Comme pour l'Absente de Lionel Duroy, cette note de lecture est augmentée d'impressions que m'ont laissées la rencontre de l'auteur avec la chroniqueuse littéraire Maya Michalon, le 24 septembre 2016 aux Correspondances de Manosque.
Thomas Texier est un CSP++ informaticien. Les enfants couchés, il termine un travail chez lui, s'assoupit à côté du clavier, cauchemarde, est réveillé à 4 heures du matin par l'appel de la gendarmerie d'une petite localité normande, sa femme a eu un grave accident de voiture.
Thomas qui se pensait surarmé professionnellement et socialement, quarantenaire heureux en famille, quasi intouchable, est amené brutalement à reconsidérer sa vie, ses certitudes, ses valeurs. Lui qui appartient, comme sa femme, à la nouvelle classe sociale toute puissante des maîtres de l'information et du temps (sa réussite est basée sur le développement de systèmes mobiles de contrôle des durées d'activité en entreprise - sorte d'application de pointage non stop de l'employé) va ouvrir les yeux et s'intéresser enfin à d'autres rythmes et à d'autres vies que la sienne, à commencer par celles de ses frère et soeur aînés : Jean, éleveur et berger, et Pauline, infirmière humanitaire.
A Manosque Luc Lang a expliqué que cinq années lui ont été nécessaires pour écrire ce "roman géographique " en admiration pour Cormac McCarthy et particulièrement la "Trilogie des Confins". D'où la construction de son roman en trois "Livres". A chacun sa zone géographique, ses lieux, ses personnages ; dans l'ordre : la Normandie, les Pyrénées, le Cameroun. Paysages urbains d'abord, puis pastoraux ou vertigineux, de plus en plus vastes et minéraux au fur et à mesure de la quête existentielle de Thomas Texier. Un voyage initiatique qui le mènera de l'Ile de France à l'Afrique.
Interrogé par la journaliste sur son utilisation très remarquable de l'ellipse (plusieurs mois s'écoulent entre la fin d'un Livre et le suivant), le romancier dit avoir pensé ces transitions "muettes" comme des "cuts" de montage au cinéma. C'est au lecteur de mettre sa propre charge émotionnelle dans chaque ellipse : si on écrit trop les choses, on prive le lecteur de les vivre ; l'écrivain veut créer la surprise, voire la sidération du lecteur en induisant les événements plutôt qu'en les décrivant. Il veut donner un livre à vivre, plus qu'un livre à lire, et que chaque histoire lue devienne celle du lecteur.
Certains des nombreux thèmes entremêlés de ce roman ont été déjà lus ailleurs : liens fraternels, secrets et aveuglements familiaux, métissage, harcèlement au travail (même pour les cadres très sups), terrorisme, guerres subsahariennes, etc. Mais ce qui le rend infiniment original et séduisant, envoûtant, c'est la forme utilisée, le style, la langue, l'écriture, les descriptions talentueuses. Tout ça au service d'une vraie belle histoire.
J'ai complètement marché dans le plan de Luc Lang qui veut faire entrer son lecteur dans la "vie" de ses personnages. Un beau voyage littéraire, parfois éprouvant, toujours émouvant.
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