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EAN : 9791097594244
192 pages
Serge Safran éditeur (11/09/2019)
4.18/5   14 notes
Résumé :
Jack, marginal épris de liberté, élève des chevaux. Aidé par Chayton, individu troublant, il peine à joindre les deux bouts. Débarque sa fille, une adolescente qu’il connaît à peine tandis qu’à ses côtés Célie, jeune femme énigmatique, se débat dans une histoire familiale qui agonise.
Jack prend alors la route pour essayer de s’en sortir, allant au-devant de drôles d’aventures. Et puis un jour, un industriel lui propose d’acquérir une partie de son cheptel. E... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Ancien cascadeur équestre aujourd'hui à la tête d'un élevage de chevaux, Jack mène une vie libre et marginale, entièrement vouée à sa passion, mais constamment sur la corde raide : pourchassé par les huissiers, saura-t-il préserver encore longtemps son mode de vie bohème et précaire, d'autant que son ex-femme lui expédie sans crier gare leur fille adolescente et rebelle, qu'il ne connaît qu'à peine ? Il se lance alors dans un road-trip à travers la France, dans l'espoir de trouver une solution auprès de ses diverses relations. L'apparition d'un associé providentiel le tirera peut-être d'affaires.


Tous les personnages de cette histoire se retrouvent coincés entre leurs aspirations personnelles - amoureuses, familiales ou professionnelles -, et une réalité contrariante où les contraintes de toutes sortes, en particulier économiques pour Jack, viennent brider la liberté à laquelle ils sont si attachés. Si Jack, sa presque compagne Célie et sa fille si typiquement adolescente paraissent touchants et désarmants dans leur désarroi et leurs tentatives parfois maladroites pour rester à flot, on ne peut pas en dire autant de la génération des grands-parents, que leur égocentrisme teinté d'immaturité rend assez peu sympathiques.


Ce livre s'avère agréable grâce à son style fluide, ses personnages et ses situations évoqués de manière vivante et crédible. Je m'attendais toutefois à ce que les chevaux soient bien davantage au centre du récit, et surtout l'occasion de quelques jolis passages lyriques ou éthologiques susceptibles d'illustrer la passion de Jack. Ils sont finalement plus ici le symbole d'une liberté que l'objet d'un véritable attachement. J'ai même été surprise par la scène où Jack tue son cheval Cody lors d'une séance de dressage : "Il refusait d'avancer. J'avais pris la chambrière, j'avais tapé. Cody ruait. À chaque ruade, je tapais, convaincu de le faire céder. Mais il ne cédait pas. Il avait peur de cet objet insolite auquel il était attaché. La crainte tendait son corps comme une pelote d'acier. Les salières se creusaient au-dessus de ses yeux. de l'eau coulait sous son ventre goutte à goutte, sur ses joues, en laissant une odeur de sel. Je tapais. Je tapais au même rythme que le sang qui battait dans mes tempes en faisant un bruit assourdissant. Je ne sentais plus mes muscles. Cody ruait. Même épuisé, il ruait dans l'air. Ses jarrets claquaient comme des coups de feu. Une grande flaque mouillait la terre sous son ventre. Soudain, son corps s'était mis à trembler violemment. Il s'était immobilisé, pétrifié, comme s'il allait perdre sa substance. Ses muqueuses avaient blanchi, ses yeux avaient laissé filer la terreur. Il avait continué à ruisseler malgré la paille dont je l'avais frictionné. Des litres et des litres d'eau. Il s'était couché en tendant la tête vers moi. Étalé sur le côté, il avait émis un petit hennissement juste avant de mourir." Amour et respect des chevaux, vraiment ?


Ce moment de lecture, aussi plaisant soit-il, m'a donc globalement laissée sur ma faim, encore attisée par un dénouement très ouvert et sans véritable conclusion, peut-être un peu trop positif pour paraître vraiment réaliste : une petite déception qui me fait ranger ce livre sur l'étagère des romans agréables mais pas suffisamment marquants pour vraiment sortir du lot.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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La chevauchée de la dernière chance

Le Sud, le ranch, les chevaux… Pour son premier roman Sylvie Krier a rassemblé tous les éléments d'un western à la française. Mais gagner la liberté de vivre de sa passion n'est pas chose aisée.

Les éthologues vous diront la part d'instinct et d'apprentissage dans le comportement du cheval dans sa relation avec l'humain. En revanche, ils ne diront sans doute rien de l'attitude des humains qui les côtoient jour après jour et des modifications que cette proximité entraîne sur leur caractère. Pour cela il faudra le talent d'une romancière comme Sylvie Krier. En racontant le parcours de Jack, de son ami Chayton, de sa compagne Célie et de sa fille Louise, elle va nous montrer combien, consciemment ou non, ils vont adopter bien des traits de caractère de ces purs-sangs. À commencer par une soif de liberté inextinguible.
Jack, le narrateur de ce roman, a fait un choix radical en décidant de consacrer sa vie aux chevaux. Après avoir été cascadeur pour le cinéma et victime d'un accident qui a failli lui coûter cher, il choisit de rentrer dans le rang. Désormais, il va se concentrer à l'élevage et devoir s'éloigner de Snip, la photographe de plateau, avec laquelle il a eu une liaison. Dans le Sud, il va trouver un ranch et quelques chevaux, il va aussi trouver en Chayton un homme qui partage son rêve et n'hésite pas à démissionner de son boulot pour «mener enfin une vie en accord avec lui-même». Une vie rude et des journées de travail chargées, mais une vie qui offre aussi de se retrouver à la tombée de la nuit autour d'un feu de camp avec des amis. On refait le monde, on oublie les factures, les huissiers, les soucis, avec l'aide de l'alcool et des femmes.
Jack a une liaison avec Célie, mais elle n'entend pas pour autant se mettre en couple avec lui: «Nous avions décidé d'être libres, après une période de cohabitation qui s'était soldée par un échec. Célie attendait que je change. Je ne savais pas comment m'y prendre, alors j'attendais moi aussi.»
C'est à ce moment que Louise arrive du haut de ses quatorze ans. Sa mère a décidé qu'il serait juste que son père son occupe dorénavant. Encore un problème de plus à gérer, sous le regard Mickey qui vient régulièrement constater le désordre dans la maison et dans la vie de son frère.
«Plus de fuel. Plus de nourriture pour nous. Guère plus pour les chevaux. Plus de grain. J'ai tué mes dernières juments de réforme. L'abattoir me paiera peut-être quelques arriérés. À condition que la viande ne soit pas saisie. La semaine dernière, j'ai volé, avec l'aide de Chayton, des sacs d'orge dans une coopérative agricole.»
L'homme qui débarque alors avec sa fiancée est qui entend s'associer avec Jack le sortira-t-il de la mouise? Les perspectives apparaissent réjouissantes. Il propose d'aller à Séville chercher un étalon pour développer le cheptel.
Sylvie Krier a trouvé le ton pour raconter cette odyssée qui, au moins géographiquement suit son propre parcours, du Loiret au Sud de la France. On y sent la peur et la poussière, l'envie et l'espoir, mais aussi toutes les contradictions d'une odyssée incertaine: la force et la fragilité, l'espoir et le désespoir, le combat et le renoncement.


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Remarquable, agissant, magnétique, « Un cheval dans la tête » déploie l'animalier en royauté. « Il avait neigé dans la nuit. » Deviner la beauté en empreintes hivernales. le ciselé qui octroie la magnificence. L'entrée dans une histoire vivifiante qui ne lâche pas un seul instant le lecteur. Sylvie Krier écrit dans cette aube inspirante, dans ce repli qui élève et encense l'authentique, l'essence même du jour. Ce récit où s'entrecroisent les hommes, la nature, les chevaux est une ode au régionalisme, au rude des épreuves, aux coeurs meurtris et à la persévérance. Construite en habiles chorégraphies, l'ambiance est un paysage changeant dans le rythme des quatre saisons. Une plongée dans ce verbal qui devine l'essentiel à puiser dans un puits de renom. Il y a la teneur de Franck Bouysse, de Giono, de Bosco. Ce récit dont la glaise est ce palpitant sincère et véritable. Pas de fioritures, pas de trop-plein, seul, passe ici l'évènementiel âpre et rude, courageux et alloué aux chevaux, la plus belle métaphore. Apprivoiser ce temps de douleurs et s'autoriser l'espoir d'une docilité de vie en advenir. Nous sommes en plongée directe dans une histoire affranchie. Jack élève des chevaux. Cabossé, vivant au jour le jour, ses volontés sont des outils, sa marginalité est un étau qui se resserre insidieusement. On aime son amour incommensurable pour ses chevaux. Un anthropomorphisme rayonne. Il est l'étalon imprévisible. Les voix en chant chorale s'élèvent tour à tour dans ce récit à tiroirs où chacun des protagonistes s'expriment. La vie de Jack est compliquée, loin d'être un long fleuve tranquille. Il a ce peu qui fragilise et ce grand de vivre la glorification de son travail. Sa fille Louise est une jeune fille quasi abandonnée. Elle ne connaît de tendresse que ce vide affectif. Sa maman reporter, éloignée dans les affres des guerres dont elle fige les images aux quatre coins du monde. Ballotée, telles des bottes de paille, Louise se rebelle et va revivre chez Jack son père dans un antre où le spartiate, la pauvreté, la décadence des Cyniques sèment le trouble et la peur. « Plus de fuel. Plus de nourriture pour nous. Guère plus pour les chevaux. » L'histoire enfle, devient ce liant dont les hommes puisent force et ténacité. Tous, ici, dans ce récit sont des miroirs. Chacun ne peut rien seul. Ce sont des morceaux de vies assemblés qui forment le regain de ce grand livre. Les chevaux sont des paraboles puissantes. L'habitus est le pictural d'une ruralité mise à rude épreuve. On aime les regards, les folies salvatrices de ces êtres. Elles domptent l'imprévisible, chevaux éclatants de foi et de vigueur. le récit se gorge d'une narration brillante « J'avais souvent réfléchi à cette barrière impalpable qui maintient le respect entre l'homme et l'animal, et, par là, annihile le danger, ainsi qu'à l'infime transgression de ce respect qui donne au dressage toute sa densité. Nous avons conscience d'approcher chaque fois d'un peu plus près certaines limites ténues. » Sylvie Krier a cette capacité de relier ce qui sépare. de croire en l'animal, dans une thérapie qui se mérite. « Un cheval dans la tête » est une sacrée leçon de vie. Le flamenco d'une délivrance lumineuse. Publié par Serge Safran Editeur.
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« Un cheval dans la tête » premier roman de Sylvie Krier (Serge Safran éditeur), en librairie le 11 septembre 2019

Épris de liberté, à la marge de la société, Jack élève des chevaux : « Un métier qui suscite de la méfiance, dont personne ne comprend la finalité car il rapporte peu. » Autour de lui, gravitent des personnages à son image, un peu déglingués. À commencer par Louise, son adolescente de fille qui débarque un jour dans sa cabane ; son ami Chayton dont le passe-temps favori consiste à égorger et dépecer des chats ; cette étrange mais attachante Célie qui « se débat dans une histoire familiale qui agonise » ; Mickey, ce frangin, qui oscille entre haine et amour. Bref, de quoi avoir envie de ficher le camp loin des emmerdes et des dettes…
La proposition d'un riche industriel d'acheter une partie des chevaux – permettant ainsi de sauver l'exploitation lourdement endettée – suffira-t-elle pour que Jack et ses acolytes retissent des liens avec la réalité, aussi dure soit-elle, sans pour autant perdre l'idéal qui les anime ?
Jack, Mickey, Chayton… l'intrigue se déroule donc au Far West ? Pas du tout. Même s'il y est beaucoup question d'Appaloosa, on est dans la France profonde, celle des petits exploitants qui se débattent pour survivre et sont attachés à leurs terres et à leurs bêtes qu'ils considèrent pour ce qu'elles sont, des animaux que l'on abat parfois et que l'on mange.

Avec une écriture précise, sans fioritures – qui n'est pas sans rappeler celle de Henry David Thoreau dans « Walden » ou celle des nouvelles de Jim HarrisonSylvie Krier livre là un premier roman particulièrement réussi. On est au plus près de la nature avec ce Chayton cueillant les herbes qui soignent, au plus près des chevaux que l'auteur semble avoir beaucoup fréquentés – le vocabulaire est précis.
Un roman polyphonique qui plus est, car si Jack s'exprime seul dans la première partie, les deuxième et troisième parties font intervenir les voix de Louise et de Célie en écho à celle de Jack. Des points de vue qui éclairent l'histoire du héros.

Un roman à la fois captivant et émouvant.

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Épris de liberté, à la marge de la société, Jack élève des chevaux : « Un métier qui suscite de la méfiance, dont personne ne comprend la finalité car il rapporte peu. » Autour de lui, gravitent des personnages à son image, un peu déglingués. À commencer par Louise, son adolescente de fille qui débarque un jour dans sa cabane ; son ami Chayton dont le passe-temps favori consiste à égorger et dépecer des chats ; cette étrange mais attachante Célie qui « se débat dans une histoire familiale qui agonise » ; Mickey, ce frangin, qui oscille entre haine et amour. Bref, de quoi avoir envie de ficher le camp loin des emmerdes et des dettes…
La proposition d'un riche industriel d'acheter une partie des chevaux – permettant ainsi de sauver l'exploitation lourdement endettée – suffira-t-elle pour que Jack et ses acolytes retissent des liens avec la réalité, aussi dure soit-elle, sans pour autant perdre l'idéal qui les anime ?
Jack, Mickey, Chayton… l'intrigue se déroule donc au Far West ? Pas du tout. Même s'il y est beaucoup question d'Appaloosa, on est dans la France profonde, celle des petits exploitants qui se débattent pour survivre et sont attachés à leurs terres et à leurs bêtes qu'ils considèrent pour ce qu'elles sont, des animaux que l'on abat parfois et que l'on mange.

Avec une écriture précise, sans fioritures – qui n'est pas sans rappeler celle de Henry David Thoreau dans « Walden » ou celle des nouvelles de Jim HarrisonSylvie Krier livre là un premier roman particulièrement réussi. On est au plus près de la nature avec ce Chayton cueillant les herbes qui soignent, au plus près des chevaux que l'auteur semble avoir beaucoup fréquentés – le vocabulaire est précis.
Un roman polyphonique qui plus est, car si Jack s'exprime seul dans la première partie, les deuxième et troisième parties font intervenir les voix de Louise et de Célie en écho à celle de Jack. Des points de vue qui éclairent l'histoire du héros.

Un roman à la fois captivant et émouvant.

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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
JACK
* La neige abolit tout. Une naissance imminente.
Il avait neigé toute la nuit. Je suis sorti réparer la clôture électrique du parc des juments. J’avais repoussé ce travail tant que j’avais pu, mais maintenant, c’était devenu une priorité. Courir après le troupeau un petit matin de printemps, passe encore, mais l’hiver dans le brouillard ou la nuit, non.
Il est tombé au moins vingt centimètres de neige. Elle recouvre le tas de ferrailles rouillées du hangar récupéré il y a des lustres, que je n’ai pas eu le temps de monter, les galets destinés à empierrer le chemin, et même la vieille carcasse de tracteur échouée en contrebas. La neige a gommé les ornières, les traces de véhicules. Autour de ma cabane, il n’y a plus rien. Bizarrement, j’ai l’impression qu’aujourd’hui tout est beaucoup plus simple.
Avec la brouette, quelques outils, un sac de pain, je me dirige vers le pré en coupant par le petit bois. Le parc est devenu une étendue immaculée, bordée d’arbres enneigés, qui restitue la lueur pâle d’un soleil d’hiver. Les traces d’un chevreuil, celles d’un sanglier aussi, à en juger comme le bas-côté a été retourné. Au printemps dernier, la clôture a été arrachée par des chasseurs. J’ai plusieurs fois porté plainte auprès de la compagnie de chasse, sans résultat. Avec la masse, j’essaye d’enfoncer les pieux d’acacia qui rentrent difficilement dans la terre froide. J’attrape un morceau de ruban électrique, je le fixe avec deux attaches, je tends de toutes mes forces. Mon épaule droite m’arrache une grimace.
J’élève des chevaux. Un métier qui suscite de la méfiance, dont personne ne comprend la finalité car il rapporte peu. Je ne possède aucun bien. Hector, mon voisin, résume facilement la situation lorsqu’il a bu, ou que son tracteur tombe en panne (deux cas de figure assez fréquents). Il m’interpelle depuis son champ :
— Tu peux m’dire à quoiqu’ça sert ces bêtes-là ?
Je ne revendique aucun de ces tampons officiels qui attribuent une place précise dans la société et font que l’on est considéré avec respect pour la seule raison que l’on sait précisément à qui on a affaire. Je m’en fous. Mon copain Chayton m’assure que c’est le début de la liberté. Franchement, ça me plaît quand il dit ça. Souvent, je me répète ses paroles, parce que, en général, les événements tendent à prouver que je ne suis pas toujours engagé sur la bonne voie.
Je me suis installé dans cette région il y a vingt ans sans rien y connaître. Mon oncle Joseph, menuisier, m’avait aidé à construire mon logement, une habitation en bois au-dessus d’une petite écurie. Oncle Joseph était à la retraite à l’époque. On avait passé six mois à bâtir le tout. Malgré quelques imperfections évidentes, qu’oncle Joseph niait obstinément, j’étais satisfait. Quand je regarde la charpente, les fenêtres qui ferment encore impeccablement, je pense à lui. Je trouve qu’on avait fait du bon boulot. J’exploite quelques hectares d’une terre pourrie de cailloux. Des tonnes de silex qui remontent comme par magie, et réapparaissent, même lorsqu’on les retire régulièrement.
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Quand j’essaye de démarrer, le pick-up toussote puis cale. La batterie a dû prendre un coup de froid. Je lève le capot, plonge la tête dans le moteur bien que je n’y connaisse pas grand-chose. J’entends un bruit au loin.
— Il y a un gars là-bas, me fait remarquer Chayton.
À cinquante mètres, j’aperçois un type habillé en noir, qui se dandine dans la neige.
— Va chercher le tracteur et les câbles.
Le type progresse lentement, accoutré d’un attirail vestimentaire de citadin. Parvenu à vingt mètres de moi, il agite un papier dans ma direction. La chienne sort de l’écurie, couverte de paille. Elle commence à grogner. Le type s’arrête.
— Monsieur Eltimore ?
Comme je ne réponds pas, il ajoute.
— Cabinet d’huissiers Matt et Komb. J’ai ici une saisie pour la société Herbagrain.
Je lève sur lui un regard mauvais. Il a un petit sursaut. La chienne est venue s’appuyer contre ma jambe. Elle émet un jappement rauque tandis que je la caresse doucement pour la calmer. Je remets le nez dans le moteur. D’un geste nerveux, j’attrape la jauge à huile. Le type sort un stylo de la poche intérieure de son pardessus.
— Vous pouvez me signer ce document s’il vous plaît ?
— Dégagez !
— Pardon ?
— Dégagez ! C’est clair ? Vous ne voyez pas que je travaille ?
Je claque le capot de toutes mes forces et grimpe dans l’habitacle. Le type hésite un instant puis fait demi-tour. Je le regarde s’éloigner en levant les genoux comme un petit soldat. La neige mouillée laisse des grosses traces sombres sur le bas de son pantalon.
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J’ai tout de suite vu les choses arriver lorsque le type des Haras nationaux, culotte de cheval à l’ancienne, bottes rutilantes, a commencé à s’agiter en se mettant en tête d’attraper seul l’étalon pour poser la puce électronique. Il s’énervait parce qu’on n’avait pas fini. Le jour déclinait sensiblement. Il avait encore deux cent kilomètres à faire pour rentrer chez lui. Il a essayé de passer le licol à l’étalon. Celui-ci, d’un violent coup de tête, s’est dégagé pour partir au triple galop, en lui brûlant la main au passage parce qu’il n’a pas eu le réflexe (ce que n’importe quel apprenti sait dès le départ) : lâcher la longe immédiatement. L’étalon s’est dirigé droit vers l’enclos des petits mâles de deux ans en hennissant pendant que le type gémissait en soufflant sur ses doigts. Les chevaux ont commencé à se renifler, à gonfler leur encolure, à se cabrer, pour finir par se battre. Sous la pression du troupeau devenu insensible à l’électricité, la clôture a cédé. S’en est suivi un bruit effroyable. Des coups de pied, des morsures, des rugissements. Chayton et moi, on s’est retrouvés chacun avec un tuyau d’arrosage à la main, à taper comme des sourds, pour tenter de séparer les animaux. On a renvoyé avec peine les 2 ans dans l’enclos et on a réussi à isoler l’étalon. Il avait une sale tête, un bout de crinière arrachée, couvert de morsures qui gonflaient en hématomes à vue d’œil, une bonne plaie au poitrail. Fallait recoudre. Tétanos. Lorsqu’on recoud à chaud, tout se passe beaucoup mieux. Pas besoin d’anesthésie, la cicatrisation est bien meilleure. Chayton a compris. Ses yeux brillent : il sait qu’on va opérer.
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Une quinzaine d’années auparavant, lors d’une fête western estivale, dans un bled perdu, j’avais amené deux Appaloosas, des bêtes un peu lourdes, sans grâce, qui avaient sur leur robe des taches semblables à des coups de pinceau, des éclaboussures. À cette époque, on voyait rarement de tels chevaux en France. Chayton exécutait une danse de la pluie devant quelques spectateurs. Il portait une coiffe en véritables plumes d’aigle qui descendait jusqu’à terre. En le regardant, j’avais pensé que ce type-là avait incontestablement quelque chose d’indien en lui.
Il avait pris l’habitude de venir m’aider lorsqu’il était libre. Je lui avais donné un petit mâle Appaloosa, en échange de son travail. Il curait, manipulait les poulains, m’aidait aux vaccinations, aux sevrages, aux débourrages. Pour gagner sa vie, Chayton travaillait en banlieue parisienne dans une société de mécanique de précision dans laquelle il avait été embauché, en raison de sa vue perçante. Il est capable de repérer une buse dans un arbre à trois cents mètres. L’intégration au sein de son univers de travail avait été compliquée, mais maintenant, c’était une chose acquise, d’après lui. Plus personne ne s’étonnait de le voir perché, immobile face au vide, sur la corniche de la tour dans laquelle il travaillait. Il avait fini par arrêter de chasser les animaux domestiques. Il adorait les dépecer. Il refuse obstinément de parler de cette époque. Je ne cherche pas à en savoir plus. Je suis simplement satisfait que la chatte qui rôde dans l’écurie et me débarrasse des rongeurs n’ait plus rien à craindre et que la chienne puisse garder les lieux sereinement.
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L’horizon cotonneux se fond dans la neige. Attiré par le bruit, le troupeau apparaît en haut du pré, les silhouettes se dessinent nettement. Ensemble, les juments s’immobilisent, encolures tendues, oreilles dressées. Leurs naseaux crachent des petits jets de vapeur. Elles descendent tranquillement le vallon dans ma direction, la baie en tête. Puis elles partent au petit trot, enfin au galop. Je reste immobile, à écouter le bruit feutré des sabots sur la neige. Fracas lointain qui gronde en approchant. Je pourrais rester dix ans comme ça, à les regarder galoper, la queue en panache, dans des gerbes de neige. Je me dis que ce simple spectacle suffit à mon bonheur. Elles stoppent à quelques mètres de moi. Je leur jette un peu de pain sec. Je m’approche. Je tâte leur dos pour voir si, à travers le poil d’hiver, elles n’ont pas trop perdu d’état. Malgré la température qui dégringole, elles ont l’air en pleine forme. J’observe les pis. Je passe mes doigts engourdis sur les mamelles. La noire ne va pas tarder à pouliner. Il faudra amener du foin, de la paille avec le pick-up, de l’eau chaude pour dégeler les abreuvoirs. Je traîne encore un peu puis je me décide à rentrer pour me faire un café. Devant l’écurie, mon regard glisse au fond de la vallée. Simplement. Facilement. La neige et rien d’autre. Je ne me suis pas senti aussi bien depuis un bon moment.
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