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3,75

sur 143 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
C'est le premier ouvrage de Pierre Jourde que je lis, avec fascination. Comment ne pas être happé par l'écriture jourdienne, qui épouse si bien les reliefs de la Montagne cantalienne, et les visages ravinés de ses autochtones? Quiconque connaît ce terroir du Centre de la France, cette terre d'oubli entre forêts sombres et villages de basalte noir, ceinturée par l'autoroute, sera sidéré par le travail littéraire, le tableau si expressif de cette solitude du fond des âges, qui échappe cependant au double piège du réalisme et du symbolisme, par un savant et infinitésimal dosage des deux, alchimie particulière réussie grâce au précipité de l'émotion et de l'âme.
Le titre sans doute m'a attirée, dans sa mélancolie et sa brutalité mêlées.
La référence proustienne, cependant inscrite dans le rapport de Jourde à la littérature, est ici balayée d'un revers de main. Ici toute recherche s'arrête, ici commence la rencontre avec un pays perdu depuis toujours, au sens du bled paumé comme à celui de la séparation subjective. Jourde ne risque pas même le mot de retour, puisque cet écrit qui parle tant d'humus, de racines végétales, mais aussi de cloaque et de destruction lente ou accidentelle des corps, résonne quelque peu comme un adieu. Il y a dans ce livre une triple référence à la mort d'un individu: celle du père de l'auteur, à qui semble dédié ce livre, la mort du lointain cousin, qui fait signe aux vivants en lèguant son maigre bien au seul des apparentés qui venait , de loin en loin, lui rendre visite, et celle, cruellement absurde, d'une fillette dont le sourire et la beauté enfantine marquent les souvenirs de l'auteur.
Le livre est construit autour d'un bref voyage afin de règler une improbable succession, et les obsèques d'une enfant, Lucie (lumière…), décédée de leucémie. Ce rituel funèbre, ainsi que la coutume des visites à la défunte sont le champ dans lequel entrent et sortent vivants et morts, ceux qui viennent et ceux qui ne viennent pas rendre ce dernier hommage. La caméra subjective, le regard de Pierre Jourde, nous fait découvrir en plan serré ou en champ-contrechamp toute une humanité isolée du reste de l'humanité, sculptée par le travail, à peine déviée de son cheminement sourd et aveugle au reste du monde par les unions dont certaines sont brèves, et les autres génératrices de coupures familiales définitives.
C'est là que la littérature devient réalité, et c'est là que prit naissance le ressort de la haine et du rejet, manifestée par une forme de lynchage des personnages de Jourde contre lui et contre sa famille, après la parution de Pays perdu..
Sans prendre position sur le fond, sûrement complexe, de l'affaire, sans revenir au débat sur l'auto fiction et ses conséquences, et sans remettre aucunement en cause la qualité littéraire de l'oeuvre ni l'intention de l'auteur,
je partage quelques réflexions, qui resteront sûrement superficielles.
La force et le pouvoir de l'écriture, est aussi, comme le disait magnifiquement Levi- Strauss, ce qui permet l'existence et le maintien d'une forme de domination. Face à ce qu'ils ont reçu comme une intrusion et une insulte, les personnages ripostent, non avec l'usage des mots dont ils n'ont pas la maîtrise, mais avec la violence qu'ils pensent leur être faite. Et ils chassent le traître du pays, obéissant à la même logique que celle qui anime Jourde, en n'en conservant que la versant du rejet. Car la fascination-répulsion de l'auteur pour ses origines a pu être traitée par l'écriture. Mais il n'en va pas de même pour ses personnages, qui n'ont pas sur eux-mêmes un regard transcendé par la littérature et la poésie, pour eux un mot est un mot, et une pierre est une pierre.
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Le voyage intérieur se poursuit inexorablement dans ce pays montagneux du bout du monde. le le titre du roman, en apparence si simple, si peu engageant, avec sa triste couverture, loin de nous perdre ou nous égarer, nous fait pénétrer dans un monde qui dévoile tout ce que nous avions ignoré ou oublié en faisant ressusciter un passé que l'on croyait enseveli ou qui n'avait peut-être jamais existé véritablement, cachant lui-même d'autres strates, d'autres palimpsestes encore plus mystérieux et inquiétants.

Les choses les plus insignifiantes deviennent "un opéra fabuleux". de la laideur et de la crasse, de cet alcoolisme et de cette brutalité, d'un coin d'ombre ou d'une éclaircie, tandis que surgit, à l'improviste, un souvenir rapporté par le narrateur, de toute cette "tristesse" parfois "majestueuse" naît une beauté singulière qui nous étonne et qui nous délecte.

Les portraits de villageois et villageoises, sortes de petits santons disposés tout autour d'une crèche provisoire et désaffectée, sont des chefs-d'oeuvres en miniature. le silence glacé qui règne, parfois, ou se disperse, quand la mort vient s'abattre avec injustice sur une jeune fille, fait sortir de leurs tombeaux vivants des êtres qui s'animent, de curieuse façon, et qui nous émeuvent.
Nous sommes dans le funèbre, mais le funèbre dont les feux follets n'ont pas fini de courir ici et là, pour révéler des secrets d'outre-tombe, qui semblent avoir choqué la plupart des habitants de ce village, après la parution du livre de Pierre Jourde.

La musicalité et le phrasé, ciselés par la main d'un orfèvre génial, nous laissent dans l'émerveillement que nous éprouvons au Louvre, devant les sculptures ou les tableaux des plus grands maîtres. Pays perdu - où chaque mot est médité et profondément recherché, à la manière de Flaubert - est un chef d'oeuvre, un acte de pur héroïsme et de liberté d'écrivain. Il aurait manqué à la littérature contemporaine, à la littérature universelle, s'il n'avait pas été écrit.
Merci, Monsieur le Professeur. On ne vous oubliera jamais
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A l'occasion d'un retour dans son Cantal d'origine l'auteur nous dévoile un pays, une civilisation en train de disparaître. Ne restent dans son village que quelques habitants, tels des buttes témoins d'un passé révolu, dont il dresse une superbe et saisissante galerie de portraits. Cela fait parfois penser à Pierre Michon ou à Pierre Bergougnioux, mais en plus âpre, et plus désespéré.
Il pousse parfois le bouchon un peu loin, comme l'histoire de cette vieille dame qui dort avec les cadavres de ses chiens dans son lit, ou ce cadavre récent enfoui dans un tas de chiffons. Là on a du mal à le croire. Encore que...
C'est écrit dans une langue superbe, chaque mot faisant mouche. A lire, absolument !
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Il n'est pas possible de dissocier ces deux livres de Pierre Jourde : "Pays perdu" et "La première pierre" dont nous parlerons ensuite.
Enseignant et écrivain, Pierre Jourde a beaucoup bourlingué dans de nombreux pays mais c'est en Auvergne, dans le Cantal, que sont ses racines : « C'est un pays perdu, dit-on ; pas d'expression plus juste. On n'y arrive qu'en s'égarant. Rien à y faire. Rien à y voir. Perdu depuis le début peut-être, tellement perdu avant d'avoir été que cette perte n'est que la forme de son existence. Et moi, stupidement, depuis l'origine, je cherche à le garder. Je voudrais qu'il soit lui-même, immobilisé dans sa propre perfection, et qu'à chaque instant on puisse s'en emplir. »
Dans ces quelques lignes, il y a la quintessence d'un livre qui a été si mal compris. Revenant au pays pour l'enterrement de Lucie, la petite fille de François et Marie-Claude, Pierre Jourde revoit tout ce qui fait la vie, là-haut. Il lie cela à la mort de son père et, de son style qui peut être percutant et très poétique en même temps, il parle des gens, des machines agricoles qui estropient, des bêtes, des accidents. Il est impossible de détacher une description plus qu'une autre car "Pays perdu" est un ensemble qu'il faut lire d'une seule traite.
Au fil des pages, il n'oublie rien : « le sort prématuré des maisons qui s'enfoncent en elles-mêmes et ne laissent que le moins possible d'ouvertures au froid polaire de l'hiver. La suie et la sueur, le purin et la poussière comme une tunique protectrice. »


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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‌J'ai laissé passer quelques jours avant de commenter, car ce livre m'a bouleversée et réveillé de très nombreux souvenirs d'enfance, de vacances passées chez mes grands-parents en Auvergne également, dans un petit village de 230 habitants proche de Volvic donc beaucoup moins isolé.
J'y suis retournée il y a quelques années après quasiment 40 ans d'absence. C'est devenu à la fois un village de résidences secondaires (héritées et retapées) d'habitants de Clermont, dont de nombreux employés ou retraités de chez Michelin, de salariés de Volvic et de maisons abandonnées, il ne reste que très peu de fermes en activité.
Je pensais retrouver la maison facilement, or j'ai tourné pendant un bon moment. Elle était totalement abandonnée.
Je pourrais continuer avec le fameux "Je me souviens" de Pérec".
Je me souviens des "waters" ou des cabinets (on ne disait pas WC, ni toilettes) au fond du jardin et de mon dégoût.
Je me souviens des orages somptueux qui nous faisaient peur et nous fascinaient.
Je me souviens à peine du maréchal-ferrand (surtout du bruit de sa forge et de ses outils), j'étais toute petite quand il est parti.
Je me souviens du tailleur de pierre.
Je me souviens de la Morande qui tenait l'unique épicerie-bar-tabac-restaurant-station service.
Je me souviens de la Bline alors très âgée, on allait acheter le lait dans sa ferme (beurk !) et dont mon père disait en plaisantant qu'elle avait déniaisé presque tous les garçons du village. Je n'ai pas osé lui demander s'il était concerné...
Je me souviens que le repas était fini quand mon grand-père (un homme pas facile) fermait son Opinel. Là, on pouvait vraiment parler de patriarcat...
Je me souviens du lavoir où j'aimais aller avec ma grand-mère et ses voisines (avant la machine à laver qu'elles ont toutes accueillie comme le sauveur. L'hiver, il fallait quasi casser la glace pour rincer le linge, changer les draps attendrait...).
Je me souviens du four banal près du lavoir (je l'avais complètement oublié celui-là)
Je me souviens des foins, moi j'adorais, mon père moins (il se sentait obligé d'aider, pour ne pas passer pour le parisien prétentieux, même s'il travaillait en usine)
Je me souviens du château de Tournoël alors libre terrain de jeu des enfants.
Je me souviens du raccourci à travers champs pour aller à pieds à Volvic. Il a complètement disparu (Ah ! La voiture...)
Je me souviens aussi des bouses de vaches...
Je me souviens du village-Michelin où vivait un cousin, avec ses maisons Michelin (différentes pour les cadres et les ouvriers), ses camps de vacances Michelin, ses magasins Michelin, ses écoles Michelin et les habitants très contents de leur sort (un loyer symbolique, un bout de jardin, un potager, un grand congélateur pour les animaux chassés, ou... braconnés et du travail de père en fils). Mais ça, c'était avant...
Je me souviens aussi de certaines histoires de famille, de la maison de mon grand-père vendue à un cousin et pas à l'autre. Depuis, ils ne se parlent plus...
Je ne me souviens pas qu'on y ait trouvé un quelconque magot...
Bref, pour moi, la nostalgie est toujours ce qu'elle était...
Mais je vois que je me suis prise au jeu et que je n'ai pas vraiment fait une "critique littéraire" de ce livre.
Ce que sa lecture a provoqué en moi est suffisamment parlant !
Merci Monsieur Jourde.
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Je pense que pour la première fois j'ai du mettre 5/5 à un livre. Pour une petite partie par attachement à des situations connues (je suis Cantalou de descendance), mais surtout par le sujet et la langue. Quelle belle écriture...Fluide, idéalement construite, pas lourde et pourtant si riche en vocabulaire. Et puis le sujet....ces paysans perdus dans ces recoins du Cantal, s'accrochant encore à une terre ingrate. Raymond Depardon en a d'ailleurs fait des images qui pourraient idéalement illustrer cet ouvrage au cas où l'imagination du lecteur ne serait pas à la hauteur ou tout simplement pour le cas où il n'aurait pas la joie d'avoir connu ces "derniers Indiens" comme dirait une autre grande écrivaine du cru: Marie-Hélène Laffon.
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On découvre un univers qu'on croyait perdu à jamais à travers des descriptions effrayantes et d'une grande poésie.L'écriture est magnifique , et le livre se lit d'un trait .Le narrateur a pour la région de ses origines un grand amour mêlé de dégoût et de nostalgie . le livre édité en 2003 et a valu à son auteur bien des déboires et on a envie de lire " la suite " , " La première pierre " qui vient de paraitre pour la rentrée littéraire 2013!
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