En mai 2005, le Serpent A Plumes édite, dans sa collection Motifs, numéro 242, «
Les Araignées » de
Fritz Lang. Parue en 1919 en deux feuilletons (sur quatre initialement prévus), « Die Spinnen » (en français,
Les Araignées) est la version romancée du premier grand film de
Fritz Lang mais également le seul texte de fiction écrit par le réalisateur. Ce texte rare, traduit de l'allemand et superbement présenté par
Georges Sturm (cf. Histoires d'araignées, à la fin de l'ouvrage), se compose de deux livres distincts, à savoir « Le lac d'or » et « Le cargo de diamants ».
« Le lac d'or », 120 pages, est très clairement un récit d'aventures. Kay Hoog part à la recherche du professeur Staunton
Mollier, un archéologue mystérieusement disparu au Mexique depuis 6 ans dans la région de Moctezuma alors qu'il était sur la trace du trésor des Incas. A partir de ce moment, Kay devient la cible d'une société secrète,
Les Araignées. Les personnages sont très typés : Kay, jeune sportsman, riche, intrépide et quais-invincible ; Lio Sha, une jeune Chinoise d'une « fascinante beauté et d'une ensorcelante sensualité » ; von Bergen, président de Yacht-Club, petit et rondouillard ; Rangoon, jeune pilote d'aérostat, en poste à la station météo de Cuicathan ; le docteur Telphas, aux yeux « froids et perçants » ; Naëla, prétresse du Soleil, simple, naïve, innocente et pure (dont Kay tombera amoureux). Dès la première page, vous entrez dans le feu de l'action et vous ne pourrez pas lâcher l'ouvrage. Cette première partie présente certes quelques faiblesses : des mots et des expressions quelque peu datés (vaste monde, voiture à cheval, vieux majordome, chloroforme, lascars, apaches, sourire matois, madrés coquins …), un racisme évident (un négrillon qu'on traite d'animal noir, des Chinois fourbes et cruels …), la femme représentée comme femme fatale (ce qui correspond à l'imaginaire misogyne de la fin du 19ème siècle) ou comme appât (Naëla, élégante marionnette, va attirer Kay dans sa toile), des évènements incroyables (Kay monte à la force des bras au filin qui pend de la nacelle du dirigeable ; des blocs d'or pendent en stalactites du plafond de la grotte située sous le lac d'or …), une providence qui joue un rôle exagérément salvateur (oui, les bons sont récompensés et les méchants sont punis), peu de considérations psychologiques, un oubli (que devient le professeur Miller ?) et une bizarrerie (Naëla parle couramment anglais alors qu'elle n'est jamais sortie de la jungle). Mais l'essentiel est là : une superbe aventure située dans un monde perdu (les découvertes archéologiques abondent au début du 20ème siècle) et exotique, la mise en scène de spécificités de l'époque (la TSF, l'hypnose et le spiritisme), une histoire courte mais dense qui forme un tout (la mode des séries fait fureur avec Arsène Lupin, Rocambole, Fantomas …), du suspense, de l'action et des rebondissements incessants.
Le « Cargo de diamants », 150 pages, est très clairement un polar. Kay Hoog part à la recherche d'un diamant à la tête de Bouddha, joyau datant de la dynastie Ming, pierre qui donnerait le pouvoir à la princesse qui le porterait en bijou de libérer l'Asie du joug colonial étranger : bigre ! Lio Sha est de la partie en numéro deux de la secte
Les Araignées, mais d'autres personnages entrent en scène : un Chinois portant un médaillon donnant accès au Chinatown souterrain de San Francisco ; un vieil érudit qui va déchiffrer un document volé par Kay et rédigé en une langue inconnue ; Fa Hung, propriétaire du tripot « Le Dragon Rouge », repaire de la secte ; John Terry, diamantaire qui saurait où se cache le fameux diamant ; John Quatre Doigts, un marin à la solde de la secte ; al Hab Mah, yogi aux pouvoirs incroyables ; Ellen, jeune femme épanouie, 19 ans, fille unique du diamantaire, elle sera kidnappée afin que son père révèle l'emplacement du diamant ; le chef de la secte ; et un pigeon voyageur. Dans ce deuxième livre, Kay parait moins invincible et plus humain ; toutefois, la liberté prise par l'auteur avec le déroulement chronologique des faits ainsi que quelques invraisemblances (pourquoi évoquer la culture de perles de Hai Fung sans jamais y revenir ? Était-ce un pont entre ce deuxième livre et un prochain feuilleton qui n'a jamais vu le jour?) donnent l'impression d'une partie plus mature mais trop vite écrite : dommage ! Malgré cette faiblesse, le reste est très convenable et certaines trouvailles (architecturales avec les composants technologiques du Chinatown de Frisco, ou géologiques avec les vapeurs toxiques dégagées par la grotte des Malouines dans laquelle échoue Kay) marqueront le lecteur.
Au final, vous avez entre les mains un livre rare qui plaira aux curieux, aux spécialistes de
Fritz Lang, aux passionnés de l'histoire du cinéma allemand, aux admirateurs de
Jules Vernes (il y a une certaine similitude entre Miss Ylang Ylang et Lio Sha), aux lecteurs habituels de roman d'aventures comme aux nostalgiques de Bob Morane (j'en suis). Je mets quatre étoiles et je recommande.