De Bonn à Berlin

« Bonn est un village [ …]. Elle a les manières, la vision, la dimension d'un lavoir communal et pourtant c'est un état à l'intérieur d'un village » (John le Carré, Une pette ville en Allemagne, 1971). Et pourtant, Bonn fut capitale de l'Allemagne fédérale pendant quelques décennies, au temps de la guerre froide.
9/11/1989 : Chute du Mur de Berlin.
Avril 1999 : Première séance plénière des députés allemands rassemblés dans leur nouveau parlement berlinois.
Que s'est-il passé entre ces deux dates ?
1991. le chancelier allemand lance le processus le 20 juin par le vote au Bundestag de faire de Berlin à la fois le siège du gouvernement allemand et la capitale officielle de l'Allemagne réunifiée.
Alors qu'il est techniquement possible d'assurer le fonctionnement des institutions et d'administrer un état aussi bien depuis Bonn que de Berlin, en quoi la question de la capitale en Allemagne est-elle si importante ?
Une capitale est le siège et l'image du pouvoir, l'expression de la politique du pays aux yeux du monde, déplacer une capitale est donc un acte fort, marquant les territoires dans leur organisation interne et dans l'image qu'ils renvoient. Choisir Berlin montre la volonté de continuité avec le XIXe siècle et la formation de l'état allemand et l'effacement de la rupture que fut la guerre froide. La réunification de 1990 favorise donc le processus d'intégration de deux territoires séparés et la réorganisation de la hiérarchie urbaine.
La capitale permet la rencontre d'un espace urbain avec la fonction de commandement politique, ce qui traduit une certaine organisation spatiale, et la formation de quartiers de pouvoir (= Regierungsviertel)
Bonn la petite ville craignant de perdre une grande partie de sa population, et d'autres se demandant si Berlin avait la capacité d'accueillir un afflux massif de population. Des accords ont été passés (loi Bonn/Berlin), des aménagements ont été effectués, Bonn a pu se reconvertir (grand centre des congrès, poids des institutions de l'ONU), il n'y a pas eu de friche politique comme il y a des friches industriels après les reconversions du même nom.
L'arrivée à Berlin des institutions gouvernementales peut être perçue comme une manifestation d'une puissance allemande retrouvée et assumée, mais l'organisation interne de Berlin – Capitale dessine une structure pérenne qui perpétue le fonctionnement d'une Démocratie parlementaire. le Bundestag est géographiquement, symboliquement et fonctionnellement au coeur de la politique allemande de la capitale. le passage à Berlin peut être interprété comme un enracinement de la culture démocratique et fédérale allemande dans une ville qui a connu antérieurement d'autres formations et d'autres cultures politiques.

C'est un livre que je reprendrais en fonction des besoins de mes programmes.

Il est des géographes inspirés qui prenant un sujet en main vont le traiter sous toutes ses facettes.
Antoine Laporte nous en apporte une illustration exemplaire avec la publication de cette somme sur le transfert de la capitale allemande de Bonn à Berlin.

Les éléments de contexte sont décrits avec précision ; l'auteur rappelle que ce n'est qu'avec quelques voix de majorité que le transfert fut décidé et que plusieurs autres options avaient été discutées. On a peine à le croire aujourd'hui tant ce transfert semble s'imposer naturellement.
Même le choix de Bonn, ville secondaire et éloignée, qui ne devait à l'origine pas porter ombrage à Berlin le jour où... a failli se retourner contre l'actuelle capitale.

Les autres opérations de transfert de capitales dans le monde sont évoquées et ce, avec bonheur, pour illustrer la singularité allemande.
La documentation est très fournie, les cartes, les graphiques et les statistiques abondent.

"Le choix de fonder, de maintenir, de transférer une capitale constitue un acte politique, résultat de processus de construction du territoire national" nous rappelle à propos l'auteur dans l'introduction.

Le contexte historique émaille le propos en permanence pour relativiser, préciser, expliquer.

Peut être regrettera-t-on un peu la prudence du géographe sur son jugement sur l'attractivité de Berlin "loin d'être nulle", en se rappelant le propos de l'ancien maire de Berlin, Klaus Woreveit qualifiant sa ville de "pauvre mais sexy", et en insistant sur l'attrait de Berlin, une des villes les plus visitées au monde, sur son dynamisme et sa liberté.

S'agissant d'un livre thèse on notera en passant quelques approximations dans les détails. Page 54, la Cour constitutionnelle de Corée du sud a-t-elle vraiment dit : "c'est écrit dans une tradition non écrite" ?
Page 95, on préférera lire Bundesrat que Bindesrat.
On s'étonnera aussi de la fin des travaux du Bundestag à Bonn en 1992 indiquée par l'auteur, soit un an après le transfert de la capitale, en craignant que ce ne soit vrai.

Le livre s'achève en 2010, avant que le processus de gentrification (ou boboisation) ne transforme à nouveau profondément la ville.
Mais ce livre là reste à écrire.

Nul besoin d'être un habitué de l'Allemagne et de son histoire pour réussir à plonger dans cet ouvrage. Publication consécutive à une thèse sur le transfert de la capitale allemande, cette étude dépasse la seule question Bonn-Berlin, en proposant une illustration de l'évolution de la cité et de son aménagement, ainsi qu'une lecture politico-historique d'un centre important de l'Europe. Les géographes devraient être comblés, tout comme les amateurs de sciences politiques. Et les "simples" curieux apprécieront le souci de simplicité proposé par l'auteur pour étayer ses différents raisonnements.