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EAN : 9782283027509
228 pages
Buchet-Chastel (02/04/2015)
3.5/5   6 notes
Résumé :
Mira Corpora, est le récit onirique, électrique et noir d’un jeune fugueur. Reprenant par bribes ses carnets intimes, on y suit un enfant déraciné, confronté très jeune à la cruauté et qu’une mère alcoolique dépassée par les événements ne parvient pas à contrôler. Seule la vision fugitive d’une petite fille derrière un rideau qui s’ouvre à la fenêtre d’en face parvient à le faire rêver. La vie en captivité devient alors impossible : ce sera la fuite, la plongée dans... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Prose envoûtante, ensorcelante pour un récit halluciné du parcours d'un enfant jusqu'à son âge adulte.

Il a 18 ans quand il apprend qu'il hérite de la maison de sa mère. Il y revient donc après douze ans d'errance. Etonné de retrouver tant de ses jouets d'enfant, vestiges non pas d'un paradis perdu, mais d'une simple et douloureuse halte de quelques mois après avoir erré d'orphelinat en orphelinat. Temps entre un peu d'amour maladroit et beaucoup de maltraitance. C'est en retrouvant une cassette où petit garçon de 11 ans, il enregistrait les chansons qui pouvaient lui apporter quelque réconfort, qu'il décide d'écrire « une version » de ce qui lui est arrivé . Il consigne les événements de sa vie : « Ici, les faits bruts n'ont pas cours.» 

Ce texte m'a complètement emportée avec vigueur, comme prise en une tornade ascendante pleine d'images, de bruits et de sensations. Je n'avais pas éprouvé ce ressenti depuis mon premier Gabriel Garcia Marquez : « L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique ». A tel point, que j'ai vérifié si Jeff Jackson n'était pas un sud-américain fan de cet auteur.
Chez Garcia Marquez comme chez Jeff Jackson, la pluie envahit, inonde les baskets et les hamacs, s'insinue. Cette eau n'est jamais répugnante comme ces substances de suie, de poussière qui recouvre, envahit tout recoin abandonné. Emporterait-elle les chagrins, laverait-elle les plaies ?
Garcia Marquez comme Jeff Jackson raconte une enfance livrée à des prédateurs bien plus dangereux que des bêtes sauvages : les adultes. Chez Jeff Jackson , les chiens sauvages et errants sont capables de caresser un petit garçon abandonné en pleine forêt, un singe lui raconter des histoires , des contes fantastiques en rêves mais les adultes, ce sont les « Saturne dévorant son fils » de Goya.

Les seules possibilité de paix, de construction, ce sont les tribus d'enfants, la petite communauté de punk fous de musique. C'est auprès d'eux qu'il découvrira la vie en société, l'art vecteur de spiritualité autant que les cultes et les rituels, la force de la musique.
Cruelle répétition de ce qu'il a vécu avec sa mère, il se retrouvera sous la coupe d'un pervers.

Ces « associations » d'adolescents, chez Jeff Jackson, s'organisent face à un danger mortel et constituent une civilisation dont l'artiste, la chasseresse et les oracles sont des filles. Parmi les punk, c'est Léna qui choisit Jeff pour le lancer sur la trace de Kin, c'est grâce à elle qu'il a le choc devant la boutique d'instruments de musique et qui le conduit à son premier concert. Complètement à l'opposé de « Sa majesté des mouches » . Pour Willian Golding, les quelques garçons appartenant à l'élite de la société, à qui tous les concepts de la civilisation ont été inculqués depuis la naissance, livrés a eux-mêmes, vont se transformer, s'organiser en une horde de sauvages. Mais ils sont naufragés sur une île paradisiaque sans aucun danger. Alors..

Par son écriture l'auteur m'a fait entrer dans le corps de cet enfant ; voir par ses yeux, sentir les pieds s'enfoncer dans les sols spongieux, le corps et la conscience cruellement ligotés, entravés avec juste cette nécessite d'avancer, de se libérer.
Cette avancée dans la vie est périlleuse, incertaine ; elle est menacée bien moins par la précarité du monde dans lequel il vit que par l'adulte : l'enfant étant toujours à sa merci.

Un tableau revient souvent, particulièrement aux moments les plus difficiles ; il est une traînée lumineuse presque savoureuse. « Tout commence par un arbre dans un champ. Un oranger solitaire au milieu d'un champ herbeux...et l'on voit l'orbe des fruits luire sur les branches. Des oranges bonnes à être cueillies.» Et puis le beau fruit est cueilli. C'est ce qu'il a fait quand il avait faim dans le jardin du voisin de sa mère. C'est elle qui lui apprendra à le peler. le passage à l'âge adulte c'est dans ce texte un peu comme peler une orange. Couper « des rubans d'écorce », retirer « la peau blanche du fruit a des angles élégants et acérés ». L'orange est pelée à vif, complètement à découvert. La mère conclut ; « L'important n'est pas de faire attention à garder sa rondeur, explique-t-elle. Elle trouvera sa propre forme. » L'enfant serait la belle orange cueillie à point et l'adulte celui qui pèlera, découpera jusqu'à sortir de sa gangue l'essentiel du fruit, son parfum suave et doux, toute la saveur de sa chair. Boris Vian faisait clouer des fers aux pieds des petits enfants quand ils devenaient grands pour mieux entrer dans la vie. A chacun ses symboles.

La belle image de la fin quand il a écrit tous ses souvenirs, et que patiemment, en commençant par le dernier des mots il gomme chacun d'eux jusqu'au premier ; ainsi sa vie va pouvoir continuer, comme allégée.

Et puis nous savons bien qu'il est quasiment impossible dans nos souvenirs de faire la part des fantasmes. « Ici, les faits bruts n'ont pas cours.» mais l'onirisme y est souverain.

Ce roman est un feu d'artifices de sensations, d'émotions ; chacune d'elles évoquant une force et un bonheur de vivre, de progresser, de se tailler son destin. Que de belles images cette lecture m'a évoqué : celles de Bunuel, de Jodorowski et de Klaus Kinski. Un souffle puissant.

Encore une belle découverte que je n'aurai pas faite sans la Masse Critique.
A lire absolument pour un grand moment de bonheur.
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Dans une ville sans nom, dans une maison sans vie, un gosse de 11 ans sort par la fenêtre. Fuir, fuir, jusqu'au coeur de la forêt, pour éviter les coups et les relents d'alcool. Courir avec les enfants sauvages, d'arbres en arbres, de secrets en rituels, apprendre la vie, la mort, le corps. Quand tout est perdu, gagner la ville, errer sous les cartons, trouver la musique. Mais la musique trompe son monde et les héros chutent. Alors, il faut repartir pour un tour, toujours un peu plus bas, chuter encore un peu, dans les griffes des monstres abuseurs d'enfants. Courir, s'enfuir à nouveau. Et revenir à la maison sans vie, vider les souvenirs sans mémoire jusqu'à trouver une page blanche. Attraper un stylo.

Il n'y a plus grand-chose de neuf à dire sur le roman d'apprentissage, on ne va pas rester coincer à réinventer sans cesse la roue du temps. Un gamin grandit dans la douleur, il s'enfuit avant d'apprendre à faire face. Point. Comment s'écarter de Salinger ou Dickens (ou Dennis Cooper, dans un autre genre) ? Il reste l'histoire extraordinaire qui greffe sur le schéma traditionnel des aventures improbables et des galeries de monstres, ou la tentative d'art pur, qui abandonne lentement les ficelles de la psychologie. de deux routes j'ai choisi la moins fréquentée… Jeff Jackson emprunte ici un filin périlleux car au mieux le livre serait illisible, au pire, prétentieux et ridicule. À vrai dire, la « note de l'auteur » liminaire, qui annonce un récit construit à partir de carnets et journaux intimes de jeunesse, m'a fait craindre le pire. Un genre d'Herbe bleue amélioré à la sauce arty. Fatigant. Et pourtant, d'un point de vue purement littéraire, j'aurais voulu ouvrir le coffre, qu'on m'explique le passage de ces carnets d'ado au roman syncopé, le travail et le projet. Je ne suis toujours pas une convaincue de la lecture biographique, mais cette précision d'avant-texte me perturbe. Et d'autant plus que le texte semble jouer à « suis-moi, je te fuis » avec ce qui pourrait se comprendre comme une logique biographique, réelle ou supposée.
Au final, c'est sans importance. Il reste une histoire brute de douleur. Qui fait mouche, bien sûr, malgré les dizaines qui ont précédé. Un enfant martyr, une mère infâme, des bourreaux de passage, cette sorte d'horreur vouée à tirer les larmes. Mais rapidement, dés le moment où le héros s'enfuit et se réfugie dans un parc d'attractions abandonnée, le fantasme remplace les faits bruts, tirant presque le récit vers le conte. On pense à Peter Pan et sa horde de garçons sauvages livrés à eux-mêmes en un lieu reculé, ou dans une tonalité plus sombres, aux rescapés de Sa majesté des mouches. Si apprentissage il y a, c'est celui de la camaraderie des soldats et des survivants. Et du corps. Les « corps extraordinaires », le sien, celui des autres adolescents, voire les corps morts, malades, souffrants mais également porteurs de vie, sont le lien qui fait tenir l'édifice d'un récit par ailleurs saccadé, non linéaire pour le plus grand bonheur des lecteurs dans mon genre qui n'aiment rien tant que les constructions déstructurées. L'utopie n'a qu'un temps : rejeté hors de sa société miniature, Jeff se retrouve à errer dans la grande ville, tente de recréer sa famille nucléaire avec d'autres adolescents, pense trouver un nouveau gourou dans la personne d'un musicien déchu dont la musique lui vrille le coeur. Mais les héros ont des pieds d'argile et il lui faut fuir à nouveau, à son corps défendant, vers un nouveau cercle d'abjection puisqu'il tombe aux mains d'un pervers pédophile. Détaché de lui-même, réduit à sa pure enveloppe corporelle, le jeune doit son salut à une jeune mère, triste dédoublement de la mère qui l'a laissé tombé. Nouvelle libération, nouvelle fuite, pour revenir dans la maison de son enfance, en un parfait cercle vertueux. Revenu aux origines, il peut enfin faire table rase et réinventer sa vie – au sens propre, puisque son premier réflexe est de passer à la fiction. La boucle est bouclée.

Je n'irais pas jusqu'à parler d'onirisme ou de poème en prose, mais il est certain que le style particulier de Mira Corpora , tout en envolées vite contenues, en instantanés, reposant sur un jeu de respiration subtil entre la réalité brute supposée et sa transformation, ce style permet au roman de dépasser la catégorie du roman d'apprentissage qu'il s'est imposé par gageure. Et d'éviter l'écueil désagréable du pur exercice de forme. Si je ne félicite pas le rédacteur de la 4e de couverture (qui a dû arrêter sa lecture à première partie du roman et en donne une idée assez éloignée de la réalité), je remercie les éditions Buchet-Chastel et Babelio pour cette découverte.
Lien : http://www.luluoffthebridge...
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Un livre qui nous emporte comme une tornade dans un univers onirique, dangereux, improbable ; une poésie en prose, un roman qui se déroule de manière très fluide pour raconter les souvenirs d'un jeune homme homme, son enfance et son adolescence, ses fugues, ses fuites et toutes les rencontres qu'il a pu faire. le récit est noir, dur, mais les mots utilisés rendent la lecture captivante.

Ce livre se lit d'une traite, le style d'écriture est très beau. On se questionne sur la part de vérité présente dans le texte, au vu des difficultés et de toute l'horreur vécues par le narrateur, c'est captivant, dérangeant sans être pour autant horrible à lire. Les phrases sont bien choisies, leur mise en place réfléchie, tout est ordonné dans ce texte pourtant foisonnant.

En bref, une belle lecture, qui ne laisse pas indifférent. Je ne sais pas si je relirai ce livre, mais assurément je suis heureuse de l'avoir lu et de le posséder dans ma bibliothèque.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Je reconnais immédiatement les chansons, mais quelque chose a changé. Les mélodies ont fermenté, tourné. Au lieu de me rappeler le réconfort qu'elles m'apportaient, la musique me renvoie brutalement au temps désespéré où je l'enregistrais. C'est comme si la tristesse de ce jeune garçon avait imprégné les fibres mêmes de la bande magnétique. Je commence à avoir le tournis. J'ai du mal à respirer. A la troisième chanson, je sors de la pièce en courant.
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...un papillon se pose sur mon coude, des ailes violettes figées sur un corps tressaillant. Il semble englué dans la bouillie collante, Ses minuscules pattes comme des pistons frénétiques. Je sens quasiment son coeur hurler.
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Mes plantes de pied sont perpétuellement trempées. Ma peau, d'une couleur spectrale, devient si molle que je peux en arracher des rubans avec mes ongles. De petites plaques de mousse se mettent à infester les poils emmêlés de mes aisselles. Même mes cassettes commencent à se gonfler d'eau et à produire des champignons. Je n'ai jamais été aussi heureux.
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Elle imaginait des punitions qui laissaient des marques avec les plaques de cuisson, les radiateurs d'appoint et les fers à friser. Mais cela ne diminuait pas la douleur que je ressentais quand elle m'abandonnait.
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Ecouter cette musique, c'est être retourné comme un gant et découvrir l'histoire de sa vie écrite sur ses organes internes.
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