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Citations sur Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers (91)

Dans toute relation il existe des pensées, des rêves et des sentiments qu'on cache même à l'être aimé, qu'on doit dissimuler pour la survie de cette relation.
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En écoutant Bergsten, Barck avait de plus en plus honte de ses tentatives poétiques, tellement maladroites. Il avait beau avoir une passion pour la poésie et avoir consacré beaucoup de temps, au fil des ans, à lire et à écrire des poèmes, il n’en restait pas moins à des années-lumière de la façon dont Jan Y s’était investi et qui était peut-être, en fin de compte, la condition indispensable pour écrire des vers qui soient vraiment de qualité.
« Il devait avoir une volonté extraordinaire, dit Barck.
– Tout en étant extrêmement fragile. C’était la poésie et rien d’autre qui était sa raison de vivre et qui lui donnait cette énergie. C’était elle qui lui fournissait le moyen de lutter contre les peines et les déceptions amoureuses. Je ne suis pas particulièrement porté sur la poésie, ni en tant qu’écrivain ni en tant que lecteur. J’ai du mal à comprendre pas mal de poèmes. Mais Jan Y m’a appris une chose : il doit exister, dans la poésie de qualité, quelque chose de précieux, capable de changer la vie de certaines personnes, et qui affecte profondément leur existence sur le plan intellectuel et affectif. Jan Y n’était ni un charlatan ni un astrologue de la poésie qui cherchait à jeter de la poudre aux yeux de ses lecteurs. Il était sérieux, et je suis sûr qu’il avait de bonnes raisons pour cela. Il ne faut pas oublier qu’il ne faisait pas qu’écrire de la poésie, il en lisait aussi beaucoup et étudiait de près tant ses prédécesseurs que ses contemporains, à la différence de bien des écrivains d’aujourd’hui, dépourvus d’humilité et se moquant pas mal du travail des autres. Mais c’est aussi pour cette raison que je n’ai pas cru un seul instant qu’il avait mis fin à ses jours.
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Et voilà que Petersén l’appelait pour lui annoncer de grandes nouvelles qui allaient bouleverser son existence – et dans le bon sens ! Sans doute était-il parvenu à faire croire à ses collègues étrangers que Jan Y avait rédigé un nouveau Marklind ou allait devenir un Linell bis. Pourtant, il avait peine à croire que Petersén ait réussi le tour de force de vendre un livre encore inachevé. A son avis, il lui restait une cinquantaine de pages à rédiger. Non que cela lui causât des angoisses : il savait déjà à peu près comment le livre se terminerait. Ce qui l’inquiétait, c’était la suite. Ses fidèles admirateurs, tant lecteurs ordinaires que critiques bienveillants, ne risquaient-ils pas de l’accuser d’hypocrisie ? Non seulement pour avoir tenté de sacrifier à Mammon, car c’était ainsi que l’on ne manquerait pas de présenter la chose : un véritable écrivain de plus se laissant aller à la spéculation littéraire ! Plumitifs, lecteurs et collègues en littérature ne comprendraient pas qu’il eût fait cela pour Petersén car, à leurs yeux, un éditeur n’est jamais qu’un capitaliste assoiffé d’argent faisant tout ce qui est en son pouvoir pour s’enrichir aux dépens des écrivains – ou qu’il fût motivé par une légitime colère contre les injustices de la société. Mais aussi, circonstance aggravante, parce qu’il allait gagner pas mal d’argent en s’en prenant aux riches.
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Mais maintenant, Jan Y allait écrire de la prose, et non de la poésie, et il pourrait donner libre cours à sa colère. Malgré ses réticences envers le roman policier, il avait trouvé son sujet dès le départ, et son cerveau s’était mis bientôt au travail malgré lui. Il ne lui fallut pas longtemps pour ébaucher une intrigue, avec un assassin, un policier et une enquête – c’est-à-dire les éléments de base d’un polar. L’histoire s’étoffa lorsqu’il prit contact avec Johan, son ami d’enfance et sauveur dans les moments difficiles de sa jeunesse, qui faisait une belle carrière dans la finance internationale. Celui-ci amena beaucoup d’eau à son moulin, même si elle était un peu putride, et il fut convaincu, après quelques recherches, que les médias n’évoquaient que la partie visible de l’iceberg. Deux mois plus tard, Jan Y se sentit obligé d’écrire ce roman : il ne s’agissait plus seulement de s’acquitter d’une dette envers son éditeur, mais de faire son devoir de citoyen. Il tergiversa en se disant qu’écrire ce livre était une chose mais une autre de le publier, pourtant sa conscience d’écrivain l’emportait. Comment ne pas publier un roman qui lui permettait de régler ses comptes avec les rapaces de la finance ?
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Environ un an après, son premier recueil de poèmes avait paru chez un petit éditeur. Son premier livre ! Et même un modeste à-valoir ! En prime, il avait eu droit à deux comptes rendus, dont l’un très élogieux. Pour la première fois depuis qu’il était devenu poète, il avait le sentiment qu’il existait des gens qui comprenaient ce qu’il cherchait et que sa vie ne serait pas celle de Van Gogh, qu’il admirait pour sa persévérance, mais dont le destin lui inspirait aussi une profonde angoisse. Où était-il allé puiser l’énergie nécessaire pour consacrer sa vie entière à la peinture, alors que personne – pas un seul être au monde – n’était sensible à son art ?
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Chaque fois qu’il repensait à cet instant, il était ému. Il avait écrit des milliers de vers, mais rien qui méritât le nom de poésie, à ses yeux. Depuis, il savait en quoi consistait cet art : rendre le monde visible. Auparavant, il avait souvent succombé, comme nombre d’autres poètes, à la tentation d’imaginer d’autres réalités, plus originales et passionnantes que la nôtre, convaincu que la mission de la poésie était d’entrer en concurrence avec l’état des choses, d’offrir un moyen de s’évader de la grisaille du quotidien et de permettre au soleil de percer les lourds nuages chargés de pluie, au mois de novembre, en Scanie. Alors que c’était l’inverse. Il fallait trouver les mots qui faisaient ressentir l’amour et la haine, la joie et la peine, le banal et l’invisible, et rendaient leur présence concrète, perceptible et incontournable. Il s’était fixé pour but d’empêcher ses lecteurs de passer près de ses fragments de réalité sans les voir, sans les prendre au sérieux. Il était de son devoir de faire en sorte que chacun remarque la seule feuille restée verte dans un bois de feuillus, à la fin de l’automne, le seul bateau parmi une douzaine d’autres pointant dans une direction différente, le seul merle persistant à chanter malgré la pluie, et qu’il ait existé un temps sans mâts de radiocommunication.
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Au lieu de cela, il faisait du feu dans un vieux poêle avec du papier journal et des morceaux de bois qu’il ramassait çà et là au cours de ses interminables déambulations à travers la ville, en quête d’inspiration poétique. Car il n’était pas capable d’écrire ses poèmes assis à une table de café ou dans une bibliothèque, du moins le premier jet, le plus ardu. Il lui fallait être perpétuellement en mouvement et face à la réalité, sans que le filtre de son imagination s’interpose entre les mots et le monde extérieur. Il se rappelait fort bien le jour où il avait écrit ses deux premiers vers véritables, chez sa mère. Celle-ci lui avait demandé de sortir des draps de la commode de la chambre. Soudain, en ouvrant le tiroir du haut, une odeur de draps blancs lavés de frais avait frappé ses narines et le poème avait surgi :

Même plié dans l’armoire

le ciel sent bon
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Pendant de nombreuses années, il s’était nourri de pâtes à la sauce tomate, sauf les rares jours du mois où il parcourait à pied les dix kilomètres le séparant du foyer de son enfance pour aller rendre visite, en l’absence de son père, à sa mère, qui mettait les petits plats dans les grands en l’honneur de son fils. Il avait hélas oublié que son estomac s’était rétréci, et vomissait tout sur le chemin du retour. Il vivait dans un sous-sol prêté par l’un de ses rares amis qui croyait, contre toute vraisemblance, en son avenir de poète. Johan Svensson, c’était son nom, lisait d’ailleurs ses poèmes et disait qu’il les aimait. Mais Jan Y ne se laissait pas abuser : Johan était un ami d’enfance qui faisait carrière dans la banque, après des études en sciences économiques, et il n’était pas exclu que ce dernier apprécie sa poésie, ne serait-ce que par pitié, à défaut d’autre raison. En fait, Johan s’y connaissait autant en poésie que lui-même en économie, c’est-à-dire pas du tout. Jan Y lui était néanmoins reconnaissant de mettre à sa disposition cet ancien local commercial en sous-sol. Il lui permettait au moins de survivre, au prix de quelques difficultés en hiver car il n’avait pas les moyens d’allumer les radiateurs électriques.
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Lorsque Jan Y Nilsson se réveilla dans son bateau, le 6 février, une demi-heure avant l’aube, il n’était pas sûr de vouloir être celui qu’il était, à savoir un poète à temps plein ayant trahi tout ce qu’il incarnait et ce pour quoi il s’était battu depuis qu’il avait choisi sa voie, à l’âge de seize ans. Il avait certes réalisé ses ambitions, mais à quel prix ? Il avait passé les dix premières années de sa vie adulte dans la misère : aucun journal ni revue ne voulait lui acheter ses poèmes, aucun éditeur ne s’intéressait à ses recueils, aucune école n’était prête à le rémunérer pour venir parler à ses élèves de l’importance de la beauté et de la consolation, aucun théâtre n’était prêt à mettre une scène à sa disposition pour qu’il y fasse une lecture publique, aucun compositeur n’avait souhaité transposer ses poèmes. Ses seuls revenus venaient des traductions qu’il avait effectuées, à l’aide de ses maigres connaissances linguistiques et des dictionnaires des bibliothèques, de poètes espagnols et italiens ainsi que de quelques romanciers.
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Mais là, il n’était pas tout à fait sincère. Au fond de lui, il savait que Jan Y hésitait toujours et qu’il allait devoir déployer tous ses talents de persuasion pour lui faire signer le contrat. Heureusement, il tenait en réserve un certain nombre d’excellents arguments. Ne serait-ce que suggérer qu’il n’était nullement certain que la maison puisse continuer à publier ses recueils de poésies à perte. Petersén s’était aussi assuré au préalable qu’Anders Bergsten acceptait de lui prêter assistance. Mais il espérait parvenir à convaincre Jan Y de signer, sans exercer de chantage. N’avait-il pas écrit un excellent livre, après tout ?
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