La trilogie
Les lois de l'hospitalité fut écrite entre 1953 et 1960 par
Pierre Klossowski, le frère aîné du peintre
Balthus. Evoquer ce lien de parenté, c'est désigner, me semble-t-il, la place respective des
Klossowski (de Rola) dans l'ordre de l'esprit, et peut-être une certaine souffrance. le peintre est prolifique, mais n'écrit jamais ; l'écrivain griffonne aussi des dessins, souvent jugés maladroits, en marge d'une oeuvre littéraire assez confidentielle. le cadet devient riche et célèbre ; l'aîné finit dans une HLM rue de la Glacière.
La révocation de l'Edit de Nantes, premier volume du recueil (la collection le Chemin, Gallimard, 1977, les rassemble, sans souci de chronologie, autour de
Roberte, ce soir), se présente sous la forme du journal alterné d'Octave, le mari, collectionneur de tableaux et catholique, et de Roberte, l'épouse, ancienne infirmière de la Croix Rouge à Rome à la fin de l'occupation nazie, soi-disant résistante, et députée parisienne. Tandis que l'homme décrit par le menu une toile imaginaire à forte charge érotique, la femme passe par divers stades de la perversion. Octave la met à toutes les sauces : attachée, fouettée, violée, surprise, mais toujours gaie et consentante. L'ambition de Roberte semble être de séduire son neveu adolescent, dont le couple s'est vu confier la tutelle. Celle du mari, de la livrer à tous les invités de la maison. Ce seraient là "
Les lois de l'hospitalité."
Le titre
La révocation de l'Edit de Nantes se trouve pour sa part justifié par les prétentions du texte à une vague théologie. le dogme catholique de la présence réelle est censé protéger dans un tabernacle des lettres compromettantes. Roberte, protestante, ira les rechercher : sa foi ne lui interdit pas de toucher aux hosties consacrées.
Roberte, ce soir continue le premier volume par un dialogue théâtral coupé d'intermèdes. On retrouve la thématique précédente : Croix Rouge, Rome, églises, chanoine, nazis, viols, neveu. L'enrobage pseudo-théologique se fait omniprésent : une sorte de scolastique à base de "substance", d'"accident" et d'"actualisation" émaille de nouvelles acrobaties amoureuses.
Le Souffleur débute avec plus de simplicité. L'ambiance parisienne y est familière et presque conventionnelle. Mais les entrecroisements de personnages comme les incertitudes sur l'identité deviennent obsédants. Roberte et ses doubles connaissent toujours les affres d'Eros. Cependant un certain humour vient alléger l'ensemble, dont le texte précédent,
Roberte, ce soir, reste d'ailleurs au centre : les personnages, cette fois-ci plus nombreux, mais toujours rassemblés autour du mari et de l'épouse, répètent la pièce en vue d'une représentation privée. Une ambiance onirique et vaudevillesque caractérise ce tableau des moeurs d'une intelligentsia parisienne aujourd'hui disparue quoique son décor subsiste, de la Rive Gauche au Palais Royal.
Bric-à-brac socio-psychanalytique sans doute influencé par
Georges Bataille (
La part maudite,
le bleu du ciel),
Les lois de l'hospitalité laissent perplexe. Ne s'agirait-il donc que d'un savant prétexte à pornographie, déguisé sous un intellectualisme envahissant ? On peut malgré tout se laisser prendre au charme d'une certaine époque : les relents religieux, l'ombre de l'après-guerre, le prestige du Tout-Paris littéraire, le surréalisme et le Collège de Sociologie.
Pierre Klossowski a connu tout le monde : Caillois,
De Rougemont, Blanchot, Bataille. Il fait du
Pierre Jean Jouve sur fond de
Ionesco. Il lira
Roberte, ce soir en compagnie de
Michel Butor, accompagné au piano par
Roland Barthes. Il a eu son heure de gloire au cinéma avec
Robert Bresson (Au hasard, Balthazar) ; il inspire Pierre Zucca (Roberte) et
Raul Ruiz (L'hypothèse du tableau volé).
Est-ce le style d'avant-garde années 50/60 qui échappe, de nos jours ? L'ouvrage laisse par endroits une impression d'imposture ténue. Pour ma part, comme
Roger Caillois, je me serais désolidarisé du jury qui, en 1965, remit à
Pierre Klossowski, pour une autre oeuvre il est vrai (
Le Baphomet), le Prix des critiques.