Je pense que son amour pour le théâtre, son besoin de jouer étaient aiguillonnées par le désir de trouver quelque chose d’original à dire de sa voix altière.
Avant l’arrivée de Richard Abbott, les hommes de la troupe se divisaient en deux catégories :les falots patentes qui mangeaient leurs mots tête baissées ,avec des regards furtifs vers le public, et les cabotins plastronnant, tout aussi classiques, qui gueulaient leurs répliques en coulant des œillades aux rombières pincées.
Un corps sous son linceul était arrimé à un chariot, auprès duquel une infirmière d'un certain âge à la mine sévère montait la garde, dans le parking.
- Vous n'êtes ni la personne ni le véhicule que j'attends, me dit-elle.
- Vous m'en voyez navré.
- En plus il va neiger, et il faudra que je le rentre.
Je tentais de changer de sujet pour lui parler de ma visite, mais First Sister étant un bled, l'infirmière savait déja qui je venais voir.
- Il vous attend, l 'entraîneur, me dit-elle
Puis après m'avoir indiqué où se trouvait sa chambre, elle ajouta :
- Vous n'avez pas tellement une allure de lutteur.
... Elle souffla une énorme volute. Elle portait une parka de ski et un vieux bonnet , mais pas de gants, qui l'auraient gênée pour fumer. Il commençait tout juste à neiger, quelques flocons épars, pas assez pour tenir sur le corps.
- Il attend le petit crétin des pompes funèbres, et puis il attend le purgotrucmuche, là...
- Le purgatoire, vous voulez dire ?
- Ouais, c'est ça. Et qu'est-ce que c'est au juste, vous qui êtes écrivain ?
- C'est que je n'y crois pas, moi, au purgatoire, tentai-je, ni à rien de tout ça...
- Je vous demande pas d'y croire, je vous demande ce que c'est !
- Un état intermédiaire, après la mort...
Elle ne me laissa pas finir.
- C'est quand le Tout-Puissant sait pas trop s'il envoie le gars croupir au sous-sol de l'au-delà ou alors à l'étage noble, comme qui dirait ?
- Plus ou moins.
J'avais un souvenir assez flou de la fonction du purgatoire ; il s'agissait de se laver de ses fautes, si mes souvenirs étaient bons. L'âme, dans ce fameux état intermédiaire qui suivait la mort, était censé expier quelque chose ( c'est du moins ce qu'il me semblait, mais je n'en dit rien ).
- Qui est-ce ? demandai-je en passant la main au-dessus du corps, comme elle l'avait fait elle-même
Elle me regarda en plissant les paupières, à cause de la fumée peut-être.
- C'est le Dr Harlow, vous vous souvenez de lui, non ? Je pense pas que le Tout-Puissant va mettre une éternité à trancher son cas ! dit la vieille infirmière.
Je me contentais de sourire et la laissais dans le parking, à attendre le corbillard. Selon moi, le Dr Harlow n'expierait jamais assez. Il était déja sûrement au sous-sol de l'au-delà, c'était sa place attitrée. J'espérais bien qu'il n'était pas question d'étage noble pour ce médecin si catégorique quant à mes "maux". ...
Lorsque je quittai la Maison de Retraite, la vieille infirmière était toujours dehors, et le corps du Dr Harlow arrimé à son chariot, couvert d'un linceul.
- Il attend toujours, me dit-elle en me voyant. ( La neige commençait à tenir, sur le corps.) J'ai décidé de ne pas le rentrer, vu que la neige, il risque plus de la sentir.
- Je vais vous dire quelque chose sur lui : il n'a pas changé d'un poil depuis qu'il est mort, toujours aussi rigide. Elle tira une longue bouffée de sa cigarette et la souffla sur le corps du Dr Harlow.
- Question vocabulaire, je suis pas de force à chinoiser avec vous : c'est vous l'écrivain, conclut-elle."
- Est-ce que Richard te l'a dit ? me demanda-t-il soudain. Des crétins ont interdit La Nuit des Rois au cours des siècles, de pauvres ignares ont censuré La Nuit des Rois de Shakespeare, et pas qu'une fois !
- Mais pourquoi ? m'écriai-je. C'est complètement fou ! C'est une comédie, une comédie romantique ! Pourquoi l'interdire ?
- Ah, eh bien, si tu veux mon avis, Viola, la sœur jumelle de Sébastien, ressemble beaucoup à son frère ; c'est tout le ressort de l'intrigue, d'accord ? Du coup, les gens les confondent, surtout quand Viola se déguise en homme et se fait appeler Césario. Tu vois le problème Bill ? Viola se travestit ! Voilà pourquoi Shakespeare a eu des ennuis ! Après tout ce que tu m'as dit, je pense que tu as remarqué que les gens conformistes, intolérants ou ignorants n'ont pas le moindre sens de l'humour dès qu'il s'agit de travestis.
...la haine de soi est bien pire que la solitude.
Vous êtes une transsexuelle! lui dis-je.
Miss Frost répondit sèchement:
"Mon jeune ami, je te prierai de ne pas me coller d'étiquette. Ne me fourre pas dans une catégorie avant même de me connaître".
– Les jeux sont faits, à présent, nous sommes ce que nous sommes.
Je connais très peu de trans opérées. Celles que je connais sont très courageuses. Je les trouve redoutables à fréquenter; elles se connaissent si bien! Se connaître à ce point, savoir avec une telle certitude qui l'on est, moi ça me laisse rêveur.
Your memory is a monster ; you forget - it doesn't. It simply files things away ; it keeps things for you, or hides things from you. Your memory summons things to your recall with a will of its own. You imagine you have a memory, but your memory has you !
Notre problème, à nous romanciers, c'est que, plus encore que le commun des mortels, quand nous suivons le fil d'une idée, même si nous disons rien, nous n'arrivons pas à nous interrompre.
- Ça n'a rien d'un hall de gare, résumai-je simplement pour la pauvre Esméralda, au terme d'une journée pareil
- Ça n'a rien d'un quoi?
- Euh, c'est une expression Vermontoise, bredouilla-je c'est une manière de parler.