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Critique de karmax211


Charles Juliet fait partie des poètes dont j'ai au moins un recueil dans ma bibliothèque et dont je connais par coeur quelques-uns de ses textes.
J'aime, à titre d'exemple, ce poème tiré de son ouvrage - Pour plus de lumière -

"Combien désiré combien doux
ce murmure trop ténu
auquel je donne voix
en me creusant
dans mon silence

puis lourds
encore aveugles
encore mêlés
à tout cet humus
où ils prenaient vie
les mots qui montent affluent
s'inscrivent sur la page

ces mots que j'enfante
et qui me donnent le jour"

Ce qui caractérise Juliet, c'est l'extrême simplicité de ses mots, et presque paradoxalement leur grande force et leur remarquable expressivité.

En cherchant à faire connaissance avec le romancier, je voulais non pas me détacher du poète mais voir s'il s'inscrivait dans la grande tradition des grands auteurs de notre littérature qui savaient aussi bien manier l'intrigue que la rime... George Sand, Maupassant, Hugo, Musset, Nerval, Cocteau, Aragon ou Houellebecq ( j'aime beaucoup la poésie de cet iconoclaste anarchiste de droite méga dépressif ) et ajoutons-y Bataille dont la poésie de "haine" à l'égard de la poésie traditionnelle est le chemin qui permet d'accéder "à la véritable poésie"... Je vous recommande - L'Archangélique et autres poèmes -... ça mérite une lecture...donc, Charles Juliet appartenait-il à cette tradition ? Telle était ma démarche.
J'ai donc choisi un roman autobiographique dans lequel le poète, non, le romancier... évoque sa deuxième année à l'école des enfants de troupe d'Aix-en-Provence.
Enfant privé de parents, placé dans des familles de substitution, le petit Charles grandit à la campagne où il est un enfant paysan, plus familier des animaux et de la nature que du monde des hommes.
L'École militaire est une opportunité qui se présente à lui comme offre d'éducation et comme on dirait aujourd'hui... comme ascenseur social.
Il arrive à Aix accompagné d'une valise en bois, cadeau d'un camarade menuisier de son village.
Seul !
Les autres gamins ont des parents, des vêtements et des bagages décents.
Ils ont même pour dormir le soir ce qu'ils appellent un "pyjama"... vêtement dont le petit Charles n'avait jamais entendu parler avant de se coucher dans ce dortoir.
Nous sommes entre l'après-guerre et le début de la guerre d'Indochine (1946-1954).
Charles Juliet étant né en 1934, son roman évoquant sa deuxième année d'enfant de troupe, on peut en déduire que le roman se situe en 1947 et que le jeune sergent a entre 12 et 13 ans... car l'auteur ne consent à aucune précision temporelle : années, âges nous sont refusés et renvoyés à nos déductions...
Juliet nous fait entrer dans l'univers d'une École militaire où tous les coups, toutes les humiliations ( bizutages, sévices, ce qu'on appellerait aujourd'hui harcèlement, brimades, fayotage, omerta...), tous les abus de pouvoir, toutes les injustices, toutes les privations, toute une excessive discipline, sont permis.
Dans cette jungle où le plus fort ( gradés ou aînés ) a le dernier mot, il va vivre une année de caserne initiatique.
Un chef de section s'est pris d'affection pour lui ( substitut paternel ).
Ce sergent a été champion de France militaire de boxe dans la catégorie des poids moyens.
Il va lui ouvrir les portes de sa maison tous les dimanches et l'initier à la boxe.
Sa femme Léna, malheureuse avec cet homme jaloux qui la séquestre et la bat, va initier l'enfant à l'amour (substitut maternel)
Enfin, ses professeurs vont l'initier à un monde qui, jusque-là, se limitait à l'église, aux prières et à ses vaches.
Il va apprendre l'existence des camps de concentration et de la Shoah.
Il va découvrir l'existence du Mal et d'un Dieu indifférent à la souffrance des victimes et à l'impunité des bourreaux.
Il va, dans son corps qui mue et dans son cerveau qui s'ouvre, se révolter contre ces bouleversements que connaît toute chrysalide se rapprochant du papillon qu'elle va devenir.
Rébellion contre l'autorité, pulsions de mort... les affres de ce début d'adolescence vont l'initier à la plus cruelle des privations ; quinze jours de cachot vont lui permettre de poser un regard neuf sur lui et sur le monde.
Découverte et initiation à la camaraderie et à l'amitié viendront conclure cette année d'éveil.
Au final, que dire de ce énième livre sur les convulsions adolescentes d'un gamin confronté à un milieu clos, qui a ses propres règles et où l'homme est un loup pour l'homme ?
Que je ne me suis pas ennuyé... bien que connaissant tous les ingrédients de la recette... dont j'ai parlé plus avant.
Que ça ne vaut pas par exemple - Les désarrois de l'élève Törless - de Robert Musil, mais que ça se laisse lire.
Un bémol, cette relation amoureuse pédophile avec une femme battue que le bouquin interrompt l'été et les vacances venus, mais dont Juliet annonce joyeux qu'elle pourra reprendre à la rentrée.
J'ai trouvé cette approche et cette conclusion désinvoltes, légères, peu responsables.
Un roman autobiographique qui ne manque pas d'intérêt, d'un point de vue narratif et stylistique, mais qui m'a semblé inégal et manquant d'une certaine forme de lucidité dans la hiérarchie des thèmes évoqués... la bouffe faite essentiellement de fayots, de purée et de charançons, prenant le pas sur une relation amoureuse enfant-adulte, dont l'adulte, femme battue, méritait un autre traitement (aucun jeu de mots) que celui que l'auteur lui concède.
Sur ce livre, ma préférence si elle est acquise au poète, hésite à accorder la même au romancier.
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