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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un billet d'avion en poche, deux escales, vol long-courrier, atterrissage au pays du soleil levant. Déambuler seul dans les rues de Tokyo, le parc de la Sumida et le fameux temple d'Asakusa. Je replonge volontiers dans les années 20-30, l'entre-deux-guerres, une musique de jazz insouciante dans la tête qui accompagne cette pérégrination d'antan.

Asakusa, dans ces années-là, c'était le temple des geishas et le temps des amuseurs ambulants. Les théâtres grivois se dévoilent, comme un sein qu'on entraperçoit dans le pan d'un yukata s'ouvrant à la bise du vent. Biser ce sein, celui qui ose se montrer sous la douce lumière bleue d'une lune venue observer les moeurs de l'époque. Une jambe nue ou l'érotisme d'une nuque, sur le pont Kototoi, c'était une autre époque, reste un spectacle à la hauteur d'un feu d'artifice à la tombée de la nuit, d'un Mont Fuji aux premières lueurs d'un petit matin ou d'une toison brune mouillée à la sortie d'un onsen, lumières vespérales.

A la manière d'un journaliste qui, dans le temps, proposait des chroniques ambulatoires sur la vie, la plume de Yasunari Kawabata m'a une nouvelle fois émerveillée. J'étais moi aussi, avec lui et à travers ces reportages, des instantanées de vie avec quelques prostituées russes ou quelques ivrognes arpentant les trottoirs, sous le son des cloches des temples ou des getas des geishas arpentant l'asphalte chaude d'un quartier « chaud ». L'été caniculaire se prolonge au-delà du soleil levant. Quelques policiers passent, des affiches s'envolent, la bande des ceintures rouges se rassemblent, tu sens l'odeur de ces brochettes grillées à même la rue, le parfum de jasmin de cette geisha, l'eau du riz qui embaume les ruelles étroites. Je m'assois sur un banc, seul, dans le parc Ueno avec mon bouquin et le cri d'un corbeau noir, ouvre les pages de L'Asahi Shinbun, et découvre ces tableaux vivants, une jeune fille qui passe à vélo, un air de piano porté par la brise, une radio qui crachote du jazz, un flot de passants anonymes, les flots de la Sumida. Un parfum d'amour qui m'enivre, une passion japonaise qui illumine mon âme depuis des années, ce jasmin ou ce coquelicot, un spectacle étrange et merveilleux…

Ces chroniques se lisent comme des chroniques. Elles s'enchaînent, elles se visualisent, elles se sentent. Elles dessinent au final la trame d'un roman, elles me plongent surtout dans un lieu et une époque bien lointaine, entre la brume et le soleil, entre le frémissement et la lune bleue, le Mont Fuji comme point de repère au loin, et au près un yukata qui s'ouvre, une geisha qui se dévoile.
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Assurément, c'est là un bien étrange récit que nous propose Kawabata. Ce n'est ni un roman, ni un recueil de nouvelles, mais un assemblage, forcément inachevé, des chroniques qui furent publiées quotidiennement pendant deux mois, de début 1929 à début 1930, dans le journal Asahi Shinbun.
Nous nous retrouvons avec des juxtapositions de scènes de rues dans le quartier mal famé qu'était alors Asakuza, lieu fertile en maisons de passe et spectacles érotiques, à la population interlope et à la morale élastique… Les personnages vont et viennent, disparaissent, reparaissent au détour d'une ligne pour s'évanouir de nouveau, et il ne faut pas y chercher un quelconque fil narratif. Tout juste si l'on peut dire que l'on y suit les mésaventures de quelques membres de la « bande des ceintures rouges », qui n'ont rien de malfaiteurs, d'ailleurs, ou du moins pas de façon explicite. Ils s'amusent, par exemple à laisser leurs billets votifs, achetés au temple, sur les endroits les plus inattendus, comme la grosse lanterne qui décore le portique d'entrée dans ce quartier consacré au temple de Kannon. 

Kawabata intervient lui-même dans le récit. Il y fait la connaissance de Yumiko, qui lui affirme très vite qu'« à Asakuza, trop de gens font commerce de la misérable laideur de l'apparence humaine ». On y découvre donc les filles d'Asakusa, « poupées de foire », mais aussi les naufragés de l'histoire, comme ces réfugiées russes, appréciées pour leur peau immaculée « à l'opaline blancheur », et qui se trouvent plus ou moins contraintes d'être des danseuses (une profession qui permettait de surmonter facilement l'obstacle de la langue) faisant à un bon prix commerce de leurs charmes slaves. 

Kawabata, désirant au début du récit s'installer dans le quartier, et au regard volontiers attiré par les tenues écarlates des jeunes filles, y décrit aussi les rues, les magasins, les terrains vagues, les ponts, les salles de spectacles et leurs revues plus ou moins déshabillées ; toute une géographie disparue, instable, qu'il déroule sous les yeux du lecteur, mais qui à l'époque de sa rédaction était une peinture vivante de la vie agitée du quartier. Des music-halls où l'on sent, après le spectacle, « une odeur de mendicité imprégner le sol, les chaises et les murs » au kurenai-maru, bateau où se déroule un face-à-face amoureux et tragique aux accents surréalistes ; de l'histoire d'Umé le chat d'argent au désastre du tremblement de terre de 1923 ; nous retrouvons Yumiko, héroïne multiple de récits entrelacés, et les aventures de ses connaissances, comme Hiko le gaucher ou Chiyo, jeune fille tôt flétrie, dans les nuits chaudes de l'été.
Ce récit ressemble donc davantage à une collection d'impressions, à des histoires imaginées lors de promenades à Asakuza, et c'est probablement de cela qu'il s'agit. Kawabata avait pour habitude de composer ses romans, à une certaine époque, en effectuant une mise en scène d'écrits disparates, collectés, mis en perspective et remaniés. Là, c'est le matériau presque brut, journalistique au sens propre, de cet assemblage, qui n'a jamais été réalisé, qui nous est offert.

La traduction, de Suzanne Rosset, ne souffre aucune critique, et nous rend avec vivacité et justesse les impressions de l'auteur, qui nous convie à une promenade où les époques se mélangent et se télescopent, qu'il ne faut pas aborder comme un récit fini, une nouvelle terminée, mais comme une collection d'articles aux minces fils conducteurs, car, comme le note Kawabata, « essayer de donner un reflet de ce qu'a été la vie d'Asakuza est encore plus problématique que de capter les rayons du soleil de l'année précédente ».
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