C'est
l'audience de Debbie Aunus, jeune américaine professeure de mathématiques, mariée à un soldat en Afghanistan, mère de trois enfants. Nymphomane, accusée d'avoir couché avec plusieurs de ses élèves pourtant majeurs, elle est aujourd'hui sur le banc des accusés car une loi récente du Texas punit d'emprisonnement ce comportement. Pour son avocat, cette loi n'a pas lieu d'être puisque l'Etat reconnaît par ailleurs que ces mêmes élèves sont majeurs et vaccinés : Il s'agit d'une justice de moeurs qu'il s'engage à combattre.
« L'avocat ne s'intéressait pas à ce qu'elle avait commis, mais « à cette vieille passion du châtiment incrustée dans cet Etat depuis les puritains ».
C'est sans compter sur la Procureure avide de succès médiatique se posant en défenderesse des bonnes moeurs et valeurs puritaines de l'Amérique, qui veut faire de ce cas un exemple.
L'audience commence par le témoignage à charge des prétendues victimes, mais celles-ci ressemblent à tout sauf à des victimes.
« Steeve, avez-vous consenti à ce rapport sexuel du 27 avril et à ceux qui ont suivi ?
- J'ai une tête à me faire violer par une fille qui fait la moitié de mon poids ? ».
Et s'il n'y a pas de victimes, que cherche à protéger la société par ces lois et jugements ? Les valeurs puritaines de la société s'opposent dans ce procès à la liberté sexuelle et à la vie privée. Les principaux griefs de ce procès sont donc d'avoir délaissé sa famille en trompant son mari, puis d'abuser de son autorité en mettant en danger la santé de ces jeunes (en ayant eu des relations non protégées).
Douze jurés ont la vie de cette femme entre leurs mains, des pères et des mères de familles qui souhaitent exprimer leur désapprobation morale face au comportement de cette professeure et épouse.
Sauront-ils s'ériger, comme le leur demande l'avocat de la défense, contre un législateur de la morale trop présent ? Ou bien la crainte et l'antipathie vont-elles l'emporter contre cette prévenue qui ne consent pas à dire un seul mot pour sa défense, et n'accorde même pas un regard à ceux qui la défendent à la barre ? Seule la lecture de cette audience vous le dira !
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D'un style enlevé et bien rythmé, l'auteur alterne d'une part le récit de
l'audience avec ses témoignages (où l'accusée demeure silencieuse car elle ne peut justifier ce que la société ne veut entendre), et d'autre part ses souvenirs à elle (tus à
l'audience mais dévoilés aux lecteurs seuls), expliquant ce qui a pu pousser une enseignante qui semblait stable ou aurait dû l'être, à commettre des erreurs répétées.
Grâce à ce procédé nous apparaît clairement la distorsion inéluctable entre ce qui est présenté à
l'audience, où seuls certains faits sont mis en lumière, et la vérité complexe qui régit les actions humaines. Son avocat parviendra-t-il à amoindrir cet écart afin d'amener les jurés à la clémence ?
Ce roman démontre toute l'importance, pour l'issue du procès, de la manière dont les jurés perçoivent l'accusée. Ici le masque de Debbie la fait paraître hostile et coupable aux yeux des jurés, alors qu'au fil de ses souvenirs aidés par un narrateur omniscient, le vernis se craquelle pour le lecteur : On se rend compte qu'elle ne cherche pas à abuser de son autorité envers ses élèves, qu'elle fait attention à eux, cherche seulement à s'apaiser dans une sphère qui demeure strictement privée... Et au demeurant, c'est elle qui finira par être abusée.
«
L'Audience » dénonce donc également le danger de la trop grande intrusion de la loi et de la justice dans la vie privée et la morale d'une société.
Pour autant la réflexion suggérée par ce roman est plus subtile que manichéenne car ni la prétendue coupable ni les prétendues victimes ne sont toutes blanches ou toutes noires : La prévenue a couché avec des élèves sous son autorité sans protection, mais ce sont ces mêmes élèves, majeurs, consentants et expérimentés, qui à force de se refiler la prof comme un objet vont finalement concourir à sa perte.
C'est tout le paradoxe du système que devront trancher les jurés « en leur âme et conscience ».
Le comportement de la prévenue mérite-t-il d'encourir réellement une peine de prison punissant des actes fautifs et dangereux ? Ou bien une interdiction d'exercer qui l'éloignerait des élèves ou encore une sanction disciplinaire pour atteinte à la morale au vu de son autorité et de l'image de l'établissement, seraient-elles plus appropriées…?
L'alternance des chapitres permet de voir comment on interpréterait
l'audience si on devait juger, puis ensuite de se rendre compte de la façon dont les faits peuvent être diversement interprétés… Si tout semble fait pour faire éclater la vérité, le prétoire ne serait-il qu'un leurre ? Existe-t-il une seule vérité ? Il semble qu'il y ait toujours la vérité que l'on croit appréhender et une autre, plus profonde, intime, qui justifie l'intervention des avocats de la défense.
En ce sens, je parlerai bientôt de deux de mes lectures de
Robert Badinter («
L'Exécution » et «
L'Abolition »).
En attendant sur la question de la distorsion entre faits réels et interprétation judiciaire vous pouvez découvrir «
Persécution » de Alexandro
Piperno.
Et si vous souhaitez pénétrer au coeur de la pression qui pèse sur un jury américain durant un procès médiatique, je vous conseille «
le maître du jeu » de
John Grisham.
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