Pourquoi la narratrice a-t-elle déménagé dans un petit appartement sombre à l'extrémité Est de Londres, combien de temps y laissera-t-elle ses cartons. Elle l'ignore.
A cet endroit,
la rivière Léa sillonne Londres et va se jeter dans la Tamise. Ses berges ont abrité bien des vies au fil du temps, principalement des petites usines et des maisons ouvrières. Elles sont à présent abandonnées, envahies par les herbes hautes et le sol marécageux. C'est là que se promène inlassablement cette femme, son polaroïd saisissant ces lieux retournés à la nature comme si l'image instantanée pouvait en restituer la mémoire.
« le mot fleuve suffisait à convoquer en moi des panoramas, des vues et des perspectives de l'enfance – autant de cartes postales que m'écrivait le souvenir. J'ai eu recours à ces points de vue tout au long de fleuves innombrables, je les mettais en regard des paysages qui s'offraient à mes yeux, comme pour mesurer les uns à l'aune des autres » (p. 185).
Née sur les bords du Rhin, la narratrice est depuis toujours attirée par les villes d'eau, par le mouvement continuel du liquide, alpha et oméga de toute vie, symbole d'énergie, de renouvellement, de purification, d'inconscient aussi. Souvent, au cours de ses promenades, des souvenirs fugaces de ses séjours à l'étranger viennent rencontrer l'eau de
la rivière Léa. Qu'elles soient majestueuses comme le Gange, la Neretva ou le Yarkon, les rivières ont toujours deux rives, qu'elles sinuent dans les campagnes ou dans les zones urbaines. Et partout, l'eau est comme une frontière, une limite, entre ses vis-à-vis. Que voit-on d'une rive à l'autre ? La vie d'en face est-elle différente ?
Tant et tant d'observations à travers le monde se veulent illimitées, offertes aux regards, aux émotions, au souvenir d'images accumulées dans des albums, décolorées, qu'un simple coup d''oeil rend vivaces.
Les pensées de la marcheuse ne sont ni joyeuses, ni tristes, mélancoliques plutôt, empreintes de poésie jusque dans la boue ou le délabrement de vieilles bâtisses. On la sent entre deux eaux, entre deux chaises, entre deux voies. Quelques rencontres dans sa rue, dans le parc voisin de Springfield, dans les petits commerces de quartier. Les gens sont gris, moches, mélangés, pauvres sans être misérables, reflués dans cette zone populeuse, un peu méfiants, marqués par la fuite d'un pays en guerre, vivotant tant bien que mal. Pas de dialogues, pas de rires d'enfants, pas de chiens écrasés. Seulement des fragments de souvenirs.
C'est le premier livre d'
Esther Kinsky traduit en français alors qu'elle a déjà obtenu de nombreux prix littéraires, notamment pour ses traductions de langues slaves en allemand.
D'autres lecteurs, à l'âme plus poétique que la mienne, seront certainement plus sensibles à la plume d'
Esther Kinsky. Même les photos qui émaillent le récit me semblent floues et plates. Pas besoin d'en ajouter pour dire que cette lecture ne m'a pas réjouie, si ce n'est certaines tournures de phrases, comme celle-ci, par exemple : « Les quelques bribes d'hébreu que je possédais étaient emballées dans un baluchon, hors de portée de ma mémoire. Et moi qui jugeais pourtant autrefois que rien n'était mieux fait pour la langue et la gorge que ce langage âpre et doux » (p. 145).
Ce livre paraît chez Gallimard dans la collection « du monde entier » et fait partie de la rentrée littéraire 2017. Merci à l'éditeur et à la Masse critique de Babelio de m'avoir fait découvrir
Esther Kinsky en avant-première.