Je ne suis pas vraiment sûr que l'on puisse parler de thriller à propos de ce roman. D'ailleurs il ne peut pas être rangé dans une catégorie, tout comme le « dîner ».
Monsieur Herman KOCH, vous avez une façon à vous d'entraîner le lecteur qui est époustouflante. On ne sait jamais où vous voulez en venir, jusqu'où vous serez capable d'aller, avant d'avoir lu vos romans jusqu'à la dernière page. Ils ne se résument pas. En tout cas, je ne pourrais pas vous rendre justice, si je devais le faire.
Tout au long de l'histoire, vous distillez votre venin à petites doses, tout en subjectivité et subtilité. Vous êtes doué ! Personne ne trouve grâce à vos yeux. Que ce soit les élèves, les professeurs, le milieu littéraire. Vous êtes cynique, mais en même temps, vous nous fascinez et il est difficile de lâcher un tel roman.
Bravo Monsieur KOCH. Quelle écriture. Et oui, vos romans sont troublants. Vous êtes doué, c'est le moins que l'on puisse dire !
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Voilà le premier roman que je lis d'Herman Koch et ce ne sera sûrement pas le dernier ! L'auteur entremêle les intrigues, les narrateurs, les points de vue et les registres avec talent et ce roman en devient très grisant.
Dans l'incipit, nous assistons à la lecture de lettres écrites à un auteur par son voisin du dessous, lettres non envoyées mais libératrices dans la mesure où s'en dégagent une certaine raillerie moqueuse, une critique acerbe des romans de cet écrivain (« Monsieur M. ») et de son mode de vie -car le voisin l'espionne- et de pensées supposée.
Mais libératrices de quoi ? Pourquoi le voisin agit-il comme cela ? Après avoir nous-mêmes, lecteurs, commencé à voir Monsieur M. comme un homme ridicule, un auteur raté et un tantinet machiste et vieux jeu, par l'intermédiaire du point de vue du voisin (grâce au « code narratif » qui pousse naturellement tout lecteur à adopter temporairement le point de vue du narrateur), on finit par se poser ce genre de questions et à s'interroger aussi sur ce voisin à l'esprit semble-t-il troublé.
À partir de là, plusieurs histoires se croiseront sans cesse : celle du voisin cherchant à rentrer dans celle de l'auteur, ce qu'il raconte à la première personne à l'auteur, désigné par « vous » ; celle de l'auteur en proie à la vieillesse et au milieu littéraire imposant des interviews, des entretiens, des dévoilements de soi, sa vie de famille racontée par un narrateur omniscient beaucoup plus objectif et neutre que son voisin ; cette même vie vécue par son épouse, à travers son point de vue, celle de l'adolescence du voisin (avec son point de vue parfois, ceux de ses amis ailleurs), en lien évident avec un précédent livre écrit par ce « cher Monsieur M »…
Il y a certes donc assez de suspense et de mystère dans ce livre mais si vous cherchez un roman policier « classique », vous serez déçu. Ce n'est d'ailleurs pas un roman policier, il n'en adopte pas les codes et l'on sait certaines choses (ou en tout cas on croit savoir) dès le début, on n'a de fait que peu de découvertes nouvelles à faire sur le plan du fait divers dont il sera question.
Par contre, tout son suc réside ailleurs, dans l'enchevêtrement des points de vue, dans la découverte qu'une même tranche de vie peut être ressentie et interprétée de diverses façons, dans la fascination qu'on peut éprouver à l'égard de certains personnages qui semblent dominer la situation de leur intelligence et lucidité et rester assez énigmatiques, mais aussi dans la drôlerie de certains passages et les mises en abyme sur l'art d'écrire. C'est un roman avant tout mais aussi un roman sur l'art de faire un nouveau genre de roman, et c'est assez drôle d'« entendre » dans la bouche de l'écrivain Monsieur M. des assertions sur la façon de construire un roman totalement en désaccord avec celle utilisée par Herman Koch ! Ce dernier s'en prend ainsi ironiquement aux romans bâtis toujours un peu de la même façon, avec toujours les mêmes « grosses ficelles » (intrigue centrale, personnages principaux, suspense qui parvient à une acmé, préméditations dont on découvre l'ampleur etc.) ainsi qu'à la façon de teinter un récit de réalisme, habituellement et dont il prend le contre-pied. Il fait par exemple dire au voisin : « Comme je l'ai déjà dit, dans un roman – dans une histoire inventée – il faut toujours bannir dans la mesure du possible le hasard. le hasard est plus à sa place dans la réalité. La réalité est son terrain de chasse idéal. Seule la réalité est faite de hasards […] le hasard rend l'écrivain et son histoire peu crédibles », mais du même coup, comme tous les romans, sont construits sur des liens de causes à effets et des explications pour créer du réalisme, cela devient paradoxalement l'apanage du roman et non plus du réel. Donc pour « faire réel », Herman Koch choisit, lui, plusieurs fois la coïncidence et le hasard (tout en montrant que c'est un choix délibéré car il avait auparavant trouvé d'autres raisons motivant le même état de fait final). Il critique toutefois aussi les facilités des « faux hasards », les clichés littéraire, les milieux lettrés et tout cela est savoureux.
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Les fans d'Herman Koch apprécieront. Ils seront très vite en terrain familier, avec les marottes de l'auteur, comme le fait qu'une femme regarderait en premier lieu chez un homme si elle pourra perpétrer l'espèce avec lui.
Dans ce roman , tout le monde en prend pour son grade : enseignants, provinciaux, écrivains (si vous cumulez les 3, vous imaginez ce que le narrateur pense de vous !)...
Je dirais que le premier tiers du roman est jubilatoire. le deuxième très longuet (on nous décrit quand même par exemple comment les jeunes font la vaisselle), c'est un peu du remplissage. Le dernier tiers est un peu complexe, il faut quand même un bon QI pour comprendre (et je ne suis pas sûr d'avoir eu l'esprit très clair à 100 %).
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Il faut attendre la fin pour connaître les tenants et les aboutissants de cette intrigue, mais entre-temps que de cruauté, de mensonges et de diaboliques stratagèmes !
Lire la critique sur le site : Telerama
Film ou pas, il ne faut jamais mettre sur la couverture des photos des personnages d'un livre. Cela bride l'imagination du lecteur. Il est alors contraint d'associer les personnages aux visages des principaux acteurs du film. Quand on a commencé par voir le film puis qu'on a aussi envie de lire le livre par curiosité, ce n'est peut-être pas si grave. Mais quand on a d'abord lu le livre, on est confronté à un dilemme. En lisant, on s'est fait sa propre idée des visages des différents personnages. Des visages qu'on a eu le loisir d'imaginer soi-même. Malgré les descriptions des visages. En dépit de vos descriptions surabondantes de nez, d'yeux, d'oreilles et de couleur de cheveux, chaque lecteur compose les visages au gré de son imagination.
Les femmes ont plus de temps que les hommes. Quand elles ont passé l'aspirateur, elles ouvrent un livre - votre livre- et se mettent à lire. Le soir, au lit, elles lisent encore. Quand leur mari se tourne sur le côté et pose la main sur leur ventre, près du nombril, ou juste en dessous de leur poitrine, elles la repoussent. "Laisse-moi un peu, encore un chapitre", disent-elles en poursuivant leur lecture. Parfois les femmes ont mal à la tête, ou elles sont indisposées, parfois elles lisent un livre.
- Mais il y a des cultures, des religions, je n'ai pas besoin de les citer, qui se sentent très vite blessées, dit Van der D. Devons nous, nous censurer, tenir notre langue parce que quelqu'un risque de se sentir blessé ?
S'il écrivait ce qu'il pensait vraiment, sous sa forme la plus crue et la plus frustre, ce serait terminé d'un seul coup. Les lecteurs, emplis de dégoût, se détourneraient de lui. Comme ils n'oseraient pas brûler ses livres, ils se contenteraient de les retirer de leurs étagères. Les librairies refuseraient de vendre ses ouvrages. [...] Dans certains cercles, sa popularité s'en verrait accrue. Des cercles au sein desquels personne, lui compris, n'a envie d'être populaire. Ces cercles feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour s'approprier l'auteur et ses livres, mais ce ne serait pas si simple, les livres étant trop rebelles et l'auteur trop insaisissable. Les Pays-Bas se demanderaient à haute voix s'ils doivent être fiers d'un écrivain comme lui, si l'œuvre peut se détacher de l'auteur. Un "débat national" ! Nous en raffolons tous. Comme toujours, on fait alors deux poids, deux mesures. Ces mêmes deux poids, deux mesures en vertu desquels il y a des années, un maire socialiste d'Amsterdam a refusé à un écrivain néerlandais célèbre qui s'était rendu dans l'Afrique du Sud de l'apartheid l'accès à sa ville alors que ceux qui défendaient ouvertement les dictatures de gauche et les camps de concentration de gauche, à commencer par lui-même y vivaient en toute tranquillité.
Soudain je suis de nouveau pris d'un doute. Nous sommes à présent confrontés à deux récits parallèles ou même trois. Des histoires à l'intérieur de l'histoire.
Vous même, vous en raffolez, vous en avez déjà parlé, vous en usez et en abusez dans " règlements de compte" et dans" l'année de la libération".
HERMAN KOCH / LE DINER / LA P'TITE LIBRAIRIE