-même, et par le menu, tous ses crimes sans en omettre aucun. Ces aveux consignés par écrit ont permis que l'histoire de Gilles de Rais traverse les siècles.

Cet excellent roman historique de Huysmans s'appuyant sur l'affaire Gilles de Rais s'étend sur un développement fort instructif relatif à l'occultisme, le spiritisme et le culte voué à Satan sévissant encore au XIXe siècle.
Et pourtant... bien qu'excellent, je n'ai jamais été aussi soulagée de terminer un livre car, durant toute sa lecture, il a généré en moi une anxiété d'avoir ouvert la porte sur un univers spirituel qui m'était étranger et d'avoir appris des choses que, finalement, je n'avais pas tant envie de savoir.

Avec tous mes remerciements aux Editions OKNO pour leur envoi gracieux.
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C'est par Houellebecq qui l'évoque dans son dernier roman Soumission que je suis arrivée à Huysmans : merci Michel, je suis encore toute ébaudie d'avoir découvert cet auteur de haut vol.
La connexion entre ces deux auteurs est d'ailleurs la première chose qui m'ait sauté au yeux en ouvrant ce roman : même procédé narratif dans lequel l'auteur se cache (à peine) derrière un personnage fictif et s'appuie sur des éléments historiques factuels pour transmettre ses idées; même regard désabusé sur l'époque moderne, même mépris de la tristesse des idéaux bourgeois. Ce roman repeint du coup d'une nouvelle couleur les écrits de Houellebecq auxquels je découvre de profondes racines.

Autre dimension qui m'a fortement interpellée dans ce roman puissant : L'évocation de Gilles de Rais et à travers elle la dimension spirituelle d'un Moyen-Age à l'âme plus haute qu'aujourd'hui (nous dit l'auteur) me fait également reconsidérer, de manière dérangeante comme à la lecture de Houellebecq, cette aspiration récente que beaucoup partagent aujourd'hui : celle d'un ré-enchantement du monde ; car s'il est vrai que du mysticisme au satanisme il n'y a qu'un pas, vouloir réintégrer de la fantaisie, des elfes et des rêves dans notre univers matérialisé à outrance suppose d'accepter dans le même temps les diables, les messes noires et les cauchemars et cela, je ne suis pas sûre que nous y soyons prêts.

Une lecture très forte, un style puissamment évocateur que je vais sans nul doute chercher à retrouver bientôt à travers d'autres oeuvres de Huysmans.
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Durtal regarde Là-bas, du côté du satanisme, des messes noires, des succubes et des incubes, comme s'il regardait Là-haut, avec le besoin de faire cheminer son âme n'importe où, tant qu'elle ne reste pas sur le plancher des vaches.


Quatre ans après l'écriture de ce roman, Huysmans se convertit au catholicisme. La conversion murissait sans doute depuis quelques années, mais on ne s'en doute qu'à moitié lorsqu'on lit Là-bas. En effet, on ne peut pas dire que ce soit le roman de la foi absolue, sûre d'elle et bien déterminée. Bien sûr, Durtal, excédé par des conversations qui ne résolvent rien, exalté par des monomaniaques d'une pensée, avec qui il fait toutefois bonne ripaille, rendu presque fou par cette Hyacinthe qui le confronte de force à son instinct charnel, allant jusqu'à se sentir des pulsions meurtrières qu'inspire peut-être son sujet d'étude Gilles de Rais, Durtal finit par gueuler, en guise de conclusion : « Puisque tout est soutenable et que rien n'est certain, va pour le succubat ! ». Mais Durtal aurait très bien pu autant s'en remettre à l'esprit scientifique, et se déclarer Charcot ou Curie. Voilà ce qui arrive à ceux qui se palpent trop de la cervelle, à comparer toutes les formes de vie, à emmagasiner les connaissances, voilà ce qui arrive à ceux qui ont trop de vie en eux, trop de curiosité et une tendance passionnelle indomptable : ils finissent par dire oui à tout et lorsque ce n'est plus possible, ils se positionnent sur un coup de tête, à la suite d'une conjonction d'événements favorables : un entourage du même bord, des repas échauffants, un sujet d'étude stimulant.


Durtal et ses copains font un peu penser à Bouvard et Pécuchet en version sombre, attirés seulement par le côté ésotérique des connaissances. Et ce qui est excitant là-dedans, c'est de sentir qu'on franchit des limites qui ne sont pas ouvertes à tout le monde. Il y a beaucoup d'élitisme dans cette attitude, même si les instincts les plus classiques du monde interviennent en silence. Pas la peine de se vanter en invoquant une tendance à la haute spiritualité, Huysmans se montre ici beaucoup plus enjoué que dans A rebours. On sent que ça fait du bien à tout le monde de sortir de chez soi, quitte à fréquenter les messes noires : au moins, il s'y passe quelque chose, et de l'ennui passif, on passe à l'ennui actif. Peu à peu, Durtal arrive à se convaincre de la réalité de phénomènes sur lesquels il se montrait sceptique à l'abord, comme tous ses confrères occultistes, comme tous ses adversaires scientifiques, la ridicule opposition existant entre les tenants de ces deux partis faisant aussi partie du jeu de la croyance. Oui, oui, tout le monde s'amuse, de tous temps et en tous lieux, et comme qui dirait : « Ils feront, comme leurs pères, comme leurs mères […] ; ils s'empliront les tripes et ils se vidangeront l'âme par le bas-ventre ! », ce n'est pas prêt de s'arrêter. Avec Là-bas, Huysmans raconte un peu le côté joyeux et bouffon de la conversion, pas la peine de s'en faire un fromage, mieux vaut encore le dévorer tout entier tant qu'il est encore frais.
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Bien que l'éditeur Bartillat ait publié en 2015, en un seul volume, les quatre romans de Huysmans dont le héros est Durtal ("Le roman de Durtal"), on peut lire chaque livre séparément dans d'autres collections. "Là-bas" a déjà bénéficié de très bons compte-rendus et le mien ajoutera peu de chose. D'abord, on ne lit pas une page de ce roman sans tomber sur un mot français inconnu et charmant, ou employé dans une acception différente de l'usage : Huysmans écrit ses romans comme d'autres, à son époque, des poèmes en prose, et d'ailleurs il en composa qui devinrent des romans. En 1891, "Le Spleen de Paris", "Les Illuminations", "Une saison en enfer" et tant d'autres livres de prose poétique sont parus qui ouvrent l'expression rythmée du poème vers un Là-bas inattendu. Huysmans participe aussi de l'écriture artiste, mais il est revenu des excès d'A Rebours. Sa prose est moins hérissée de néologismes, de tours de syntaxe et de surprise, pour le confort du lecteur. Mais la lecture est une jouissance verbale comparable à ses scènes naturalistes de repas, qui mettent l'eau à la bouche (ah ! le gigot !).

Cette recherche de style est un refus cinglant, méprisant et acharné du siècle : bourgeois, matérialiste, impitoyable, mesquin, bête, ce XIX°s finissant est le repoussoir de "Là-Bas", titre baudelairien et mallarméen ("Fuir ! Là bas fuir ! Je sens que les oiseaux sont ivres / D'être parmi l'écume inconnue et les cieux"). Pendant que les foules s'enthousiasment pour le dernier démagogue en vogue, le général Boulanger ("Boulange ! Lange!" entend-on crier dans les rues), un sonneur de cloches érudit cajole ses cloches dans les tours de St Sulpice, des magiciens invoquent Satan ou le Paraclet, et le héros, comme Huysmans lui-même, écrit une vie de Gilles de Rais, le flamboyant compagnon de Jeanne d'Arc, assassin et pédophile. La rédaction de cette Vie de Gilles de Rais (publiée aujourd'hui par l'éditeur "Mille et Une nuits") est le fil conducteur du roman. Durtal, biographe et bon disciple de Zola, se documente soigneusement, va sur les lieux comme Zola dans sa mine de Germinal ou sur sa locomotive de la Bête Humaine, tente de fréquenter des satanistes et cherche dans son propre temps des échos du XV°s. Il ressort qu'au XV°, on péchait, on se repentait, on priait avec grandeur. Huysmans ménage un effet de surimposition frappant, en montrant Gilles de Rais allant au supplice accompagné des prières et des larmes des parents de ses victimes, qui en chrétiens, à sa prière, lui ont pardonné, et la populace parisienne qui vient d'élire le général Boulanger, sorte de petit dictateur ridicule et provisoire.

Ce roman est le premier pas de Durtal vers la foi. Il en est encore fort loin : son attirance pour le christianisme ne s'alimente que de l'horreur du temps où il vit, ce n'est qu'une réaction antimoderne. Durtal est un grand raisonneur : le roman abonde en pages de dialogues assommants sur la littérature ou la culture du temps : c'est encore la manie naturaliste, zolienne, de tout expliquer et de tout rabâcher. Mais il a fait le premier pas vers Là-Bas en tournant le dos au mythe du progrès.

C'est à juste titre qu'on rapproche Huysmans de Houellebecq. Huysmans, dans un âge bête, prosaïque et athée progressiste, déploie les charmes de la langue esthétisante et de la spiritualité narcissique, comme Gustave Moreau. Houellebecq, dans une autre époque bête, fanatiquement crispée sur ses religions progressistes, humanitaires et libérales, n'est pas moins anti-moderne, mais pour se démarquer des excès de métaphores et de rhétorique de la publicité, de la médiacrassie et de la politique, il doit écrire sobrement.
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J'avais redécouvert, avec l'extraordinaire et baroque À Rebours, Huysmans, dont je n'avais lu, il y a bien longtemps, que La Cathédrale, et dont je me faisais une idée fausse, celle d'un écrivain de la frange catholique de la fin du 19ème siècle.

Je m'étais promis de continuer cette découverte et je viens de terminer un autre roman, sans doute le plus sulfureux, Là-bas.
C'est un récit d'une extraordinaire richesse, par les thèmes multiples qu'il aborde, et d'une admirable écriture.

Là-bas, c'est d'abord, au sein d'une fin de 19 ème siècle positiviste et enthousiasmé par les progrès de la science et de la démocratie, un rejet de son époque par le héros, Durtal, un double de l'écrivain, et un regard porté sur un « Là-bas » rempli de valeurs spirituelles et mystiques, le Moyen-Âge.
Là-bas, c'est aussi l'exploration de ce « Là-bas », le monde surnaturel et invisible de celles et ceux qui recherchent l'absolu, et, comme l'avait si bien décrit Baudelaire, cet absolu peut être au Ciel ou en Enfer, le satanisme n'étant que l'envers noir du mysticisme.

Le roman débute par un dialogue entre l'écrivain Durtal et son ami médecin Des Hermies, dans lequel Des Hermies se livre à une critique en règle du naturalisme, moins celui de Zola que celui de ses suivants, auquel il lui reproche « l'immondice de ses idées », l'absence d'âme et de spiritualité, le matérialisme, et le fait d'avoir introduit « la démocratie dans l'art », une série de réflexions qui m'a semblé trouver écho dans notre début de 21ème siècle.
Cette discussion mène Durtal à ce que devrait être la création littéraire, et, par le détour de l'évocation de ce que peignaient les Primitifs et le souvenir de la Crucifixion du Retable de Mathias Grünewald, à l'idée d'un nouveau chemin pour le roman, celui qui essaierait de saisir tout à la fois la réalité de la vie quotidienne et l'âme des individus, bref un «naturalisme spiritualiste», dont il dit le trouver en partie chez Dostoïevski.

Après ce prologue, le récit sera construit de deux trames parallèles qui vont parcourir tout le roman.

D'abord celle du livre qu'écrit Durtal sur l'histoire de Gilles de Rais, qui de compagnon dévoué et généreux de Jeanne d'Arc, avait cherché l'absolu dans l'occultisme puis le satanisme, et recourant, pour arriver à ses fins, à des expériences insensées et aux crimes les plus abjects sur des enfants. Et cette incessante question qui taraude l'écrivain: comment un homme si croyant, un si bon chrétien, a pu devenir cet homme d'une telle cruauté et d'une telle abjection?
Cette histoire dans l'histoire nous livre des descriptions absolument saisissantes et magnifiques de la vie de Gilles de Rais, de ses méfaits et de son procès.

L'autre partie du récit est faite de la recherche de preuves de l'existence de l'occultisme et du satanisme à la fin du 19ème siècle, l'époque où se passe le roman. Cette plongée se fera, d'une part en rencontrant Carhaix, un ancien séminariste devenu le sonneur de l'Eglise Saint-Sulpice, un homme bien plus érudit que son métier le laisse présumer, et d'autre part, par la liaison de Durtal avec une bien étrange admiratrice, Hyacinthe Chantelouve, au nom si évocateur, et dont Durtal découvre que le corps est, pendant l'amour, froid comme celui d'un succube, ce démon femelle qui vient violer les hommes pendant leur sommeil! Hyacinthe fait partie d'un cercle satanique dirigé par Docre, un inquiétant chanoine, auprès duquel Hyacinthe obtiendra pour Durtal l'autorisation d'assister à une messe noire. le récit nous livre une description saisissante et terrible de cette messe puis de l'écoeurement de Durtal devant la frénésie sexuelle d'Hyacinthe qui veut l'entraîner dans un lit parsemé d'hosties! Bref, on n'est pas loin du roman d'horreur! Mais Huysmans garde toujours une pointe d'ironie, un certain recul à l'égard de ce qu'il nous raconte.
A côté de cet « enfer », les rencontres de Durtal, accompagné de Des Hermies, dans le logis de Carhaix et sa femme, le plus souvent lors de savoureux repas, est une sorte de refuge pour l'écrivain. Ces repas (dont la description est à vous faire saliver!) sont l'occasion de discussions auxquelles participe un astrologue, Gevingey, un ennemi de Docre, et auquel ce dernier a jeté un sortilège mortel, dont il sera délivré par un séjour à Lyon chez un autre chanoine de Docteur Johannes.
Des discussions où l'on sent parfois bien que l'auteur s'amuse avec son lecteur, et qui évoquent aussi bien les vertus de certains mets, que le pouvoir sanctifiant des cloches ou la question de l'occultisme et du satanisme en cette fin de siècle.
La fin du récit, dans laquelle les participants au repas entendent les cris de la rue célébrant la victoire du Général Boulanger aux dernières élections, traduit bien le rejet de leur époque par tous ceux qui sont présents à table.

Ce commentaire ne serait pas complet si je n'évoquais pas les multiples et magnifiques descriptions des lieux et des époques, la finesse (plutôt misogyne) du récit de la relation entre Durtal et Mme Chantelouve, l'écriture superbe, et tous ces mots rares que j'avais déjà tant appréciés dans A rebours.

En conclusion, je vous livre un avis personnel sur le sens de ce livre. Je crois que cette plongée dans le monde du satanisme est, pour le héros , double de l'auteur, une sorte de démonstration « par l'absurde » et par l'ignoble, du surnaturel et du refus du matérialisme. Et en quelque sorte le point de départ d'un chemin qui le mènera à la conversion au catholicisme.

Huysmans, voilà un écrivain qui a rejoint mon Panthéon des auteurs aimés, et dont j'aimerais lire En route et L'Oblat, et relire avec un oeil nouveau La Cathédrale, un auteur formidable que je vous conseille.
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Quel dommage tout d'abord, mais quel dommage vraiment que Babelio ait restreint les possibilités de préciser la maison d'édition du livre et donc la version lue.

Car ici, c'est justement un des intérêts de ma lecture, ce n'est pas Folio, ni Gallimard, mais une petite maison d'éditions, OKNO, qu'il m'aurait vraiment plu de mettre à l'honneur.

C'est certes un plaisir de bibliophile, mais c'est un plaisir important pour moi, qui en suis encore à aimer le livre papier, le choix du filigrane, de l'encre, et l'absence de coquilles, bref, la qualité du livre en tant qu'objet en plus de son contenu.

Comme, en plus, cette maison d'édition fait l'effort de participer à l'opération Masse critique, pour se faire connaître, c'est vraiment dommage, car quiconque va lire ma critique va se précipiter sur le Folio, ruinant les efforts de cette maison d'éditions confidentielle.

Bref.

Allez-vous vous précipiter pour l'histoire ? Rien n'est moins sûr. Quoique. Si vous aimez l'occultisme, l'ésotérisme, le … satanisme, oui oui, alors vous serez comblé.

Les autres aussi pour d'autres raisons. J'ai rarement eu de lecture, sauf philosophique, pour laquelle j'ai dû m'outiller d'un bon dictionnaire, tellement le choix de vocabulaire de l'auteur est précis, mais m'était parfois, souvent inconnu. Une étonnante découverte lexicographique également.

Je ne peux pas dire que je goûte les premiers incitants, davantage les seconds, mais surtout je suis curieuse. Et là, ce fut une véritable découverte.

Maintenant, sur le fond, je reste un peu mitigée, sur la forme, il y a indéniablement de plus belles et grandes écritures au 19e siècle. Mais c'est un détour qui vous est ici proposé, et pourquoi ne pas l'emprunter, histoire de se surprendre et s'étonner.



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Je suis embarrassée face à ce roman, si j'ai apprécié l'écriture de l'auteur, j'ai été mal à l'aise face aux sujets traités. L'occultisme, le satanisme, les messes noires, les envoutements ne sont pas des thèmes que je connais, quant aux dépravations commises par Gilles de Rais et ses compagnons, les tortures et meurtres d'enfants, elles sont insupportables et ce sont des passages très difficiles à lire.
Je ne m'attendais pas à un tel livre... Je suis fortement déstabilisée. Admirative face à l'écriture et la richesse du vocabulaire mais profondément heurtée par certaines descriptions violentes. Joris-Karl Huysmans malmène vraiment ses lecteurs entre l'univers de tueur en série de Gilles de Rais, au Moyen-âge, et les procédés maléfiques utilisés par d'anciens prêtres en plein XIX ème siècle. Un classique de la littérature, peut-être, mais aussi un livre à ne pas conseiller à tous les lecteurs.
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Roman de Joris-Karl Huysmans.

Avec À rebours et le taedium vitae de des Esseintes encore coincés entre les dents et en travers du gosier, j'ai entamé cette lecture bien décidée à (re-)donner toutes ses chances à l'auteur, sur les conseils avisés d'un lecteur (lui aussi avisé). Bien m'en a pris, le plaisir et l'émotion ont été au rendez-vous!

Durtal, romancier, a "abandonné l'adultère, l'amour, l'ambition, tous les sujets apprivoisés du roman moderne, pour écrire l'histoire de Gilles de Rais." (p. 33) Décidé à explorer l'histoire de ce compagnon de Jeanne d'Arc devenu un féroce meurtrier enragé d'alchimie et de démonologie, de "ce sataniste qui fut, au quinzième siècle, le plus artiste et le plus exquis, le plus cruel et le plus scélérat des hommes." (p. 49), Durtal s'engage dans la découverte du Satanisme au Moyen Age et dans ses prolongements historiques. Une troublante relation s'établit entre lui et Hyacinthe Chantelouve: cette femme mariée qui le poursuit d'assiduités qu'elle voudrait ne pas assouvir a les moyens de l'introduire dans les milieux où le Satanisme se pratique, là où la Messe Noire se déroule. Durtal, épris et excédé de cette femme, progresse sur des chemins dangereux, cherchant toujours plus loin le frisson de l'inédit, de l'interdit, pour échapper à la lassitude d'une existence et d'une époque désabusées.

Le dialogue liminaire entre Durtal et son ami, le docteur de Hermies, est un violent réquisitoire contre le naturaliste et la littérature fin de siècle. Dans ce roman, Huysmans rompt définitivement avec sa période naturaliste. "Ce que je reproche au naturalisme, ce n'est pas le lourd badigeon de son , c'est l'immondice de ses idées; ce que je lui reproche, c'est d'avoir incarné le matérialisme dans la littérature, d'avoir glorifié la démocratie de l'art!" (p. 33) Durtal oppose à la virulente diatribe de son ami une certaine tempérance teintée de cynisme: il lui demande de reconnaître "les inoubliables services que les naturalistes ont rendus à l'art; car enfin, ce sont eux qui nous ont débarrassés des inhumains fantoches du romantisme et qui ont extrait la littérature d'un idéalisme de ganache et d'une inanité de vieille fille exaltée par le célibat."(p. 34) Durtal est dégoûté des littérateurs de son époque, il rêve d'un "naturalisme spiritualiste" (p. 36), il constate avec amertume l'échec de la littérature: " C'était vrai, il n'y avait plus rien debout dans les lettres en désarroi; rien, sinon un besoin de surnaturel qui, à défaut, d'idées plus élevées, trébuchait de toutes parts, comme il pouvait, dans le spiritisme et dans l'occulte." (p. 37)

Durtal est en fait atteint du taedium vitaequi a tant accablé son illustre prédécesseur, des Esseintes. Durtal est "excédé par l'ignominieux spectacle de cette fin de siècle" (p. 36), il exècre son temps, les artistes qui y paraissent et l'esprit médiocre qui se répand. Il est tenté par des fureurs de réclusion, des désirs de retrait du monde, dans une abbaye, dans une tour, dans une cave. Ne trouvant dans les plaisirs de la chair nul réconfort, pessimiste quant à l'évolution de la société, et bien que profondément athée, "il en était bien réduit à se dire que la religion est la seule qui sache encore panser, avec les plus veloutés des onguents, les plus impatientes des plaies; mais elle exige en retour une telle désertion du sens commun, une telle volonté de ne plus s'étonner de rien, qu'il s'en écartait tout en l'épiant." (p. 41) Ce passage annonce la future conversion de l'auteur et sa fervente pratique religieuse dans les dernières années de sa vie.

De longues discussions se déroulent dans le logement modeste de Carhaix, sonneur de cloches dans les tours de Saint-Sulpice. Ce brave homme, bien que catholique convaincu, accueille à sa table Durtal et de Hermies et partage leurs échanges sur la religion, le satanisme et l'astrologie. Les hôtes font bombance chez lui et la communion des esprits s'effectue encore mieux après les festins partagés.

"Le jour où Durtal s'était plongé dans l'effrayante et délicieuse fin du Moyen Age, il s'était senti renaître." (p. 46) Aiguillonné par l'ambition d'écrire une monographie de Gilles de Rais qui ne serait ni affaiblie ni enjolivée par les dérives hésitantes d'un esprit niais ou mou, il veut rendre à l'écrit historique ses lettres de noblesse et rendre un hommage honnête et fidèle à la mémoire du baron de Rais, "le des Esseintes du quinzième siècle" (p. 70) qui a "transporté la furie des prières dans le territoire des À rebours."(p. 73) Durtal, quoiqu'il pense des récits de saints et des légendes dorées ne se lance dans pas moins qu'une hagiographie du personnage, que la légende a transmué en Barbe-Bleue. Mais de ce fameux récit de l'histoire du baron, on ne lit que peu de choses, tout au plus quelques notes dont l'étude est souvent interrompue par l'irruption d'un personnage ou l'intrusion de l'histoire en marche, comme l'élection de Boulanger au poste de député.

La monographie de Gilles de Rais n'est finalement qu'un prétexte pour aborder l'univers fascinant et terrifiant des mondes occultes. Durtal semble écrire un précis sur le Satanisme, en se documentant auprès de Carhaix, du docteur de Hermies et de l'astrologue Gevingey et en se renseignant sur le chanoine Docre, qui célèbre des messes sataniques. "La grande question, c'est de consacrer l'hostie et de la destiner à un usage infâme." (p. 84) L'auteur, par les expériences sataniques de Durtal et les récits de ses personnages, n'est pas avare de détails, mais la surenchère sans cesse renouvelée prête à rire. Les hérésies et sacrilèges sont si nombreux et si extrêmes qu'ils dépassent l'horreur pour sombrer dans le grotesque.

Soutenu par son ambition littéraire, Durtal vibre aussi de désir pour Hyacinthe: cette femme qui se veut une "soeur en lassitude"(p. 102), qui lui écrit des épîtres troublantes et sibyllines, désabusées et ardentes, a réveillé "cet élan vers l'informulé, cette projection vers les là-bas qui l'avait récemment soulevé dans l'art; c'était ce besoin d'échapper par une envolée au train-train terrestre." (p. 109) Mme Chantelouve porte bien son nom: elle appelle le mâle telle une louve enragée et se révèle carnassière dans ses amours adultères. Mais Hyacinthe rêve Durtal en incube, en démon qui ne la visiterait et ne la posséderait qu'en esprit. La possession physique abolit pour Durtal la magie qui entourait Hyacinthe: malgré ses travers tentants, elle n'est plus qu'une femme comme les autres, un être de chair dénué de sublime. Après la Messe Noire à laquelle ils assistent ensemble, Durtal n'attend plus rien d'elle et la congédie comme une fille qu'il aurait payée.

J'ai jubilé en lisant les personnages de ce roman citer d'autres personnages et d'autres titres de Huysmans. Cet auteur a en outre le talent unique, que j'avais déjà noté dans À reboursmais qui m'avait bien moins émue, d'extirper du lexique des mots rares et fins, dont la précision exacerbée ne désigne rien d'autre qu'une infime partie de l'univers, mais partie bien plus précieuse que des étendues illimitées. Ses descriptions sont des images en mots. Les déambulations de Durtal dans les ruines du château de Gilles de Rais permettent des évocations constructrices: à chaque pas, Durtal fait se relever les murs tombés, se meubler les pièces pillées et se mouvoir les êtres passés.

La célébration du Moyen Age comme une époque puissante qui véhiculait des valeurs efficientes, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, n'est qu'un portrait en creux négatif de la fin de siècle qui dégoûte Durtal et ses amis. Huysmans se saisit de tous les prétextes pour fustiger une époque qu'il méprise. La petite histoire des cloches qu'il donne à lire par le personnage du sonneur est aussi une célébration des temps passés, au détriment du temps présent: les cloches, " ces auxiliaires magnifiques du culte"(p. 220), incarne la pureté d'une religion que les tiédeurs n'avaient pas encore souillé et que le Satanisme ne faisait pas trembler. Et finalement, l'horreur que l'auteur a de cette époque se justifie plus que jamais puisqu'elle n'a pas su se débarrasser du Satanisme: "Dire que ce siècle de positivistes et d'athées a tout renversé, sauf le Satanisme qu'il n'a pas fait reculer d'un pas."(p. 282) le Satanisme est ce "là-bas" inatteignable, cet univers inaccessible, si désirable et si haï.

Maintenant que j'achève cette lecture qui clôt superbement mon année littéraire 2010, je ne tiens pas d'impatience à l'envie de lire la suite du Cycle de Durtal, avec En route, La cathédrale et l'oblatqui retracent le cheminement littéraire et intérieur de Huysmans vers la conversion religieuse. Si l'écrivain décadent m'avait déplu, le sataniste m'a ravie et j'en espère autant du converti voire du naturaliste!
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Oeuvre originale, «Là-bas» nous présente différentes facettes du satanisme du moyen-âge, depuis Gilles de Rais jusqu'à nos jours; les croyances les pratiques; ceci avec moult détails.
Le style est très littéraire mais le vocabulaire, un tantinet trop riche et ardu.
Le début du roman livre des réflexions sur le positivisme et une brillante description d'une oeuvre de l'art chrétien ( crucifixion de Mathaeus Grünenwald ) qui m'a vraiment enthousiasmé.
L'approche de l'occultisme et du satanisme a du, effectivement, scandaliser les lecteurs du XIXème siècle. de nos jours elle ne fait que reprendre avec des détails presque encore choquants des faits que les médias nous ont présentés quelque fois.
Finalement, les détails se référant souvent à une culture qui était, au siècle dernier, plus empreinte de catholicisme, nous perdent, aujourd'hui dans des précisions sans significations.
Bref, ce roman a sans doute un peu souffert de son vieillissement pour perdre son coté provocateur et scandaleux, mais il a gardé toute sa beauté descriptive et stylistique, voire même encore un tantinet surprenante.
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