ET L'AUTEUR DIT : ALGERNON EXISTE !
De ce roman de science (au sens propre du terme)-fiction,
Des fleurs pour Algernon, tout à été dit ici, avant ces quelques lignes, ou presque. le roman de
Daniel Keyes est tout à la fois devenu, au fil du temps, un best-seller mondial et un classique du genre, ce qui est doublement mérité. En revanche, moins connus sont cet essai biographique ainsi que la nouvelle originelle proposés par les éditions J'ai lu dans une réédition récente et qualifiée d'augmentée.
Dans la foulée immédiate de ma découverte de ce roman (je ne connaissais que sa version cinématographique) pour le moins troublant et d'une vraie puissance introspective, à l'écheveau émotionnel, intellectuel et psychologique très dense, j'ai d'abord hésité à lire cet autobiographie très ciblée, intitulée
Algernon, Charlie et moi, me méfiant assez généralement des analyses de texte, des post-faces, des commentaires bien souvent aussi fastidieux qu'illisibles. Surtout si c'est l'auteur qui parle...
Après avoir picoré quelques lignes au hasard des pages, l'hésitation à m'y engager pleinement fut de courte durée et bien m'en a pris.
Les quelques deux cent pages qui la composent se lisent en un rien de temps, tant le style y est vivant, heureux et alerte, mais permettent au lecteur de jeter un oeil parfois complice, à d'autres moments légèrement (quoi qu'innocemment) voyeurs sur les coulisses d'un (futur) immense succès littéraire, d'en découvrir subrepticement les arcanes, d'en comprendre les origines, la genèse, les incertitudes, les progrès, les tentatives échouées, l'émergence soudaine et insoupçonnable d'idées géniales ou les hésitations de longue haleine.
En quelques mots, on entre dans la cuisine personnelle -et souvent très intime- de l'écrivain en herbe -
Daniel Keyes n'avait quasiment jamais écrit et publié que sous pseudonyme jusqu'à la publication de la nouvelle qui deviendra, sept ans plus tard, son premier roman et décidera de son entrée définitive dans l'univers SF-, on y découvre beaucoup de travail, énormément de lectures (bien entendu) ; on mesure aussi tout ce que l'expérience vécue peut avoir d'importance dans la chronologie, la création et l'avancée d'une oeuvre en cours. L'auteur nous permet aussi de découvrir, les retranscrivant, certaines versions antérieures jamais publiées jusque-là de sa nouvelle de départ.
Très éloigné de l'auto-analyse de son oeuvre, Keyes se refusant à toute forme d'explication de ses textes depuis une aventure malheureuse vécue en compagnie d'un collègue professeur, on suit aussi les remous (parfois, il faut aussi le dire les remugles) liés au monde de l'édition américaine, aux problèmes de droits d'auteurs (très différents chez eux de notre situation européenne), la quasi-obligation d'avoir un agent défendant les intérêts de son client, des avocats si l'on ne veut pas se trouver parfaitement dessaisis des fruits de sa propre création, etc.
L'ensemble est écrit sans lourdeur, sans acrimonie, même si l'on peut parfois comprendre entre les lignes que d'aucuns ont pu le décevoir, et parfois plus encore. Aussi, si cela n'en dit guère plus sur le roman lui-même, ses intentions directes ou cachées, cela permet tout de même de comprendre comment celui-ci a pris vie. Tout, sauf un long fleuve tranquille !
Un court texte à découvrir pour qui souhaite se coltiner à la création d'un texte original, l'enseignement qu'on peut y trouver n'est en aucun cas péremptoire ni moraliste mais peut s'avérer devenir un subtil accompagnement dans des moments de doute face à la page blanche.
Fait suite à cet essai la réédition de la nouvelle d'une trentaine de pages, primée en 1960 par le Prix Hugo de la meilleure nouvelle de l'année. Beaucoup plus axée sur le développement scientifique qu'émotionnel, psychologique ou spirituel -tel que dans le roman-, on comprend cependant à sa lecture à quel point celle-ci put paraître d'une nouveauté parfaitement sidérante, même dans le monde en pleine ébullition de cet âge d'or de la SF. Par-delà son aspect presque documentaire, ce texte n'en demeure pas moins un petit chef-d'oeuvre du genre qu'on prend toujours grand plaisir à lire, même cinquante années plus tard !