Il y a deux mois, Ian Hunt a enterré sa fille Maggie. Elle a été enlevée il y a sept ans, on n'a jamais découvert de corps. Depuis, la famille de Ian a explosé, sa femme Rebecca l'a quitté et s'est mariée à un autre homme dont elle a eu deux enfants. Il a coupé les ponts avec son fils Jeffrey, qui gardait sa soeur un soir où ils étaient sortis dîner dehors, et qu'il rend inconsciemment responsable. Pour que son ex-femme puisse faire le deuil de cet enfant, il lui a concédé d'organiser des funérailles et d'enterrer un cercueil vide. Mais Ian, seul au milieu du champ de ruines qu'est devenue sa vie, a gardé espoir de retrouver sa petite Maggie.
« Il est assis derrière le standard du poste de police de Bulls Mouth sur Crouch Avenue, qu'il a comme d'habitude pour lui tout seul, même si à coup sûr il lui suffirait de passer la tête à la porte de la pièce de devant pour voir le capitaine Davis penché en arrière dans son fauteuil, les pieds sur le bureau et le Stetson sur les yeux…. Maniant la souris devant lui, il s'adonne à une partie de solitaire sur l'ordinateur qui centralise les appels téléphoniques. Si les gens en ville savaient que c'est comme ça qu'il passe quatre-vingt-quinze pour cent de son temps, ils piqueraient une crise. »
Et lorsqu'un soir, au cours de l'une des permanences qu'il assure au central du bureau du shérif, il reçoit un appel sur le 911, la voix d'une jeune fille qui demande de l'aide, une jeune fille qui lui dit s'appeler Maggie Hunt, il reconnaît la voix. Après un bref dialogue, pendant lequel Maggie n'a pas eu le temps de lui donner beaucoup de détails, la communication est rompue, et Maggie lui est arrachée à nouveau.
Avec le peu d'éléments dont il dispose, une adresse d'où Maggie a passé son appel, une vague description de son ravisseur, Ian va se lancer à sa recherche pour ramener sa fille, quel qu'en soit le prix, dans un road-movie suicidaire et désespéré. Et le long de l'Interstate 10, de motels minables en villes abandonnées, dans des paysages sinistres et désolés, commence alors une course-poursuite, contre le temps, et contre la mort. Celle de Maggie, aux mains de son ravisseur, celle de Ian, blessé par balle au poumon lors de la fuite d'Henry et dans un état de faiblesse extrême. Il pourra heureusement compter sur l'aide et le soutien de son ami Diego.
L'auteur développe son histoire à travers les différents points de vue des personnages principaux du roman, Ian lui-même, le ravisseur, Maggie et Diego, un des amis policiers de Ian Hunt, chacun des personnages apportant un éclairage différent dans la progression de l'intrigue. La narration, composée au passé et au présent, donne à ce récit un rythme binaire qui s'accorde très bien à l'histoire, alternant les moments de regrets et d'espoir déraisonnable et fou de Maggie et de son père.
La psychologie des personnages est bien étudiée : Henry, qui ne doit qu'à son désir d'accéder aux désirs de Béatrice, d'être le monstre qu'il est devenu, réagissant à chaque situation de manière primaire, et s'enferrant de plus en plus dans le crime, sans espoir de retour en arrière. Il a agi ainsi par amour pour sa femme, pour remplacer l'enfant qu'ils avaient perdu et préserver ainsi son équilibre mental. Selon l'auteur, rares sont les personnes qui commettent le mal intentionnellement, elles commettent de mauvaises actions qui ont des justifications humaines personnelles.
Quand à Ian, la colère qu'il ressent lorsqu'il découvre ces cadavres de jeunes enfants dans le champ d'Henry, la colère qu'il ressent à ce moment-là oblitère tout ce qui était bon en lui, lui faisant ressentir à quel point il aime sa fille, et l'amener à sacrifier ce à quoi il croyait, son mode de vie bien réglé, pour ramener son enfant chez lui. Et au fur et à mesure du roman, il devient comme le monstre qu'il est en train de chasser.
Et Maggie, sa force de caractère suscite l'admiration. Enfermée dans une cave, attachée et battue quand elle n'est pas la petite Sarah que veulent les ravisseurs, elle s'invente un ami imaginaire « Borden » et, dans sa tête, compte interminablement, remplissant son esprit de nombres pour ne pas y laisser de place à la terreur ou au désespoir.
Ce roman est également une occasion de mettre à mal le mythe de la famille américaine idéale :un papa, une maman, deux enfants dans une maison entourée de barrières blanches. Cette image est un rêve, une idéalisation de la réalité.
La violence qu'il y a dans ce roman est symptomatique de la société américaine, comme nous le dit l'auteur : « Mais c'est Burroughs qui avait raison : l'Amérique n'est pas un jeune pays. L'Amérique est vieille, sale, mauvaise. Elle était là depuis des millions d'années, à attendre, silencieuse ; elle était la terre des bêtes qui ne connaissaient que le langage de la chasse et de la violence, et elle attendait ; depuis une éternité elle était mauvaise, dangereuse, et elle attendait. »
Sous cette apparence pacifique de l'Amérique, il y a cette violence profonde qui ne demande qu'à s'exprimer. Selon les mots de l'auteur « Mon livre est quelque part une réflexion sur le rêve américain qui se transforme en cauchemar. »
On peut faire le rapprochement avec l'affaire Jaycee Duggard, qui fit la une des médias américains alors que ce roman était en cours d'écriture. Cette jeune fille qui avait enlevée et séquestrée pendant plus de dix ans réussit à échapper à ses ravisseurs et retrouver sa famille. Il avait déjà son histoire en tête lorsque l'affaire a éclaté, mais consciemment ou non, cette affaire et d'autres dans le même genre ont du avoir une incidence sur son écriture.
Roman, à déconseiller aux âmes sensibles, au suspense impeccablement orchestré, qui monte en puissance et en intensité dramatique tout au long du roman jusqu'à un dénouement que l'on imagine forcément fatal… Mais pour qui ?
Une vision assez pessimiste de l'Amérique contemporaine, finalement assez paranoïaque, très loin de l'idyllique rêve américain.
Un excellent moment de lecture, que je vous recommande.
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