Citations sur Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers (91)
L'aube ! Il était tellement accaparé par ses pensées qu'il avait oublié pourquoi il s'était levé si tôt. Il monta les quelques marches qui menaient à la passerelle, tenant une tasse de café qu'il avait l'habitude de serrer dans la paume de sa main pour que la chaleur se répande jusqu'au bout de ses doigts. Puis il attendit...
Quelques minutes plus tard, il perçut les premières lueurs et il ne lui fallut pas longtemps pour distinguer un peu de bleu foncé, dans le noir de la nuit, qui se changeait lentement mais imperceptiblement en bleu clair et se propageait d'est en ouest. Le ciel était pur, à part un gros nuage qui se dressait au nord et que le soleil teintait de jaune. La journée promettait d'être belle, mais pour combien de temps ? Au loin, à l'ouest, au-dessus du Danemark, serpentaient d'étroites bandes de nuages hérissées de pointes qui annonçaient un vent fort et l'arrivée d'un front... Il collectionnait les aubes, ce qu'il y avait de plus insaisissable au monde.
Pour sa part, il collectionnait les aubes, ce qu'il y avait de plus insaisissable au monde.
...Mais admettez que le snobisme des genres n'est pas mon fait. Le polar ou le fantastique sont aussi respectables que la poésie ou le roman. ( p 9 )
La chose qui m’a le plus impressionné, la première fois que j’ai rencontré Jan Y, c’était sa détermination. Dès l’âge de seize ans, il avait décidé de devenir poète et de consacrer sa vie à la poésie.
La poésie était faite pour être lue à haute voix et sur la place publique. Il fallait la clamer, la chanter. À partir du moment où la poésie avait été imprimée et lue en silence, elle avait perdu du terrain, pas seulement par rapport au roman mais par rapport à la chanson et à la musique populaire.
Dans le port, un bateau
Dans le bateau, un pêcheur
Dans le pêcheur, son âme
Dans son âme
Le sel, le vent, le froid
Dans mon assiette, un poisson
Dans le poisson, mon appétit
Dans mon appétit, ma force
Dans ma force
La fatigue du pêcheur
La littérature était devenue un produit de consommation, avec date de péremption, comme la viande et les légumes des supermarchés. Même les bibliothèques avaient commencé à faire le ménage sur leurs rayonnages pour privilégier les nouveautés que tout le monde lisait.
Ils se sont tellement aimés
Que la mort recula d'une heure
Pour les laisser passer
Si l'on se trouvait dans l'obligation bien compréhensible de prendre un travail, disait Rilke, il convenait que ce soit dans un domaine qui n'ait rien à voir avec la littérature. Il fallait en particulier fuir comme la peste le journalisme et la critique littéraire. Jan Y avait souligné d'un triple trait un passage dans lequel Rilke mettait son jeune poète en garde contre l'idée de se vouer à "d'irréelles professions semi-artistiques qui, en faisant miroiter une proximité avec l'art, nient et attaquent, en pratique, l'existence de tout art, comme le font le journalisme dans son entier et à peu près toute la critique et les trois quarts de ce qui s'appelle, ou veut s'appeler, la littérature". Il n'était pas très difficile de deviner que Rilke - et Jan Y avec lui - aurait rangé le roman policier dans la dernière catégorie, particulièrement néfaste à l'art.
La lecture des grands livres sur la mer et sa promenade autour du port étaient désormais sa façon nostalgique de s'évader vers un monde inaccessible déjà derrière lui. Peu de rêves sont d'ailleurs aussi séduisants que ceux qui sont impossibles. Y compris celui d'écrire un chef-d'oeuvre qui braverait les siècles et parlerait à des générations de lecteurs.