C'est dans "Les Justes" de Camus que j'ai rencontré le personnage d'Elisabeth, belle-soeur de Nicolas II et veuve de Serge Alexandrovitch, que "les justes" sont chargés d'assassiner à la bombe en 1905. Bien sûr, Camus n'était guère capable de restituer la grandeur de cette figure chrétienne, dans une pièce écrite pour détailler et louer les tourments moraux des assassins (que l'on se rappelle d'ailleurs le père Paneloux de "La Peste" ou le prêtre de "L'étranger"). Mais Elisabeth, la vraie, ne se résume pas à cette version existentialiste : au nom du pardon chrétien accordé au meurtrier de son mari, elle fonda un ordre de moniales (rarissime en Russie, comme dans tout pays orthodoxe où n'existe qu'une seule règle monastique et où les fondations d'ordres distincts sont inconnues) qui s'occupaient "dans le siècle" du soulagement des malheureux. Elle fut tuée en 1918 par les communistes, avec d'autres membres de la famille impériale. Ses restes, retrouvés lors d'une offensive de l'Armée Blanche, furent transférés à Jérusalem. Elle est canonisée.
Ce livre collectif d'hommages, cette hagiographie, n'a absolument rien d'ennuyeux ni d'austère : il se compose de lettres d'Elisabeth à Nicolas II, d'extraits de journaux intimes de personnes qui l'ont connue, et d'écrits émanant des "Demeures de Miséricorde Marthe-et-Marie", ordre fondé par Elisabeth après la mort de son mari Serge. Le tout fait revivre une lumineuse figure chrétienne, qui choisit de répondre au mal par le bien. C'est une lecture nécessaire aujourd'hui, où le mot "martyre" est si laidement dévoyé.
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Le deuxième ou le troisième jour après le martyre (l'assassinat) du grand-duc, son altesse, qu'un sentiment chrétien poussait à tout pardonner, résolut de rendre visite à l'assassin de son mari, Kaliaïev, détenu à cette époque au commissariat de Serpoukhov. (...) On ignore ce que se dirent la grande-duchesses et Kaliaïev, puisque personne n'assista à l'entretien. Des quelques mots qu'en dit la grande-duchesse, on peut conclure que cette rencontre donna satisfaction à son sentiment chrétien et que Kaliaïev avait été touché : il avait accepté d'elle une icône et lui avait baisé la main. Quelques jours plus tard, la première impression s'estompa en Kaliaïev et la raison prit le dessus sur le coeur. Se sentant en quelque sorte coupable de faiblesse devant son parti, il écrivit une lettre d'injures et de reproches à la grande-duchesse, dont la démarche avait été très critiquée.
p. 103-104