Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers

Les êtres humains avaient une faculté inépuisable de se trouver des excuses, des prétextes et de fausses raisons pour ne pas tenir leurs promesses et leurs bonnes résolutions. ( p 452 )

Les êtres humains ont une faculté inépuisable de se trouver des excuses, des prétextes et de fausses raisons pour ne pas tenir leurs promesses et leurs bonnes résolutions.

" Vous connaissez bien sûr Jan Y Nilsson.
- L'un des plus grands poètes de notre pays, dit Berg.
-Mais aussi l'un de ceux qui ont le moins de succès sur le plan commercial, ajouta Sund. (...)
- Et que presque aucun éditeur n'est prêt à publier, précisa Berg, sauf un certain Karl Petersén, qui semble complètement sourd aux sirènes du profit, pourtant si sonores de nos jours.
-Non, pas sourd, seulement dur d'oreille."
Il était bien conscient que son intransigeance quant à la qualité littéraire de ses publications suscitait l'admiration de ses collaborateurs.

A intervalles réguliers, Jan Y croisait une dame, souvent âgée qui promenait son chien. De temps en temps, il était dépassé par un joggeur. Comment ces gens pouvaient-ils trouver le temps de courir pour les bienfaits de leur santé, par un mardi matin comme les autres ? Tout le monde ne pouvait pas être un électron libre de poète. certains étaient retraités, bien entendu, mais les autres ? Il pouvait s'agir d'infirmières de nuit, comme Tina, ou de chauffeurs d'autobus de service du soir. D'autres étaient sûrement chômeurs. Voire femme au foyer. Si seulement tous ces gens désoeuvrés avaient lu de la poésie au lieu de sortir au grand air ! Dans ce cas, il aurait vendu des milliers d'exemplaires de ses recueils et n'aurait pas eu besoin d'écrire un roman policier.

Je t'attendrai, dit il. Mais pas une éternité. L'amour, c'est fait pour la vie, pas pour la mort.

La poésie n'avait pas pour but d'expliquer le monde, mais de projeter sur lui une lumière nouvelle et intense. C'était pour cette raison qu'il ne fallait ni imaginer ni inventer.

Il aurait aimé croire que c'était lié à son amour de la poésie, qui lui avait appris à ne rien prendre pour argent comptant, à interpréter les signes, à trouver des correspondances et des indices qui restaient cachés sous la surface, à laisser les événements imprégner sa conscience, à utiliser ses sensations quand la raison ne lui permettait pas de saisir ce qui paraissait de prime abord incompréhensible. Ne jamais croire les êtres bons ou mauvais avant de les avoir longuement interrogés. Ce dont il était sûr, c'était que cette enquête aurait peu de rapport avec la poésie. D'ailleurs, avait-on déjà écrit un beau poème sur un assassinat ? Il espérait que non.

Sur ce point, être poète ou policier revenait exactement au même. Dans les deux cas il s’agissait de voir à la fois au-delà des apparences, et ce qui était tellement évident qu’on n’y faisait plus attention.

Le cirque médiatique le fatiguait. Un ministre de la Justice auteur d'un roman policier médiocre recevait plus d'attention qu'un poète de talent, et cinq minutes sur un talk-show étaient plus efficaces que des critiques élogieuses. L'écrivain timide et gauche, dépourvu de charisme et de bagout, n'avait même plus envie de publier un livre. Tout ce qui comptait, c'était d'être fort en gueule et bien de sa personne, surtout si l'on était une femme. Les écrivains se prêtaient à tout pour vendre leurs romans – lectures publiques, salons, foires – et on affichait même leurs portraits sur des posters ou sur les bandeaux qui entouraient leurs livres. Pas étonnant qu'il se sente un peu découragé, de temps en temps.

Mais le pire était que si quelqu'un se mettait à critiquer les médias, la corporation entière se dressait pour rappeler son rôle de défenseur de la démocratie et de la justice. Mais qui profitait des souffrances et de la peur des gens, si ce n'était les médias et la presse ?