Malgré toutes les phosphorescences du souvenir et les ensorcellements de la littérature, l'articulation entre le passé et le présent restera toujours une illusion
À trois heures du matin, Davout, situé à une quinzaine de kilomètres d'Eylau, a donné à ses soldats le signal du départ. Il sait que tout à l'heure le combat sera sans merci. "Les braves mourront ici, les lâches iront périr en Sibérie", tel est, avant de lever le camp, le rude viatique que les soldats reçoivent de leur chef.
Il faut imaginer tous ces soldats qui ont faim et froid en cette aube livide du 8 février. Les pays est inhospitalier. Ont-ils peur ? Songent-ils à leur fin, loin de leur patrie ? A ceux qui périront ? Aucun témoignage ne fait état de cette angoisse et de ces maux de ventre d'avant le combat, pas plus à Eylau d'ailleurs que dans les autres batailles napoléoniennes.
Tout a l’air dépeuplé, hostile, comme une chose qui fait défaut : un chaînon manquant entre le passé et le présent. Une humanité engloutie.
Eylau est un Waterloo qui a bien tourné. Mais d'extrême justesse.
S'introduire dans un tableau. S'il y en a un qui a compris cela, c'est Napoléon. Lorsque David lui soumet sa toile du Sacre, il s'écrie ; "Quel relief, quelle vérité, ce n'est pas de la peinture, on marche dans le tableau."
"Chabert, ce n'est que de la littérature. J'ai essayé de le lire : ça m'est tombé des mains ! Vous vous rendez compte, il revient neuf ans après. Ca ne tient pas debout ! Moi, je ne lis que de l'histoire et des bios."
Le Colonel Chabert n'est que de la littérature. Ce mépris contemporain pour tout ce qui se rapporte à la faculté de comprendre, de connaître, d'aimer que procure l'oeuvre écrite et un usage particulier du langage ! Inutilité de tout cela. Ainsi le Colonel Chabert lui tombe des mains !
"Les voyages réussis sont ceux où l'on est autant content d'arriver que de partir." (p. 301)
"Comme toute chose ici-bas, le froid possède une empreinte olfactive. Il exhale une odeur opaque et crissante où prévalent des senteurs métalliques, des notes d'oxydation qui rappellent la rouille, quelque chose d'astringent. Cette sensation resserre anxieusement l'odorat." (p. 233)
-Le plus incroyable était l'ignorance des adultes à l'égard des temps anciens, cela ne les intéressait pas. Les autorités faisaient plus qu'encourager ce silence: elles disaient aux nouveaux venus qu'ils n'avaient rien à faire d'un passé qui n'était pas le leur. Ne trouvez-vous pas stupéfiante cette absence de curiosité, cette indifférence?