Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers

Il avait alors habilement suggéré qu'il pouvait donner ces millions à une oeuvre de bienfaisance, obtenant ainsi le pardon pour les péchés de son fils.
" Vous avez raison ! s'était-il exclamé, faisant soudain volte-face avec enthousiasme. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt !"
Petersen se garda bien de lui dire le fond de sa pensée, à savoir qu'il était trop borné pour trouver cela tout seul - phénomène qui n'était d'ailleurs pas rare chez les lecteurs de la Bible, du Talmud et du Coran qui professaient mordicus la vraie foi.

"Nous savons peu de choses" avait dit Rilke dans des Lettres à un jeune poète, posé en permanence sur sa table de chevet, "mais il est une certitude qui ne nous quittera pas, c'est que nous devons nous en tenir à ce qui est difficile; il est bon d'être solitaire, car la solitude est difficile; qu'une chose soit difficile doit être pour nous une raison de plus de l'accomplir." Parmi tous les sentiments de la vie quotidienne, seuls, peut-être, l'amour, le désir, la mort et la peine étaient compatibles avec l'art de la poésie, car tous étaient aussi difficiles à maîtriser et à exprimer par des mots. Peut-être l'amour était-il trop difficile. Sinon, pourquoi Rilke aurait-il conseillé à son jeune poète de ne jamais écrire des poèmes d'amour?

Sur ce point, le policier ressemble au poète : il ne peut se satisfaire des apparences. Jan Y Nilsson ne s'est jamais laissé séduire par les modes ni les courants littéraires passagers. Il recherchait la vérité....

Nul ne devenait écrivain pour avoir eu une vie passionnante et riche en événements - l'existence de nombreux hommes de lettres était d'ailleurs d'une tristesse affligeante. L'expérience personnelle était certes un avantage - un matériau brut dont on pourrait extraire ce qui aurait une portée universelle -, mais encore fallait-il avoir le talent de le coucher sur le papier.

JE T’AIME

Voilà
c’est dit.

Mais qu’ai-je dit
en te disant je t’aime ?

J’ai dit je
J’ai dit tu
J’ai dit aime.

Mais le chemin entre les deux
l’ai-je parcouru
avec toi ?

Je t’aime
mais qu’ai-je fait pour ce verbe
trop grand pour moi

comme des habits de fête
qui ne sortent pas le dimanche

des chants
qui raclent au fond de la gorge

des pas qui trébuchent
aux frontières de la danse ?

Je t’aime
et je suis là
le verbe ballant au bout des bras

ne sachant plus que faire de mes mains
ni où les mener.

Mon nom est Sandemar
et mon message est le suivant :
chercher à perpétuer la vie
aux dépens de l'imagination
c'est aveugler l'existence.
[...]
Ma première existence était une ardoise
quelques coups de craie
effacés d'un coup de chiffon
sitôt tracés.
J'ai vécu et je suis mort
Comme ces coups de craie
sans laisser de traces.
[...]
Mais quelqu'un se souvenait
qu'il avait existé un homme
un vagabond
un doux rêveur
et pourtant un être humain.

[un ange vient]
"Afin, sans me faire mal
De creuser une rivière de lumière douce en mon cœur
Afin de rendre mon âme navigable".

- Vous écrivez des romans policiers, à ce que j'ai cru comprendre.
- Oui, j'en ai écrit plusieurs ces dernières années.
- Je vous avoue que je n'en ai pas lu un seul.
- Vous n'avez pas à vous excuser. On publie une telle quantité de polars chaque année en Suède. Il n'y aura bientôt plus personne pour écrire autre chose.
-Je n'ai pas lu beaucoup de vos collègues non plus, pour être sincère. Je préfère la poésie.
Barck nota le regard surpris de Bergsten. C'était donc si étrange qu'un policier lise des poèmes.

Au moment où il reposait la bouteille, il sentit le Mademoiselle Ti osciller légèrement et crut percevoir un léger grincement , derrière lui.
Il se retourna mais ne vit personne. Ce qu'il distingua à la place, ce fut un nœud coulant accroché au plafond et un tabouret placé juste en dessous.
Qu'elle était cette macabre plaisanterie ? Il tenta de faire quelques pas, mais, aussitôt, sa vue se brouilla et le sol se déroba sous ses pieds. La dernière chose qu'il nota, avant de perdre conscience, fut qu'il laissait tomber son verre et que celui-ci se brisait en mille morceaux.

[...]. Il avait sacrifié jusqu'à ses spermatozoïdes sur l'hôtel de la poésie [...] mais il espérait encore rencontrer une femme prête à affronter un long et douloureux traitement à base de piqûres d'hormones et d'insémination artificielle qui offrirait à sa semence la possibilité de se traîner jusqu'aux ovules dans mourir d'épuisement en chemin. Si ce roman améliorait ses finances, peut être aurait il plus de chances de rencontrer quelqu'un. Les poètes pauvres - maudits par définition - faisaient d'excellents et romantiques amants, dans le meilleur des cas, mais ne valaient pas grand-chose en tant que pères.