Plaintes d’Acante
POUR UNE EXCELLENTE BEAUTÉ QUI SE MIRAIT
Amarille en se regardant
Pour se conseiller de sa grâce
Met aujourd’hui des feux dans cette glace
Et d’un cristal commun fait un Miroir ardent.
Ainsi touché d’un soin pareil
Tous les matins l’Astre du monde
Lorsqu’il se lève en se mirant dans l’onde
Pense tout étonné voir un autre Soleil.
Ainsi l’ingrat Chasseur dompté
Par les seuls traits de son image,
Penché sur l’eau, fit le premier hommage
De ses nouveaux désirs à sa propre beauté.
En ce lieu, deux hôtes des Cieux
Se content un sacré mystère ;
Si revêtus des robes de Cythère
Ce ne sont deux Amours qui se font les doux yeux.
Ces doigts agençant ces cheveux,
Doux flots où ma raison se noie,
Ne touchent pas un seul filet de soie
Qui ne soit le sujet de plus de mille vœux.
Ô Dieux ! que de charmants appas,
Que d’œillets, de lys et de roses,
Que de clartés et que d’aimables choses
Amarille détruit en s’écartant d’un pas !
Si par un magique savoir
On les retenait dans ce verre,
Le plus grand Roi qui soit dessus la terre
Voudrait changer son sceptre avecque ce Miroir.
LES CHEVEUX BLONDS
SONNET
Fin or, de qui le prix est sans comparaison,
Clairs rayons d'un Soleil, douce et subtile trame
Dont la molle étendue a des ondes de flame
Où l'Amour mille fois a noyé ma raison,
Beau poil, votre franchise est une trahison,
Faut-il qu'en vous montrant vous me cachiez Madame ?
N'était-ce pas assez de captiver mon âme
Sans retenir ainsi ce beau corps en prison ?
Mais, ô doux flots dorés, votre orgueil se rabaisse ;
Sous la sévérité d'une main qui vous presse,
Voua allez comme moi perdre la liberté.
Et j'ai le bien de voir une fois en ma vie
Qu'en liant le beau poil qui me tient arrêté,
On ôte la franchise à qui me l'a ravie.
JALOUSIE
Telle qu’était Diane, alors qu’imprudemment
L’infortuné Chasseur la voyait toute nue ;
Telle dedans un Bain Clorinde s’est tenue,
N’ayant le corps vêtu que d’un moite Élément.
Quelque Dieu dans ces eaux caché secrètement
A vu tous les appas dont la Belle est pourvue :
Mais s’il n’en avait eu seulement que la vue,
Je serais moins jaloux de son contentement.
Le traître, l’insolent, n’étant qu’une eau versée,
L’a baisée en tous lieux, l’a toujours embrassée ;
J’enrage de colère à m’en ressouvenir.
Cependant cet Objet dont je suis Idolâtre
Après tous ces excès n’a fait pour le punir
Que donner à son Onde une couleur d’albâtre.
Sur un tombeau
Celle dont la dépouille en ce marbre est enclose
Fut le digne sujet de mes saintes amours :
Las ! depuis qu'elle y dort, jamais je ne repose
Et s'il faut en veillant que j'y songe toujours.
Ce fut une si rare et si parfaite chose
Qu'on ne peut la dépeindre avec l'humain discours ;
Elle passa pourtant de même qu'une rose,
Et sa beauté plus vite eut des termes plus courts.
La Mort qui par mes pleurs ne fut point divertie
Enleva de mes bras cette chère partie
D'un agréable tout qu'avait fait l'amitié.
Mais, ô divin esprit qui gouvernais mon âme,
La Parque n'a coupé notre fil qu'à moitié,
Car je meurs en ta cendre et tu vis dans ma flamme.
Tristan L'HERMITE — Un symboliste sous Louis XIII ? (France III Nationale, 1958)
L'émission "Anthologie française", par Jean de Beer, diffusée le 10 décembre 1958 sur France III Nationale. Lecture : Jean Topart, Renée Faure, Henri Poirier, Jean Tassot, Jacques Toja et Simone Rieutor.