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EAN : 9782253107996
352 pages
Le Livre de Poche (28/01/2004)
4.25/5   4 notes
Résumé :
Le 18 septembre 1886, sous la plume du poète Jean Moréas, paraît dans Le Figaro « Un manifeste littéraire » qui marque la naissance du symbolisme.
Mais bien au-delà de cette école composée d’écrivains aujourd’hui largement oubliés, un plus vaste mouvement se dessine, qui essaime dans l’Europe entière et trouve des échos dans l’ensemble des arts. Le moment où s’affirme cette constellation d’artistes n’a pourtant pas de frontières stables : parce qu’elle s’étab... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
IMPRESSION ET ABSTRACTION. AUTOUR DU NENUPHAR BLANC
Ce que Mallarmé observe chez les peintres impressionnistes éclaire par contrecoup sa propre recherche poétique19
.
Un poème plus particulièrement peut en témoigner : il s’agit du Nénuphar
blanc (1998, p. 428-431 et, dans Divagations, 2003, p. 98-101), que Mallarmé aurait voulu voir illustré par Berthe Morisot au moment où il envisageait de composer, avec ses amis peintres, Le Tiroir de laque qui eût rassemblé quelques-uns de
ses poèmes en prose. On sait que le projet n’aboutit pas ; mais il nous reste de
Berthe Morisot quelques pointes-sèches qui semblent en effet liées, plus ou moins
directement, au poème de Mallarmé20
.
Impressionniste, le Nénuphar blanc le serait d’abord par son thème, qui
semble emprunté aux peintres : une rivière ; par un « juillet de flamme » ; un rameur dans sa yole, « comme le rire de l’heure coulait alentour » ; une femme imaginée, indéfiniment réfléchie dans le paysage, quand par exemple « la buée
d’argent des saules » se confond avec « la limpidité de son regard habitué à
chaque feuille ». Au sujet narrateur, « les yeux au-dedans fixés sur l’entier oubli
d’aller » et en quelque sorte absenté de lui-même, répond, au-delà de tout visage
défini, quelque femme elle-même appréhendée dans « la vacance exquise de
soi » : la dissolution des identités (analogue à l’abolition du sujet en peinture)
laisse place à de pures impressions, où les choses ne sont ni totalement imaginaires, quoique les fantasmes érotiques s’y insinuent, ni tout à fait réelles, quoique
le paysage y apparaisse en claire lumière. Cette lumière, comme chez les peintres
impressionnistes, est toute d’immanence, même si, comme chez les peintres impressionnistes, le poème reçoit obliquement le reflet d’anciens mythes : ici, la figure implicite du faune épiant l’apparition de quelque nymphe, quand le narrateur
se décrit en « maraudeur aquatique » ; là, le mythe d’une Léda qui serait demeurée virginale, quand le narrateur compare le nénuphar blanc imaginairement cueilli en mémoire de la mentale apparition d’une femme à « un noble œuf de
cygne, tel que n’en jaillira le vol ». Comme dans ses évocations des toiles de Berthe
Morisot, Mallarmé suggère de la sorte une « diffusion » du divin dans le paysage
et sa résolution profane dans l’évidence mystérieuse de l’eau, de la verdure et de la
lumière.
Mais le poème est impressionniste surtout dans la manière dont Mallarmé réinvente la prose comme les peintres réinventent leur art « fait d’onguents et de
couleurs » (MALLARMÉ, 2003, p. 411). Il s’agit – en récusant dans la langue toute
norme préalable – de faire en sorte que l’ordre des mots dans la prose épouse
l’ordre des choses, tel que celles-ci se présentent à la perception d’abord, puis à la
conscience. Ainsi dans cette évocation de la rivière, révélée à chaque coup de
rame, « pli selon pli » (MALLARMÉ, 1998, p. p. 32), selon un mouvement large
d’abord puis ralenti, quand l’eau vive s’alanguit en un « nonchaloir d’étang », luimême faisant bientôt pressentir la présence d’une « source » :
Sans que le ruban d’aucune herbe me retînt devant un paysage plus que l’autre chassé avec son reflet en l’onde par le
même impartial coup de rame, je venais échouer dans
quelque touffe de roseaux, terme mystérieux de ma course,
au milieu de la rivière : où tout de suite élargie en fluvial
bosquet, elle étale un nonchaloir d’étang plissé des hésitations à partir qu’a une source.
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La mutation technique induite par le traitement nouveau de la lumière dans les
toiles impressionnistes est soutenue par une mutation d’ordre métaphysique, que
Mallarmé remarque avec beaucoup d’acuité. On pourrait dire de
l’impressionnisme qu’il opère une conversion de la lumière : de verticale que celleci était chez les Maîtres du passé (dans les âges théologiques de l’art), elle devient
ici (aux temps modernes de la fiction) horizontale, et comme diffuse parmi les
choses mêmes. Cette conversion aplatit toute transcendance et la résout dans
l’immanence, si bien que le chatoiement lumineux des œuvres impressionnistes
semble l’autre face, heureuse, du Néant dont Mallarmé, quant à lui, a fait l’épreuve
lors de la crise métaphysique de Tournon.
C’est surtout à propos de Berthe Morisot que Mallarmé médite la valeur de
cette diffusion horizontale de la lumière sur la toile (Voir BOHAC, 2012, pp. 73-
82). Là, « dans tel milieu en joie, en fête et en fleur » (MALLARMÉ, 2003, p. 150)
– que la mort seule de l’artiste vint obscurcir en 1895 –, chaque toile fixe « un suspens de perpétuité chatoyante » (idem, p. 151). Ce « spectacle d’enchantement »,
Mallarmé le dit « moderne » (idem), non seulement parce que Berthe Morisot
emprunte ses sujets à la vie « quotidienne », mais aussi parce que ce « quotidien »
– « Féerie, oui, quotidienne » (idem) – signale dans le réel même la source immanente du sacré, qui n’est autre précisément que la lumière du jour. Mieux que les
mythographes modernes – Max Müller, ou William Cox adapté par Mallarmé dans
Les Dieux antiques –, les peintres impressionnistes accomplissent par l’art « une
réduction naturaliste du divin » (Cf. MARCHAL, 1988, p. 104 et suiv.), en rapportant les dieux et leurs mythes au seul mystère « quotidien » du « drame solaire »,
qui n’est lui-même rien d’autre que la variation de la lumière selon le cycle des
heures ou des saisons. Sur les toiles de Berthe Morisot, il n’est besoin de « nul
éclairage, intrus, de rêve » : les pommes d’or des « Hespérides », évoquées métaphoriquement par Mallarmé, y redeviennent de « simples oranges », et les « Eldorados » ne sont qu’une manière de dire l’éclat de la « brique rose » dans la lumière
du jour (MALLARMÉ, 2003, p. 151). Le mystère ne procède d’aucun « au-delà »,
qui maintiendrait l’illusion d’une transcendance, dès lors que le « lumineux secret » des choses s’éveille tout entier dans les « surfaces », et découle, picturalement, de « la riche analyse […] de la vie » (idem).
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De même, donc, que les impressionnistes, en cherchant à rendre sur leurs toiles
la transparence même de l’air, ont donné à voir la lumière comme la condition
d’apparition de toutes choses sous le regard ; de même Mallarmé, en réinventant la
langue hors des règles communes, la fait apparaître au lecteur (celui-ci prenant
conscience des opérations mentales qu’il effectue en lisant) comme le substrat de ce
seul « mystère » qui se joue dans « les lettres ». À la lumière impressionniste, – « férie, oui, quotidienne » –, répond la lumière, symbolique, du langage, qui est, elle
aussi, comme la lumière naturelle, à la fois principe de « mobilité », quand les mots
« s’allument de reflets réciproques », et principe d’« illusion22 », quand le poème
s’apparaît comme « un espace, pur, de fiction » (MALLARMÉ, 2003, p. 179).
Toutefois entre l’impressionnisme en peinture et la poésie mallarméenne existe
une différence constitutive de chaque art dans sa spécificité. L’instrument du
peintre est la couleur, dont Mallarmé dit, à propos de Berthe Morisot, qu’elle est
« moyen de prestiges directs » (MALLARMÉ, 2003, p. 151) ; alors que
l’instrument du poète est « l’intellectuelle parole à son apogée » (idem, p. 212), où
les mots sont un « moyen de prestiges indirects », pourrait-on dire (Cf. BOHAC,
2012, pp. 73-82), parce que l’écriture, sans support sensible immédiat, opère en
toute abstraction et joue sa partition pour l’esprit seulement. Le peintre « recrée la
nature touche par touche » écrit Mallarmé (2003, p. 469), alors que le poète –
dans ce que Jean-Luc Steinmetz a nommé un « spiritogramme » (STEINMETZ,
2008, p. 355-372) – restitue d’elle, non pas une impression ou une sensation, mais
une sorte d’intuition intellectuelle par laquelle se révèle le schème abstrait du sensible. Si la peinture impressionniste et la prose mallarméenne poursuivent donc le
même « effet » (« peindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit », écrivait Mallarmé dès 186423), elles le font donc par des voies différentes, ici plus abstraite et
là plus sensible, en sorte que chaque art, renvoyé à lui-même, ne dialogue avec
l’autre que dans et par leur séparation. D’où, aussi, à la fois l’affinité profonde de
Mallarmé et de Berthe Morisot lorsque celle-ci tente d’accompagner picturalement
Le Nénuphar blanc, et leur incompréhension mutuelle, qui féconde indéfiniment
leur dialogue24
.
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LUMIERE, LUCIDITE

La révolution impressionniste est d’abord une révolution de la lumière en peinture. Cette révolution découle d’une technique nouvelle, alors abondamment théorisée : la technique du « plein air ». Le tableau de Manet intitulé Le Linge, sur lequel Mallarmé revient à trois reprises, revêt, sur ce point, une valeur de
manifeste17. Le sujet – « Une jeune femme, en robe bleue, y lave du linge, dont
une partie sèche déjà ; un enfant émergeant des fleurs regarde sa mère »
(MALLARMÉ, 2003, p. 454) – est tout entier révélé par la « lumière naturelle du
jour », de telle façon que c’est elle qui, en « pénétrant toutes choses et les altérant », devient le véritable sujet du tableau, quoiqu’elle soit « elle-même invisible » (idem). Les objets ne sont envisagés qu’en fonction de leur dépendance à la
lumière, laquelle se manifeste alors « à nos yeux étonnés » (idem, p. 455) dans sa
réalité toute physique, telle que la comprend « la science » (idem), et selon la sensibilité strictement rétinienne de l’œil qui la perçoit. Le pleinairisme, en rapportant ainsi le champ du visible à sa source invisible, transparente et diffuse, a plusieurs conséquences : il conduit le peintre à rompre avec la perspective
albertienne, qui, en art, est en réalité une vue de l’esprit, toute construite, qui «
fait de nos yeux les dupes d’une éducation raffinée » (idem, p. 457) ; il exige aussi
un déconditionnement du regard, de telle façon que le peintre impressionniste,
débarrassé lui-même de tout savoir-faire d’école qui oblitérerait sa saisie directe
du réel, « nous fait comprendre quand nous regardons les objets les plus familiers
le plaisir que nous éprouverions si nous pouvions seulement les voir pour la première fois » (idem, p. 466). Devant le motif, l’œil du peintre se fait à la fois
« vierge et abstrait » (2003, p. 147) : oublieux de tout savoir ou de toute technique
préalables, mais aussi délié de toute personnalité, – allant à « l’immédiate fraîcheur de la rencontre » (idem) pour la rendre telle quelle sur la toile : « l’œil, une
main », écrit Mallarmé à propos de Manet (idem)18
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17 Dans les Gossips qu’il écrit sur Manet pour la revue The Athenaeum, Mallarmé souligne que
le tableau Le Linge marque une date dans l’histoire de la peinture : « Cette œuvre […] offre à
l’avenir l’une des dates les plus décisives de l’Art contemporain » (2003, p. 439).
18 Ces caractéristiques de l’impressionnisme – la technique du « plein air », le déconditionnement du regard, l’abolition de la perspective, la sensibilité de l’œil directement transcrite sur la
toile – deviendront bientôt des lieux communs de la critique d’art. On les retrouve, exprimés
avec force, notamment chez Jules Laforgue dans l’esquisse d’une étude écrite en 1883 : voir
Jules Laforgue (1988, pp. 167-176) ; ou Jules Laforgue (2000, p. 329-336), – avec notamment :
« […] l’Impressionniste est un peintre moderniste qui, doué d’une sensibilité d’œil hors du
commun, oubliant les tableaux amassés par les siècles dans les musées, oubliant l’éducation
optique de l’école (dessin et perspective, coloris), à force de vivre et de voir franchement et primitivement dans les spectacles lumineux en plein air […], est parvenu à se refaire un œil
naturel, à voir naturellement et à peindre naïvement comme il voit » (p. 329 ) ; ou encore :
« L’impressionniste voit et rend la nature telle qu’elle est, c’est-à-dire uniquement en vibrations
colorées. Ni dessin, ni lumière, ni modelé, ni perspective, ni clair-obscur, ces classifications
enfantines : tout cela se résout en réalité en vibrations colorées et doit être obtenu sur la toile
uniquement par vibrations colorées » (p. 331).
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