Je remercie Babelio et les éditions du Seuil pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une Masse critique privilégiée.
Et pourtant, même si j'ai été heureuse de le recevoir, car j'avais été encouragée autant par le résumé que par les (encore rares, à l'époque) critiques très positives à son sujet, je suis plutôt mitigée après avoir tourné la dernière page. La couverture est jolie (même si ce n'est pas le style que je préfère) et ancre d'emblée ce livre dans les récits très à la mode du « nature writing »… mais je ne suis pas tout à fait convaincue par cet aspect, ni par la vague romance, ni même par l'intérêt réel de ce roman.
Je ne vais pas réécrire le résumé, mais en bref : deux amies, et sans doute plus que ça (ce qui sera confirmé peu à peu), décident de partir dans le Grand Nord canadien pour descendre en canoë la rivière Thelon, l'une de ces rivières mythiques et dangereuses, pratiquée avec passion par quelques rares experts en eaux vives, tant elle est potentiellement hostile. C'est le cas de Holly, entraînée à ce sport extrême depuis l'enfance, alors que son amie Lee se laisse entraîner à défaut de mieux pour ses vacances d'été, et apprendra sur le tas.
Et c'est là que, dès le début, le bât blesse à mon sens : un manque criant de réalisme ! Les auteurs – qui seraient eux-mêmes passionnés de canoë-kayak, et voudraient partager cette passion à travers ce livre – nous font bien comprendre que Holly est « la » spécialiste du canoë-kayak dans un environnement quand même vachement peu accueillant : ah les chemises anti-insectes qu'on zippe jusque par-dessus la tête ! j'en ai rêvé, mais plutôt façon cauchemar, pour ma part ! et ce n'est là que « le » détail qui tue, parmi pléthore d'éléments qui disent et rappellent que la descente de cette rivière n'est décidément pas à la portée du premier venu. Lee quant à elle n'y connaît rien, mais miracle ! elle apprend en deux coups de cuillère à pot… Et, miracle supplémentaire, quand Holly tombe dans le coma et devient une masse inerte, Lee est capable de continuer le périple absolument seule malgré les embûches nombreuses et variées…
Qu'est-ce que ça dit donc ? Oui, c'est un sport extrêmement difficile et dangereux, mais il suffit d'un peu d'amour et en quelques jours à peine vous pourrez pratiquer seul.e et dans les conditions les plus difficiles ? Bof bof bof…
Ah mais j'oublie ! Il se trouve que Lee, justement, a grandi auprès d'un père qui se définissait comme « éco-anarchiste », une histoire personnelle que Lee ressasse et raconte par bribes – très longues, cela dit – à son Holly inconsciente au fil du voyage. Un père que je définirais plutôt comme « anarcho-survivaliste », qui a bien entraîné sa fille à ce mode de vie ! Or, même si Lee souhaite peu à peu vivre sa vie à elle, et clairement autre chose que ce qu'elle a connu depuis l'enfance (et qui se révélera peut-être une forme de maltraitance), elle connaît toutes les ficelles de survie dans un milieu « sauvage » - dans la mesure où elle vivait en périphérie d'une ville, mais dans la forêt, une forêt qui n'avait pourtant rien à voir avec les étendues du Grand Nord canadien… Quoi qu'il en soit, elle était, semble-t-il, suffisamment « armée » pour survivre même dans un environnement extrême : comme ça tombe bien ! (Re-bof bof bof…)
Maintenant que je me suis déchargée des deux gros points qui m'ont gênée à travers tout le livre, en pesant de tout leur poids, je peux expliquer pourquoi, malgré tout, je donne une note positive à l'histoire.
La romance ? Je l'ai évoqué plus haut : elle ne m'a pas convaincue, mais je suis sans doute grandement influencée par le fait que je suis, justement, lectrice de romances qui s'affichent bien plus clairement comme telles : des « slow burns » quelquefois, mais aussi et surtout des romances érotiques, parfois même des « hard romances » mettant en scène des relations BDSM. Autant dire que, ici, on est très, très, très loin de ce genre de roman. Certes, l'histoire n'est pas purement platonique, il y a quelques vagues allusions à des moments intimes, mais les auteurs mettent bien davantage l'accent sur le sentiment amoureux, les projets de vie à deux que Holly avait envisagés et que Lee poursuit dans sa logorrhée au fil de son voyage de survie ; bref, sur l'Amour avec un grand A, qui se détache des seules contingences corporelles. Et, bon, même si ce n'est pas convaincant par rapport à ce que j'ai l'habitude de lire, on ne peut nier que ça dégage une certaine beauté, une certaine pureté, ce qui est finalement – et très paradoxalement pour moi – l'un des plus grands points forts de l'histoire, malgré les longueurs.
Il reste l'aspect potentiel « nature writing »… Ce courant pourtant pas tout à fait neuf, est désormais très à la mode, dans notre monde qui commence peu à peu (il était temps, pourtant !) à se rendre compte des enjeux écologiques graves que l'on doit prendre en compte si l'on veut préserver notre planète. Mais ce livre s'inscrit-il réellement dans ce courant ? Comme je n'étais pas spontanément convaincue, j'ai un peu exploré la chose, et trouvé notamment un article bien intéressant sur Cultura (https://www.cultura.com/les-evenements/retour-au-naturel/qu-est-ce-que-le-nature-writing.html#:~:text=Le%20nature%20writing%2C%20litt%C3%A9ralement%20%C2%AB%20%C3%A9crire,se%20montrer%20humble%20pour%20survivre.) Je cite le passage qui m'intéresse :
« le nature writing, littéralement « écrire sur la nature » ou « écrire la nature », est un genre littéraire donnant aux grands espaces le rôle central du livre. Privé de ses semblables et confronté à la beauté et aux dangers du monde sauvage, l'homme au coeur de la nature ne peut que se montrer humble pour survivre.
(…)
Selon le spécialiste Lawrence Buell, 4 éléments font d'un livre du nature writing :
- La nature est traitée comme un personnage à part entière et pas seulement comme le cadre de l'intrigue.
- La nature est envisagée comme un processus complexe et non fixe.
- Les préoccupations environnementales occupent une place toute aussi importante que les préoccupations humaines.
- le texte plaide en faveur de la responsabilité environnementale. »
Ces introduction et définition semblent confirmer mon sentiment : oui, il y a des éléments qui s'apparentent à ce mouvement, mais seulement de façon partielle et donc, une fois de plus, pas convaincante.
Indéniablement, la nature, ce Grand Nord canadien encore relativement vierge (de dégradations humaines directes), est très présente dans le livre, mais est-elle réellement traitée comme un personnage central et/ou principal ? Je n'en ai pas eu le sentiment un seul instant ! Il y a un et un seul personnage principal : c'est Lee, qui est d'ailleurs (seule et unique) narratrice, et raconte son histoire et celle de Holly, celle qu'elle a vécue et celle qu'elle aurait aimé vivre. Et, oui en effet, elle est entourée par la nature (comment autrement, vu le contexte que les auteurs ont choisi pour l'histoire ?) et n'a d'autre choix que se montrer humble, mais ça s'arrête là. Je n'ai pas ressenti la moindre préoccupation environnementale, par exemple – et certainement pas chez son père, même s'il se définissait, comme dit plus haut, comme « éco »-anarchiste ! Il n'en avait rien à faire de l'écologie, il était surtout contre « le système », y inclus sa surconsommation etc., mais cela ne suffit pas à en faire un écologiste réellement soucieux de l'environnement.
Par ailleurs, quand Lee se retrouve seule dans cette nature grandiose, dans plus d'un passage les auteurs nous racontent (à travers la voix
De Lee, bien sûr) ce qu'elle voit, ce qui l'entoure, les animaux qu'elle croise, etc. Quelques passages à ce sujet sont d'ailleurs à la limite de l'irréalisme.
Je pense notamment au moment où elle va hurler avec les loups, à se retrouver à quelques pas d'une louve qui a des petits : réellement ? ou bien quand elle parvient à faire fuir un ours comme par miracle ! peut-être est-ce possible, mais à nouveau : ça fait passer un message qu'on peut faire face à des dangers extrêmes d'une façon beaucoup trop facile, et ça me dérange… Quoi qu'il en soit, à aucun moment je ne me suis sentie immergée dans cette ambiance, comme s'il y avait un détachement insoluble, celui-là même que vit Lee, toute préoccupée qu'elle est par sa propre survie et le retour de Holly à la civilisation (et pour cause !), bien davantage que vivre à fond, en pleine conscience, cette expérience dans la nature – ce qu'elle aurait pu se permettre, sans doute, s'il n'y avait pas eu le drame.
Cependant, à défaut d'immersion qui rejoindrait bien mieux la définition d'un roman « nature writing », cette façon d'aborder les choses donne un goût contemplatif à l'histoire, un goût du beau qui finit par l'emporter. Je dois préciser, aussi, que je ne cherchais pas particulièrement à lire un récit de « nature writing », je n'ai donc pas de vrai regret à ce sujet, mais clairement, si c'est ce que vous recherchez, ce livre n'y répond que partiellement ; il reste cependant toute la beauté un peu brute, et parfois un peu rêvée peut-être, contemplative comme je disais plus haut, d'une nature encore inviolée.
Ainsi, même si ce livre ne figurera pas au top de mes meilleures lectures de l'année, même s'il présente plusieurs longueurs et défauts qui m'ont gênée (dont en particulier un certain irréalisme), j'ai apprécié son côté contemplatif, aussi bien au niveau de l'histoire d'Amour toute douce (bien davantage qu'une romance !) que de la façon d'aborder l'environnement, à la frontière d'un « nature writing », cette nature mythique du Grand Nord canadien, qu'on aurait presque envie d'aller découvrir.